Dans le cadre du concours d’écriture féministe ayant pour thème « Regard de l’homme », La rédaction de L’Exilé est heureuse de publier le texte de Morgane Gordon, gagnante de la compétition.
i am the monster under your bed n’aies pas peur ma belle à 25 ans on n’a plus peur des monstres sous le lit on n’a plus peur de se faire attraper par leurs pattes immondes elles ne s’accrochent plus à nos chevilles ne nous attirent plus vers lui on n’a plus peur de se faire regarder par leurs yeux répugnants qui nous dévisagent et nous espionnent le monstre vicieux ne se cache plus sous le lit
i am the monster under your bed n’aies pas peur ma belle c’est un compliment un petit surnom affectueux tu es tellement charmante tu capotes pour rien je veux juste être gentil n’aies pas peur ma belle je te souris mes yeux descendent légèrement avant de retourner aux tiens n’aies pas peur ma belle ma main sur ton épaule n’est qu’un signe familier
i am the monster under your bed n’aies pas peur ma belle embrasse ta gêne sois fière de ta honte plante-la au plus profond de toi croque d’une seule bouchée la douleur n’aies pas peur ma belle arrache ton amertume subit la violence passive laisse-toi marcher dessus pour savoir ce que ça fait n’aies pas peur ma belle ignore-le avale ta voix tu n’es pas écoutée de toute manière
i am the monster under your bed n’aies pas peur ma belle tu es une femme au dos rond au corps ondulé la pièce de viande de ton corps se déchire sous tes propres dents n’aies pas peur ma belle tu es une femme au passé joyeux au regard éteint tu vas être un objet brisé utile n’aies pas peur ma belle tu es une femme qui a peur d’être femme laisse-moi t’expliquer comment être femme n’aies pas peur ma belle aiguise tes cicatrices elles ne sont que mentales
Le texte suivant est un communiqué de presse présentant les démarches des différents syndicats du Cégep du Vieux Montréal afin de faire entendre leur revendications à l’égard de leurs conventions collectives lors des négociations avec l’administration du cégep.
Les syndicats du Cégep du Vieux Montréal déposent leurs demandes de négociation au Comité de direction
Montréal, 29 novembre 2022 – Réunis dans une démarche intersyndicale, le Syndicat des employé∙e∙s de soutien (SEECVM), le Syndicat des professionnel∙les (SPPCVM), le Syndicat des interprètes professionnels (SIP) et le Syndicat des professeur∙e∙s (SPCVM) du Cégep du Vieux Montréal ont déposé dans le cadre d’une action symbolique leur cahier de demandes sectorielles auprès de la direction du collège. Ces cahiers de demandes sont le fruit de consultations des membres menées au cours des derniers mois et s’inscrivent dans le cadre de la négociation de leurs prochaines conventions collectives puisque celles-ci arrivent à échéance le 31 mars prochain.
Lors de l’événement ayant rassemblée une cinquantaine de personnes à la cafétéria du personnel, les représentant∙e∙s des différents syndicats ayant tour à tour pris la parole, se sont montré∙e∙s déterminé∙e∙s et convaincu∙e∙s de la justesse et la pertinence des demandes qui sont faites par l’ensemble des travailleuses et travailleurs syndiqué∙e∙s du CVM.
Julie Gilbert, animatrice lors de l’événement, s’est adressée à la dizaine de représentant∙e∙s de la direction en reprenant le slogan du Front commun des 460 000 syndiqué∙e∙s de la fonction publique impliqué∙e∙s dans la prochaine ronde de négociation :
« Nous, d’une seule voix », nous vous enjoignons de prendre non pas seulement connaissance de ces cahiers, mais de reconnaitre dans ceux-ci des avancés pour toutes et tous : autant le personnel que les étudiant∙e∙s et la direction. Car une institution ayant à son bord une équipe dont on prend soins est une institution qui s’en sort gagnante à tous les niveaux! Nous comptons sur vous pour faire pression auprès de vos instances de négociations pour que cette négociation se conclue avec une vraie reconnaissance de l’expertise, du savoir-faire, de l’expérience et de la valeur du travail de vos équipes ».
Pour Roméo Pilon, président du syndicat des employé∙e∙s de soutien, « il s’avère indispensable d’améliorer les conditions de travail des employé∙e∙s pour mieux soutenir l’éducation »! Les quatre grandes priorités du personnel de soutien sont : 1) valoriser le personnel de soutien en améliorant les conditions de travail ainsi que la conciliation travail et vie personnelle; 2) agir pour la santé, la sécurité et le mieux-être au travail; 3) faciliter le mouvement de personnel, la création et la modification des classes d’emplois; 4) promouvoir de meilleures relations de travail et régler les litiges de manière plus efficace.
Pour la représentante du syndicat des interprètes professionnels, Isabelle Roy, « c’est primordial, pour assurer une attraction et une rétention du personnel dans les cégeps, que les conditions de travail et les conditions salariales soient rehaussées ». (…) « Avec la diversification des effectifs étudiants, la direction devra davantage être à l’écoute des préoccupations et des solutions proposées par le personnel », d’ajouter Mme Roy.
Dans le même sens, Kevin Kaine, président du syndicat des professionnel∙les, ajoute qu’il est important de rappeler que « d’ici 2030, la majeure partie des emplois créés sur le marché du travail demanderont au minimum un diplôme d’études collégiales. Le personnel des cégeps se trouvera une nouvelle fois au cœur des défis que devra relever la société québécoise. Pour y arriver, il faudra s’attaquer aux problèmes de précarité et de surcharge de travail afin de s’assurer de rendre les emplois dans le réseau des cégeps attrayants et afin de retenir notre personnel déjà à l’œuvre ».
