Elle détruit et donne la mort à tout ce qu’elle touche;
La peau, elle la marque, le tabac, elle le brûle, et le poumon, elle lui impose son enfer noir et cancéreux d’un train sans fin s’enfonçant dans le fond de la dépendance;
La cigarette danse et danse au bout de ma bouche et de celle, de ceux qui l’entoure, enveloppé de leur bec sec, ratatiné, raté, l’amour d’un baiser envolé;
La cigarette au bout de mes lèvres comme un baiser alcoolique.
J’ai une étoile rouge au bout de ma cigarette,
Je l’aspire, pire encore, je la dévore par mes bronches;
Le bout de ma clope rongée par la boule de chaleur, luisante sur le manche et sombre en fumée;
L’argent envolé, enfumé dans un paquet de vingt, vingt fois plus coûteux que la chaleur d’un regard posé sur ma personne.
Notre monde part en fumée. Notre économie part en fumée;
Le Québec, notre culture, la langue française ainsi
Que les langues autochtones partent en fumée;
Ma tête n’est que fumée, mes jambes fumées, mes bras fumées;
La terre, si belle, si naturelle, couleur fumée;
Brique par-dessus brique, fumée;
Les bombes tombent, fumée, fumée noire;
Nos ombres disparues, par la fumée.
Les soirées de boite, à boire, éclipsé par la fumée;
De Saint-Denis à Saint-Laurent, des bars miteux où les mineurs, telle une fumée paisible, se faufilent dans la fumée d’évènements d’un soir, de bars de fumeurs. Tout le monde fume.
Le 16 janvier 2023, Notre cégep décide de faire respecter un règlement qui, jusqu’alors, avait été dérisoire; interdiction pour tous de fumer sur les terrasses et les terrains extérieurs. Quelle folie !
Il y a maintenant des années que le cégep du vieux Montréal est reconnu pour son ouverture d’esprit et sa créativité, oui, mais surtout pour son attachante communauté de clochard fumeurs, qu’ils préfèrent le tabac, la marijuana ou la goyave passionnée d’une stlth. Il est du recours de la connaissance générale que le Vieux est un endroit où les fumeurs pourront s’épanouir, détenant la clé de la sociabilisation; un paquet de cigarettes à moitié entamé ou un joint à moitié fumé.
Quand j’étais jeune, me promenant au centre-ville, je passais souvent par inadvertance à côté de notre établissement aux hublots circulaires. Je ne savais pas encore que ce dernier m’hébergera pratiquement pour les 6 années à venir, mais quelque chose m’a frappé, l’odeur de pot et de cigarette. Je me suis dit que ça n’avait pas de classe, que c’était vraiment BS. Toutefois, cette odeur m’a sauvée lors de mon premier jour de cours là-bas ; je suis excellente pour me retrouver par hasard à des endroits encore et encore, mais quand je les cherche, je ne les trouve pas. J’étais alors perdue dans le centre-ville à huit heures du matin distribuant aux sans abris des regard à la fois empathiques, cernés et paniqués. Je joggais comme une perdue sur Ontario quand je senti soudain une odeur qui m’étais familière. Doux délice de tabac et d’herbes ! De ce mélange divin, mes narines se sont emplies jusqu’a la première de huit marches en béton. Me retenant de remercier chaudement les fumeurs matinaux de m’avoir guidée hors de mon désarroi, je me suis contenté de leur faire le sourire le plus radieux que mon visage suant et fatigué avait à offir. Ils m’ont évidemment toisé sans mot dire jusqu’à ce que je tourne le dos et se sont ensuite régalé de mon ridicule, alors que j’entrais dans l’école. Mais je ne regrette rien, j’aurais fait pareil à leur place.
Comment est-ce ce que la communauté montréalaise nous a toujours trouvés, cachés dans cette jungle urbaine, si ce n’est que par la douce odeur de tabac organique roulé par une main tachée d’encre de graffiti ou de pot fraichement récoltée du sous-sol d’un oncle ou d’une tante de Hochelaga ?