Jean-Sébastien Pilon, président du Syndicat des professeur∙e∙s, présente le cahier déposé par l’ensemble des professeur∙e∙s de cégeps de la province. Les enjeux identifiés s’articulent autour de six grands axes. L’alliance des syndicats de professeur∙e∙s de cégep (ASPPC) demandent : 1) de réduire la quantité de précaires (actuellement 40% des professeur∙e∙s du réseau!) et une amélioration des conditions d’insertion professionnelle; 2) d’ajouter des ressources directement dans les classes afin d’améliorer les conditions de travail et de réussite étudiante; 3) de baliser la formation à distance et la formation continue afin de pérenniser le modèle collégial mise à mal par la concurrence de plus en plus exacerbée; 4) d’assurer la collégialité et la transparence dans tous les rapports institutionnels; 5) de favoriser la conciliation famille-travail et vie personnelle; 6) d’améliorer les conditions salariales pour favoriser l’attractivité dans un contexte de pénurie de personnel juxtaposé à la hausse des effectifs étudiants.
C’est tous ensemble que NOUS,d’une seule voix, on se fera voir et entendre dans les prochains mois! Au cégep du Vieux Montréal, la négociation 2023, c’est parti!
Renseignements: Stéphane Thellen 514-980-3430 poste 2086
Dans plusieurs pays sur la planète Terre, les prolétaires célèbrent le 1er mai en tant que « Journée internationale des travailleuses et des travailleurs ». Depuis quand en est-il ainsi? Et surtout pourquoi un tel événement commémoratif et revendicateur?
Image : Wikipédia
Depuis quand?
C’est à l’occasion du Congrès de fondation de la IIe Internationale, tenu à Paris en 1889, que les délégués ouvriers de différents horizons économiques et politiques (syndicalistes, socialistes et marxistes) vont prendre la décision de faire du 1er mai, dans les pays industrialisés capitalistes, une journée d’arrêt de travail visant à commémorer des événements tragiques survenus trois années plus tôt, en 1886, dans la ville américaine de Chicago.
Pourquoi?
Il faut savoir qu’à cette époque, dans certains pays de l’hémisphère ouest, la 2e révolution industrielle est en cours. Le mode de production correspond au capitalisme qui nous met en présence de deux classes sociales fondamentales : la bourgeoisie (les détenteurs des moyens de production) et les prolétaires (des personnes qui pour vivre et survivre ne détiennent qu’une seule chose : la vente de leur force de travail). Durant ce dernier quart du XIXe siècle, la condition ouvrière est peu enviable : la main-d’œuvre est de plus en plus dépouillée de ses qualifications; ce sont quasiment toutes et tous les membres de la même famille ouvrière qui œuvrent dans les usines naissantes; les heures de travail sont longues (jusqu’à 12 à 14 heures par jour); la semaine au boulot est interminable (elle compte en règle générale six jours); le travail des femmes et des enfants est peu encadré par la loi; les conditions de rémunération sont aléatoires et dépendent de la volonté ou de la décision arbitraire du patron; les employeurs n’ont quasiment aucune obligation juridique face à leurs salarié.e.s; les pénalités pour insubordination face aux employeurs ou à ses représentants va de la coupure de salaire jusqu’à la détention dans des cachots improvisés; bref, c’est le règne de l’insécurité au travail et de l’exploitation la plus éhontée. Il est même possible de qualifier la situation dans les entreprises capitalistes à l’époque de « despotisme d’usine ». À la fin du XIXe siècle, dans certains pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, le capitalisme et le libéralisme triomphent. C’est le triomphe du profit pour une minorité (arrogante, dominante, possédante et dirigeante) qui prône le non-interventionnisme de l’État dans l’entreprise privée. La bourgeoisie a créé son opposé qui l’enrichit : la classe laborieuse à qui elle accole l’étiquette de « classe dangereuse » et à qui elle consent peu de droit.
Allons maintenant dans certains détails
Il est généralement reconnu que la Deuxième révolution industrielle se met en place durant la décennie des années 1880. L’utilisation de nouvelles sources d’énergie (l’électricité), de nouveaux moyens de circulation (le train) et la mécanisation des industries naissantes ont des effets majeurs sur le plan social. La population déserte la campagne (le milieu agricole) pour aller s’entasser dans les villes où sont localisées les grandes industries mécanisées qui ont un grand besoin de main-d’œuvre peu qualifiée. À cette époque, le droit de propriété est toujours consacré par la loi comme un rapport sacré et les travailleuses et les travailleurs en usine viennent tout juste de se voir reconnaître (en 1842 aux États-Unis d’Amérique (É-U) et en 1872 au Canada) le droit de s’associer pour négocier collectivement leurs conditions de travail et de rémunération.
Les événements de Haymarket (Chicago) en 1886
Quelques années après la Guerre civile, le capitalisme connaît des années de croissance aux É-U. La grande industrie est la base sur laquelle se développent des associations de travailleurs (des « syndicats ») qui ont pour objectif de lutter en vue d’améliorer les conditions de travail et de rémunération des ouvriers qui sont perçus et traités par les employeurs comme une simple marchandise malléable, corvéable et surtout exploitable à volonté. L’association qui a pour nom « Les Chevaliers du travail » est la première organisation syndicale de masse à voir le jour, en 1876, aux É-U. Il s’agit d’une organisation syndicale de type industrielle. C’est elle qui met sur pied le mouvement de revendication de la journée de travail de 8 heures. Cette revendication aboutit à la grève nationale du 1er mai 1886 qui mobilisa entre 190 000 et 200 000 grévistes aux É-U dont environ 75 000 à 80 000 dans la seule ville de Chicago. La manifestation du 4 mai 1886 à Haymarket donna lieu à un affrontement sanglant qui se solda par de nombreux morts et blessés du côté des ouvriers.
La IIe Internationale
C’est un délégué français, Raymond Lavigne, qui a proposé, lors du congrès de fondation de la IIe Internationale (tenu à Paris en juillet 1889), de faire du 1er mai l’occasion d’une manifestation internationale de solidarité ouvrière en mémoire du tragique « massacre de Chicago ».
Conclusion
Ce sont donc les événements dramatiques survenus à Haymarket – durant la première semaine du mois de mai 1886 – et une décision adoptée lors du Congrès de fondation de la IIe Internationale en 1889, qui sont à l’origine de la « Journée internationale des travailleuses et des travailleurs ». Cette journée commémorative n’est surtout pas à confondre avec la « Fête du Travail » qui a lieu aux États-Unis (depuis 1892) et au Canada (depuis 1894) le premier lundi du mois de septembre. Événement « festif » qui vise à occulter le caractère sanglant, répressif et oppressif du rapport capital / travail salarié. Un jour de congé férié, décrété par deux gouvernements hostiles à la classe ouvrière. Mais, comme dirait l’Autre, ça c’est une autre histoire qu’on m’invitera peut-être un jour à vous relater, dans une de vos prochaines publications!
2022, cela fait maintenant dix ans que le mouvement étudiant déclenchait une grève d’une ampleur et d’une durée sans précédent au Québec. L’objectif de ce mouvement d’opposition était le suivant : l’annulation de la hausse des droits de scolarité projetée par le gouvernement Charest dans le budget de 2012-2013. Et depuis, les droits de scolarité suivent la hausse de l’inflation1. Manifestement, nous sommes loin d’un gel. Oui, la hausse envisagée par le gouvernement Charest, sur la période d’abord de 5 ans et ensuite de 7 ans, a été bloquée. Mais, le gouvernement Marois a mis en place un mécanisme automatique annuel haussier de ces droits. Résultat : les droits (ou les frais ?) de scolarité́ sont toujours en hausse et plusieurs étudiant∙e∙s ne cessent de s’endetter pour accéder au savoir.
Tuile produite par L’Association facultaire étudiante de science politique et de droit de l’UQAM (AFESPED-UQAM)
Combien coûterait l’annulation des droits de scolarité́ à l’université́ au Québec ? À l’époque, le coût de la mesure correspondait à moins de 1% du budget de la province de Québec. Aujourd’hui ? Aujourd’hui cela coûterait beaucoup moins que les 10 milliards du tunnel Levis -Québec promis par le gouvernement caquiste dirigé par François Legault.
Droits de scolarité : l’abolition est une mesure envisageable et possible
Au sortir du conflit étudiant de 2012, l’ex-premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, accordait une entrevue au quotidien Le Devoir2. Entrevue dans laquelle il confirmait que le Québec avait les moyens d’abolir (oui, vous avez bien lu, « abolir ») les droits de scolarité et qu’il s’agissait seulement, pour que cette mesure se concrétise, d’une volonté politique.
Conclusion
Pour obtenir un jour, le gel des droits de scolarité et leur éventuelle abolition, il faut continuer à rappeler de combien ceux-ci augmentent annuellement. Il faut également préciser qu’année après année le gouvernement du Québec a de plus en plus à sa disposition les ressources financières pour les abolir. Il s’agit là, comme le précisait Jacques Parizeau, d’une simple question de volonté́ politique.
Yvan Perrier, Professeur au département de Sciences sociales
Portrait de la mobilisation et des évènements de la semaine de grève du 22 au 25 mars.
Que reste-t-il de la mobilisation et de l’esprit de 2012 dans le monde étudiant du Québec?
Aujourd’hui, certaines personnes jugent que l’implication politique n’est plus ce qu’elle était. Elles considèrent la communauté étudiante plutôt désordonnée et démobilisée dans son état présent.
Toutefois, des enjeux pressants comme la justice climatique pousse plusieurs personnes aux études à s’engager, comme le montre les nombres impressionnants de jeunes qui vont manifester à ce sujet.
Dix ans après 2012, la collectivité étudiante est-elle capable de retisser et de renforcer ses liens de solidarité pour demander une éducation accessible, libre et émancipatrice? La gratuité scolaire est-elle encore un projet pour lequel elle est prête à se battre? La communauté étudiante peut-elle être, encore une fois, un agent de changement dans la société?
C’est pour répondre à ces questions que j’ai documenté mon expérience et celle de mes camarades de l’AGECVM pendant les journées de grève du 22 au 25 mars. En essayant de m’impliquer comme je le pouvais, j’ai observé certains phénomènes, j’ai échangé avec plusieurs personnes, j’ai eu certaines réflexions et j’ai cru apercevoir certains enjeux. Le présent article a pour but de contribuer autant que possible à la construction (ou reconstruction) d’une communauté étudiante plus informée et plus solidaire.