Mais il y a un plus grand drame, les terrasses sont maintenant vides, sans vie, mortes et enterrées. Plus personne n’ose y fumer, de peur de se faire avertir pour la énième fois par un surveillant. Ils se tiennent tous dans la rue maintenant, laissant derrière eux une nature morte de béton qui leur faisait comme un gant, avec ses bancs et ses jardins. Quel dommage… Avec qui conversera le culte du haki lorsqu’ils se rencontreront pour une partie enflammée?
Dans le but de munir mon texte d’une touche de nuance journalistique, je n’ai que cette phrase à ajouter; le total de 18 joueurs de hockey que l’on retrouve attroupé dans la cafétéria sont surement satisfaits, leurs grands gabarits gardent une capacité pulmonaire maximale pour shred the ice avec vigueur et entrain.
Quant à moi, désorienté comme un chien privé de son odorat, je déambule dans Montréal à la recherche de ma terrasse de béton emboucanée.
[…] j’éprouvai que quand Dieu donne des forces il n’y a rien d’impossible.
— Mademoiselle Marie Madeleine de Verchère
-Victor Vallée
C’est par une douce matinée d’automne que Dieu fit s’abattre la guerre sur la jeune Madeleine. Le fort Verchère, au pied du courant, se tenait digne, mais chétif, dans la longue vallée du Saint-Laurent. Ce jour-là, Madeleine, quatorze ans, s’était levée tôt pour assister les agriculteurs qui entretenaient leurs plantations tout autour du fort. C’était habituellement sa mère qui s’en chargeait, ou son père parfois, mais les deux étaient partis en voyage, régler des affaires coloniales. Les yeux encore embués par la fatigue, les paysans sortaient un à un par la grande porte faite de hauts pieux piteux et s’en allaient vers les champs pour labourer les sections qui l’avaient mal été. Madeleine les accompagnait, promenant son regard çà et là sur le territoire sauvage qui s’étalait devant elle. Elle fit bien d’ailleurs, puisque ce fut elle qui, la première, vit les Iroquois. Ils sortirent en bande hors de la forêt, tigrés d’ombre, l’œil vif et les mains serrées autour de leurs longs fusils. Ils tirèrent : 45 balles fauchèrent le champ. Madeleine, éberluée, resta droite comme un i. La Bible disait : « Je loue Dieu pour sa parole. Je me confie en Dieu, je n’ai peur de rien : que peuvent me faire des créatures ? » Si l’on observait un peu les paysans, la réponse aurait été : elles peuvent terroriser. Ils jetaient leurs outils au sol et se précipitaient vers la palissade. Certains saignaient. Un vieil homme s’écria : « Sauvez-vous, mademoiselle de Verchère ! » Comprenant enfin, elle se retourna et se mit à courir, mais trop tard : une main empoignait l’arrière de son mouchoir de col. Elle le délia sans regarder en arrière. Elle accéléra la cadence en entamant une petite prière pour la Vierge : « Vierge sainte, mère de mon Dieu, vous savez que je vous ai toujours honorée et aimée comme ma chère mère, ne m’abandonnez pas dans le danger où je me trouve ; j’aime mille fois mieux périr que de tomber entre les mains d’une nation qui ne vous connait pas. » Lorsque Madeleine fut assez proche des portes, elle cria aux armes. Elle fit entrer les quelques censitaires qui restaient plantés devant la palissade en beuglant et en pleurant et referma les portes derrière eux. Tout le monde la regardait, ne sachant où se mettre. Elle comprit alors quelque chose de particulièrement fâcheux : elle avait à défendre le fort et elle avait à le faire seule. Elle sentit comme un éclat de braise dans son cœur. La chaleur se changea en bourdonnement qui se répandit dans tout son corps. Elle