Mise en contexte
Après un long et ardu processus d’adoption des mandats de grève pour le 22 au 25 mars, je me demande à quel point la préoccupation des étudiant-e-s pour des enjeux sociaux est importante. Est-ce que les étudiant-e-s sont prêt-e-s à faire des sacrifices pour améliorer leurs conditions de vie, pour changer la société? Je suis sorti de l’Assemblée générale du 11 mars avec une grande motivation pour les évènements à venir, mais une certaine préoccupation par rapport au réel désir d’engagement de la communauté étudiante…
Durant la semaine de relâche, j’ai essayé de m’impliquer comme je le pouvais dans le comité de mobilisation, qui a comme mandat principal de sensibiliser, mobiliser et coordonner les collégien-ne-s à propos de leurs intérêts et droits. J’y ai rencontré des personnes exceptionnelles qui se dédient et s’épuisent à essayer de faire bouger notre grande collectivité étudiante. Tout ce qui s’est déroulé durant la semaine de grève est en grande partie le fruit de leur travail.
Lundi 21 mars
Le lundi n’est pas une journée de grève, mais la mobilisation est déjà en marche. Après avoir terminé la bannière pour la grève le dimanche soir, le comité de mobilisation travaillent toute la journée pour informer les étudiant-e-s de ce qu’il allait se passer cette semaine.
Un membre du comité Envieuxronnement et moi-même sommes aller visiter les associations étudiantes de l’Université de Montréal pour coordonner des actions communes. À notre déception, plusieurs ne sont pas en mesure de nous suivre cette semaine. Celles qui ont voté des grèves ont déjà planifiés des évènements au même moment que les nôtres. Je ne peux m’empêcher d’être légèrement frustré par cette situation. Nous sommes toutes des personnes en grève, qui sont mobilisées et à peu près en accord sur les mêmes idées, mais nous n’arrivons pas à nous coordonner pour agir ensemble.
Peu importe, la mobilisation au CVM s’est bien déroulée. Tout le monde se prépare pour les quatre jours de piquetage qui vont suivre.
Mardi 22 mars
5h du matin, réveil difficile. Je me dirige péniblement vers le Cégep. Plusieurs personnes sont déjà présentes à mon arrivée. Le contact avec les autres collégien-ne-s et l’ambiance du piquetage me remontent tout de suite le moral. Je me rends compte rapidement que je l’ai bien facile avec mon réveil à 5h. D’autres ont dû se lever beaucoup plus tôt pour être au piquetage. « Après la défaite de l’AG du 10 mars, c’est beau de voir que plusieurs personnes sont présentes ici ce matin pour soutenir la grève », dit une amie et étudiante en Sciences humaines. Effectivement, je me suis dit que le nombre impressionnant de personnes au piquetage remettait peut-être en question au moins en partie le discours de certains sur la dépolitisation des jeunes.
Après la déclaration officielle de grève, plusieurs personnes sont venues en aide aux associations de l’UQAM, afin de les assister pour leur piquetage. L’expérience est intéressante, mais tumultueuse : nous faisons face à deux personnes violentes qui tentent de briser notre piquetage de force. Une d’elles frappe un étudiant du CVM. Malgré cela, le piquetage tient bon et ces évènements nous ont remplis d’énergie pour la suite.
L’évènement principal de la journée est la manifestation pour la gratuité scolaire, qui commence à 13h à la Place du Canada et termine au parc Émilie-Gamelin. Avant la manifestation, plusieurs organisations militantes sont présentes pour distribuer leurs pamphlets, vendre leurs livres et revues ou même pour recruter de nouveaux membres. À un moment, je me suis dit qu’il est un peu absurde d’avoir toutes ces organisations progressistes et anticapitalistes, mais divisées et même parfois presque hostiles les unes aux autres pour ce qui apparaît à mes yeux comme des détails. Est-ce vraiment pertinent de se morceler autant quand il faut mener des combats ensemble pour avoir une chance de gagner nos luttes?
La manifestation est superbe. Même si le nombre de personnes n’est pas aussi élevé qu’à celle d’il y a dix ans, le niveau d’énergie est fort. On donne tout pour crier les phrases et les chants qui nous tiennent à cœur. Nous avons scandé ceux-ci toute la semaine. Même si on est fatigués, on sent le début de quelque chose de beau et on est prêt pour la suite.
Photo : Loïc Drolet – Courtoisie
Mercredi 23 mars
Le mercredi est moins chargé en événements. Après un piquetage moins populaire au Cégep et moins agité à l’UQAM, plusieurs d’entre nous se dirigent à un rassemblement pour la rémunération des stages devant le Consulat général d’Italie. L’évènement a lieu à cet endroit pour protester contre la condition particulièrement précaire des stagiaires dans ce pays, où deux d’entre eux sont morts récemment. Le collectif Un Salaire pour toustes les stagiaires milite actuellement partout au Québec, principalement pour la rémunération de tous les stages.
Jeudi 24 mars
À la suite du piquetage habituel, c’est au Cégep de Saint-Laurent (CSL) que plusieurs d’entre nous se dirigent pour les aider avec leur piquetage. Une fois sur place, le piquetage est terminé, mais cela m’a donné l’occasion de poser des questions à des étudiant-e-s du CSL pour voir quel est l’état de la mobilisation chez eux. J’ai eu la chance de discuter avec une étudiante en musique du collège qui m’a parlé des difficultés de l’organisation de toutes les personnes étudiantes. Cela était-il différent en 2012? Qu’est-ce qui a fait que plus de personnes se sont impliquées dans le mouvement étudiant?
À 11h30, un groupe composé majoritairement de cégepien-ne-s s’est réuni devant les bureaux de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) afin de protester contre ses tentatives d’affaiblissement des assurances collectives des associations étudiantes du Québec. L’occupation fut courte en raison de la pluie, et celle-ci s’est déroulé sans conflit avec la police ou la sécurité.
La journée s’est terminée en force, avec une manifestation de soir pour la rémunération des stages et la gratuité scolaire. La colère générale est palpable, les slogans sont plus vifs, mais il y règne quand même une ambiance positive. Ce qui en ressort avant tout est une frustration réelle, mais légitime, ainsi qu’un refus clair d’accepter la précarité étudiante.
Vendredi 25 mars
Cette quatrième et dernière journée de grève est à la fois triste et soulageante. D’un côté, l’élan de contestation que nous avons aidé à bâtir allait inévitablement perdre de la force après la fin de la grève. Cependant, la fatigue de tous est évidente; il est clair que nous avons besoin d’un répit.
Malgré tout, c’est dans une ambiance de fête que commence la manifestation pour la justice climatique, organisé par le comité du CVM Envieuxronnement. Musique, danse et chant sont au rendez-vous en attendant de se mettre en marche vers le monument George-Étienne Cartier, où va se donner un « teach-in » en début d’après-midi pour la solidarité avec les premiers peuples et la justice climatique.
Fin ou début?
Les évènements du 21 au 25 mars sont-ils des phénomènes isolés ou le début d’un mouvement? Difficile à dire pour l’instant, mais je souhaite sincèrement qu’ils soient le début de quelque chose de plus grand. Le monde ne manque pas de problèmes face auxquels il faut s’indigner. Il ne manque que des solutions, ou plutôt des gouvernements qui écoutent et appliquent les bonnes solutions.
Aujourd’hui, particulièrement, il me semble qu’il est plus que légitime de prendre une pause, de se questionner, de se rassembler et de perturber ne serait-ce qu’un peu le cours des choses pour éviter de perdre tout ce qui nous est cher. On dit parfois que si on ne s’occupe pas de la politique, elle s’occupera de nous. Détournons-nous donc un peu de nos devoirs, de nos bureaux, de nos maisons et de nos bébelles pour nous retrouver ensemble, pour nous rassembler et décider de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons pas!
Les dix ans du printemps érable ainsi que la mobilisation des étudiantes et étudiants durant ces dernières semaines nous forcent à reconsidérer, entre autres, le projet de la gratuité scolaire. Après avoir été le sujet de débat par excellence en 2012, il me semble qu’on entend beaucoup moins parler de la question de l’accès à l’éducation.
Photo : Loïc Drolet – Courtoisie
Pourtant, l’évolution et la situation présente de la condition étudiante est loin d’être idéale. Selon les données du gouvernement colligées par La Presse, les frais de scolarité ont augmenté de 1020$ (en tenant compte de la baisse des crédits d’impôt) depuis 2012, passant de 2 886$ à 3761$ aujourd’hui. En plus de cela, le coût de la vie, et surtout du logement ont augmenté, rendant la vie des personnes étudiantes toujours plus coûteuse.
La rémunération des stages est un autre enjeu important qui a beaucoup été mis de l’avant dans les dernières semaines. Plusieurs stagiaires (surtout celles dans des métiers traditionnellement féminins) doivent travailler un grand nombre d’heures par semaine sans aucune rémunération.
Finalement, bien qu’elle affirme reculer sur ses intentions initiales, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) semble vouloir faire des démarches pour rendre illégale la contribution automatique de tous les membres de l’AGECVM à une assurance collective, ce qui aurait l’effet de réduire considérablement son importance ainsi que d’affaiblir les associations étudiantes.
Tout cela tend vers une plus grande précarité étudiante, c’est-à-dire une instabilité et une insécurité socio-économique plus forte au sein de la communauté étudiante. Les effets négatifs que cette précarité peut avoir sur la santé mentale, physique ainsi que sur la réussite scolaire sont évidents.
Bref, la communauté étudiante est loin de « l’avoir facile » ou d’être à l’abri du genre de mesure comme la hausse des frais de scolarité contre laquelle elle s’est battue en 2012. De plus, la pandémie dans laquelle nous sommes depuis deux ans a grandement affaibli les liens de solidarité entre les étudiants ainsi qu’entre les associations étudiantes.
Avec des élections provinciales cet automne (3 octobre), il se peut très bien que cet enjeu soit l’un des thèmes importants de la campagne. Le dernier budget du gouvernement caquiste est présenté comme offrant « un appui financier accru et une réduction de l’endettement » pour les personnes aux études. Pour cela, le budget du ministre des Finances, Éric Girard, prévoit de fixer la hausse des frais de scolarité à un niveau plus bas que prévu (selon le principe de l’indexation), de financer des mesures de soutien à la réussite et de reconduire pour un an l’élimination des intérêts sur les prêts étudiants instaurés en contexte de pandémie l’année dernière (principalement).
Toutefois, des personnes comme Manon Massé, la co-porte-parole de Québec Solidaire ainsi que certains syndicats enseignants et étudiants considèrent le budget comme étant insuffisant pour lutter contre la précarité étudiante et pour l’accès aux cégeps et universités. De plus, le discours ainsi que le vocabulaire de M. Girard pour parler d’éducation prend une forme plutôt « économique », voire « marchande »: « Nous souhaitons doter le Québec d’un système d’éducation modernisé, plus performant et plus innovant […] Dans un contexte de rareté de main‑d’œuvre, où il faudra augmenter le nombre de Québécois ayant les compétences que recherchent les employeurs au sein de la population active, il faut miser plus que jamais sur l’éducation. » L’une des critiques majeures du mouvement étudiant de 2012 était justement de considérer et traiter l’éducation selon sa seule valeur marchande.