entendit une petite voix. Elle était comme cachée derrière le mur de pieux. Elle lui disait : « Tu dois prendre ton chapelet d’une main et le fusil de l’autre. Tu dois mettre le chapeau de soldat sur ta tête. Tu dois bouter les Iroquois hors de chez toi ! » Elle ne comprenait pas exactement ce qu’elle devait faire, mais ses pieds se mirent à bouger sans qu’elle ne l’ait décidé. Dans la redoute, elle trouva un vieux chapeau et une arme poussiéreuse. Elle enfonça le chapeau sur sa tête et elle passa son chapelet autour du fusil. Soudain, son corps se mit à vibrer. Elle sentit du poil viril couvrir sa poitrine d’enfant et ses jambes, elle sentit la barbe gratter ses pommettes et elle grandit de quelques pouces. Une force mâle lui sortit du corps : elle courut de bastion en bastion en tirant sur les Iroquois et en allumant toutes les mèches de canon qu’elle croisa. Elle ajoutait à ses tirs précis et fatals des cris de guerre graves et rieurs. Vu de l’extérieur, le chapeau de soldat apparaissait et disparaissait dans la fumée et la poussière, tout autour du haut du fort. Les Iroquois se replièrent rapidement. Madeleine se calma. Respirant bruyamment, elle cria : « Victoire ! » Les censitaires l’acclamèrent. Lorsqu’elle revint proche d’eux, ils ne l’acclamaient plus, ils la dévisageaient. « Quelle étrange jeune femme vous faites. Enlevez votre chapeau. » La sueur perlait sur le front de Madeleine. Elle dit de sa voix grave : « Je viens de protéger votre salut, grâce à Dieu, et c’est tout ce que vous trouvez à dire ? » Les censitaires firent un pas en arrière. « Nous sommes sûrs que Dieu te remercie pour ton travail, mais nous sommes aussi sûrs qu’il aimerait que tu déposes l’arme et le chapeau. » Les voix se rejoignaient toutes, en harmonie, et sonnaient comme la petite voix de derrière le mur de pieux. Elle répondit : « Je ne veux pas ! Je me sens si forte à présent, pleine de vigueur… et je trouve mon poil… agréable. » « Les choses ne marchent pas comme ça ! Tu dois redonner ce qu’on te donne lorsque tu n’en as plus l’utilité ! » Les censitaires s’approchèrent tout doucement d’elle. Ils l’observèrent en silence. Le visage de l’un d’eux s’éclaira d’un rictus pointu. Leurs cent mains se jetèrent sur elle. Ils tiraient le chapeau, le fusil et le chapelet. Ils lui criaient que cela ne lui appartenait pas. Elle tint bon. Ils ne purent lui arracher des mains que le chapelet. Elle les repoussa tous d’un grand geste. Elle les fixa un instant et ne vit en eux que des étrangers méprisants. Elle se retourna et franchit la lourde porte de pieux. Les censitaires la regardèrent partir et lorsqu’elle disparut de leurs regards, ils l’entendirent appeler : « Attendez-moi, les Iroquois ! »
Quelle idée m’as-tu mis dans la tête, pauvre misère!
En marchant et en contemplant les rivières d’explosions polychromatiques polluant le ciel d’un miel bien bruni sur une toast de guimauve volante m’as-tu averti avec des sons stridents et assourdissants!
Était-ce un appel à la guerre, Gaza en feux et la construction de l’Homme à la perte, aux cieux, de mots volants chantés par les armes de la mort;
Une prière à la renaissance,
Une prière à la malchance des peuples bunker du monde capitaliste;
Une prière au tout début d’une réalité naissante obscure,
Cure à cet imaginaire en guerre.
Mais je ne pense guère que ce qui se passe outre-mer n’est béate,
Puisque la fête va bientôt finir,
Elle attend seulement que quelqu’un frappe,
Et se met à battre,
Contre les portes de notre perception obstruée par la désinformation.