Dans ce contexte, faut-il s’attendre à un retour du grand débat sur l’accès et l’organisation de l’éducation? C’est probable. Je ne m’aventurerai pas à prendre position sur la question ici. Mon souhait était de présenter brièvement la situation de la communauté étudiante aujourd’hui, les grandes lignes par rapport à l’éducation dans le récent budget provincial, puis certaines critiques de celui-ci. C’est aux étudiants et étudiantes de réfléchir individuellement et collectivement sur leurs intérêts ainsi que leurs positions par rapport à l’éducation, pour mieux les protéger et militer pour les faire triompher dans la société.
Voici quelques liens pour vous informer et prendre connaissance de certaines des positions sur la question:
Voici la proposition de grève qui a été faite par l’AGECVM, où est inscrite une liste d’arguments formulée par notre association étudiante pour la gratuité scolaire, la rémunération des stages et les assurances collectives .
Montréal l’hiver, l’amour perdu, les déneigeuses, une conversation intime, le parc Lafontaine, le deuil.
Photo : Beca Slack – Courtoisie
Prière pour une mitaine perdue suit quelques personnes qui cherchent à retrouver leurs objets perdus dans les transports en commun. Nous assistons, cachés derrière la vitre du comptoir à la station Berri-UQAM, à des airs concernés, nerveux, échauffés. Les personnages fouillent désespérément dans des tas de clefs rouillées et de tuques abandonnées. Bientôt, nous quittons le métro pour aller chez ces personnages et connaître leur vie. Pendant 79 minutes, en noir et blanc, une question leur est posée :
« Qu’est-ce que vous avez perdu que vous voudriez ravoir ? »
Le documentaire a fait une deuxième sortie en salle l’hiver dernier, ayant été différé de sa programmation originale en 2020 en raison des mesures sanitaires. Prière pour une mitaine perdue est le sixième film du réalisateur Jean-François Lesage. Dans chacun de ses documentaires, il trouve ses personnages au moment du tournage, souvent dans des lieux publics. Après des études en droit et quelques années comme journaliste, il tombe en amour avec le cinéma chinois, déménage à Pékin et devient documentariste. Lesage fait preuve d’une curiosité allocentrée pour ses sujets et il croit à « l’idée que toute personne pourrait faire l’objet d’un documentaire ». « Je crois que la parole de chacun de nous peut être intéressante si on l’écoute : c’est une question de regard. »1 Le film gagne plusieurs prix dont celui du meilleur long métrage canadien au festival Hot Docs de Toronto, qui est reconnu comme le plus grand festival de documentaires en Amérique du Nord.
Rapidement, le film laisse tomber sa mitaine perdue et entre dans un univers psychologique: le deuil de ceux qu’on ne connait pas. Bien que le documentaire peint un portrait sociologique, voire philosophique, des peines et des amours de Montréalais.e.s, il est porté d’une incontestable poésie. L’objet perdu n’est donc pas le thème central du film, à la déception de certain.e.s, mais au réjouissement d’autres, puisque la suite en vaut la peine. Le sentiment de perte nous prend et on espère avec ces êtres qui nous sont devenu.e.s familier.ère.s un printemps plus doux. Doucement, les sujets ne se livrent plus à la caméra, mais entre eux; nous devenons observateur.trice.s de leurs conversations.
Marianne Polska excelle à la direction photo, le contrôle de la lumière est impeccable et aucun cadrage ne distrait des sujets. Grâce aux mouvements de la caméra et aux différents effets de mise au point, il nous est possible de voir celles et ceux qui ne parlent pas, mais qui écoutent, qui attendent de parler. Ces effets ne sont pas parfaits, certes, mais ils ajoutent à cette sensation de vraisemblance que le film apporte. Les séquences sont toutes assez longues pour nous donner le temps d’absorber toutes les subtilités de leurs conversations. Nous vivons leurs malaises, leurs amours, leur tristesse, leur solitude et leur empathie.
Des plans plus calmes s’emmêlent entre ces témoignages forts en émotions. Accompagnée d’une douce musique jazz, sous nos yeux se dévoile une nuit d’hiver montréalaise. Un rythme mélancolique est créé, le montage nous permet de faire introspection, à se demander si nous aussi nous avons perdu quelque chose qu’on aimerait retrouver. Durant une de ces scènes sans paroles, L’écharpe interprétée par Félix Leclerc joue. La neige et les patineurs du Parc Lafontaine valsent et on pleure un peu. C’est ici que Jean-François Lesage montre sa grande humanité, il nous laisse le temps de tomber en amour avec la parole d’un.e étranger.ère. Ces séquences sont très touchantes, voire thérapeutiques.
Note : ★★★★½
Le film n’est plus en salle mais il est possible de le regarder en ligne sur plusieurs plateformes de visionnement telles que celle des Cinémas Beaubien, du Par et du Musée ainsi que celle du Cinéma Moderne.
Cliquez ici pour visionner la bande annonce du film.
Oh Demain, Pays lointain Tu t’imposes pourtant sur ma journée Pourquoi me fais-tu pleurer? Je crains et je dois avouer Je ne vaincs point mes peurs cachées
Ukraine! Que va-t-il t’arriver ?! Pourquoi m’as-tu aussi fort attaché? Baignée dans l’amour et la liberté Je sors dans ce monde étranger Je respire cet air de confort Qui ne m’est point familier J’ai grandi dans l’instabilité J’ai dû m’habituer à l’idée Que tu te fasses déchirer
Par qui? Par un « ami » Pourquoi? Pour avoir osé? Pour avoir osé prendre ta liberté Pour avoir osé être toi-même Pour avoir osé vivre même!
Malgré tous ces calculs inhumains Tu restes là. Tremblante, mais vivante Malgré toutes ces blessures sur le corps, Tu souris encore.
« Le drapeau d’Ukraine symbolise un ciel bleu et des champs tapissés de blé » – Photo : Dobrych, sous licence Creative Commons
Introduction
Il est parfois difficile de suivre l’actualité des conflits ayant lieu en ce moment, et depuis beaucoup plus longtemps, entre la Russie et l’Ukraine. En reconnaissant l’indépendance autoproclamée des provinces pro-russes dans la région du Donbass le 21 février, et en brandissant ouvertement la menace de guerre le 22 février, la Russie de Poutine a franchi une nouvelle étape dans son annexion et sa volonté de contrôle de l’Ukraine. Plusieurs pays occidentaux comme les États-Unis et le Canada ont protesté de manière formelle contre ces actions, déclarant entre autres des sanctions économiques. Tout cela n’a pas empêché la Russie d’entrer en guerre ouverte contre l’Ukraine le 24 février, en lançant une opération militaire et procédant à des bombardements sur plusieurs villes ukrainiennes. En date du 27 février, le gouvernement ukrainien a affirmé un bilan de 352 civils depuis les débuts de l’offensive militaire de Moscou. La situation évolue constamment, mais il semble bel et bien que la Russie ait décidé de faire un autre pas vers le contrôle total de l’Ukraine et plusieurs ont bien peur que rien ni personne ne puisse l’arrêter pacifiquement.
C’est parce que cette courte présentation ne fait qu’effleurer la surface de cet enjeu et parce que je suis loin d’être un expert sur le sujet que j’ai demandé à Arsenii Pivtorak de m’accorder une entrevue pour en discuter. Vous pourrez lire son poème en introduction à cet article, mais je souhaitais l’interviewer pour savoir quelles étaient ses pensées par rapport à cette situation, considérant son intérêt et son lien intime avec le pays. Arsenii est née et a vécu en Ukraine jusqu’à ses 11 ans. Toute sa famille vit là-bas et iel a plusieurs amis habitant encore ce pays. Iel étudie en sciences humaines, dans le profil Questions internationales.
Échange avec Arsenii
Arsenii m’a parlé très tôt dans l’entrevue de comment l’Ukraine a été fréquemment divisé et déchiré par différentes puissances et différentes guerres. Tout particulièrement, Arsenii a souligné ce qu’iel appelle, pour résumer, le « mariage forcé » imposé entre l’Ukraine et l’URSS durant le 20e siècle. Ce qu’iel voit dans les évènements récents est une tentative forcée de retour à cet ordre passé:
« Pour l’Ukraine, l’existence commune dans un empire ensemble ou dans une union, sous un même État ou un même contrôle avec la Russie est un chapitre terminé. La Russie veut réviser l’histoire, retourner les choses comme elles étaient, mais les Ukrainiens n’en veulent pas. »
Malgré tous les troubles politiques qu’a vécus et que vit l’Ukraine, ce pays a toujours maintenu une culture, une identité et un esprit bien à soi, accompagné d’un nationalisme particulier.
« En fait, la particularité du nationalisme ukrainien c’est qu’il s’est développé sans État. […] Le nationalisme ukrainien se concentre beaucoup sur les gens, la société et la nature en fait. La raison principale de l’émergence du nationalisme en Ukraine qui a contribué à la chute de l’URSS était le désastre écologique de Tchernobyl. »
Sur la situation présente, Arsenii utilise des termes forts pour décrire les actions de la Russie envers l’Ukraine.
« Moi je vois ce qui se passe avec l’Ukraine en ce moment comme du néocolonialisme et du néo impérialisme. La guerre n’était pas inévitable. La guerre a été manufacturée par la Russie. Elle a été préparée soigneusement, autant par la propagande que par l’aspect militaire. »
Iel décrit ainsi la logique qui anime les actions de la Russie:
« La logique de la Russie est vraiment que si l’Ukraine ne nous appartient pas, alors elle n’appartiendra à personne, même pas aux Ukrainiens. Soit qu’elle existe en tant que petite minorité dans notre nouvel empire russe et que les Ukrainiens vont finir par se faire assimiler (…) ou que si l’Ukraine ne veut pas être avec la Russie, alors on va tout faire pour miner le pays dans les fondements. »
Arsenii m’a décrit les actions terroristes effectuées par la Russie, comme des attentats dans des villes causant la mort de plusieurs personnes, notamment pendant la crise de 2014 autour de l’annexion de la Crimée. Selon lui, le but de ces actions est de propager la peur et de créer de l’instabilité au sein de la société.
Iel m’a aussi parlé du rôle crucial que jouait la propagande russe, à la fois pour légitimer ses actions et pour se défendre de toutes critiques.
J’ai voulu questionner Arsenii au sujet de l’effet de la guerre sur le peuple et la société ukrainienne. Selon son expérience personnelle, il y a deux effets principaux sur la population. D’un côté, iel a remarqué que certains ont été mobilisés par la guerre, s’activant à renforcer la solidarité, la résistance et à propager l’intérêt ainsi que la fierté pour la culture ukrainienne. Par contre, la guerre eut aussi, voire surtout des effets plus négatifs.
« Je pense surtout aux jeunes, à mes amis, aux gens que j’ai connus; ça épuise. La guerre, ça épuise. La montée des problèmes de santé mentale, c’est criant. […] Les addictions aussi et les comportements dangereux, si on veut. Bref, la guerre ne passe pas sans effet. Il y a des choses positives que ça a peut-être apporté […] mais en même temps, il y a un grand prix à payer pour ça. »
Pour finir, j’ai demandé à Arsenii ce qu’iel pensait des réactions de la part des États ainsi que des organisations internationales face à l’invasion russe. Iel a commencé par me dire que la reconnaissance du problème par des instances internationales et de grands gouvernements est quand même une bonne chose. Le fait que ceux-ci critiquent la Russie et qu’ils préparent des sanctions économiques contre elle est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il est clair pour Arsenii que cela est gravement insuffisant.
« Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Ukraine ne pourra pas faire face à la Russie seule. […] Pourquoi est-ce que l’OTAN ou l’ONU ne pourraient pas mettre des troupes pour la protection des civils? […] Pourquoi est-ce qu’on attend qu’il y ait des vies perdues comme dans le génocide en Yougoslavie pour ensuite essayer d’agir? Ça va être trop tard, il va déjà y avoir des vies perdues. »
« Les sanctions économiques sont bonnes, mais sur le long terme. La guerre c’est ici et maintenant, pas dans 10 ans. Ce n’est pas suffisant pour sauver autant de vies, il faut un support militaire clair. »
Arsenii s’attriste du fait qu’on en soit rendus à ce point où la discussion et la diplomatie ne semblent plus possibles. Toutefois, considérant l’état des choses, l’Occident doit offrir le soutien nécessaire à l’Ukraine pour l’aider à résister et à combattre les armées russes. Pour iel, il s’agit d’un conflit non seulement autour de territoires, mais de projets ainsi que de principes politiques. Si l’Occident se considère défenseur des droits humains ainsi que de la démocratie, elle doit absolument le montrer en apportant une aide concrète au peuple ukrainien.
Les conflits entre la Russie et l’Ukraine ne risquent pas de finir de si tôt. En fait, cela va surtout dépendre des choix ainsi que des actions de chacune des parties, ainsi que de l’implication (ou non) des gouvernements comme celui du Canada et de la communauté internationale en général. Au niveau de la société civile, mon interlocuteur a mentionné l’importance de se montrer solidaire à la cause ukrainienne, en s’informant et en informant les autres sur la situation. De plus, il est possible de participer à des évènements ou des manifestations en appui à la cause ukrainienne à Montréal, en restant à l’affût sur les réseaux sociaux notamment. L’implication citoyenne est certainement limitée pour ce qu’elle peut sur ce genre d’enjeux internationaux, mais elle est tout de même importante. C’est un acte fort de s’opposer et de dénonçer les injustices, peu importe où elles se font et qui elles frappent. « Injustice anywhere is a threat to justice everywhere », a dit Martin Luther King, montrant l’importance de la dénonciation et de la lutte constante pour la justice, sur tous les fronts, pour tous les peuples et dans tous les lieux.
Récemment, dans le cadre d’un cours, j’ai consulté le résumé du rapport de 2022 sur les inégalités d’Oxfam. Les résultats présentés sont plutôt déconcertants. En termes d’inégalités, on dirait qu’on observe presque toujours les mêmes tendances depuis plusieurs années. Autant à l’intérieur des sociétés riches ou pauvres qu’entre les pays, les écarts de richesses sont énormes, et croissants.
Voici quelques statistiques importantes de leur rapport:
« Les dix hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune, tandis que plus de 160 millions de personnes auraient basculé dans la pauvreté. » (p.7)
« Les inégalités contribuent chaque jour à la mort d’au moins 21 300 personnes » (p.8)
« Depuis 1995, les 1 % les plus fortuné·es ont accaparé près de 20 fois plus » de richesses mondiales que les 50 % les plus pauvres de l’humanité. » (p.6)
L’article souligne aussi comment l’inégalité n’est pas un phénomène qui se manifeste également dans la population. Les femmes ainsi que les personnes racisées sont toujours dans des situations plus précaires. Ils vivent généralement dans plus de misère. Cela les rend susceptibles d’être heurtées particulièrement violemment par le système économique et les actions des gouvernements.
Toutes ces données semblent être plutôt en accord avec plusieurs analyses économiques faites par les institutions les plus haut placées comme l’OCDE, la Banque mondiale et, au niveau local, l’IRIS.
Un point sur lequel le rapport d’Oxfam se démarque positivement des autres, selon moi, est sa manière particulièrement « brute » et directe de présenter le problème de l’inégalité. Le titre du rapport en est l’expression parfaite : « Les inégalités tuent ». Cela nous amène à penser et à approcher les inégalités d’une autre manière.
Depuis sa naissance, la lutte contre l’inégalité a été la préoccupation principale des socialistes partout dans le monde. Par contre, la plupart du temps, on pose l’égalité dans le discours soit comme un principe moral fondamental, à caractère ouvertement religieux ou non, ou comme le sens et le but ultime de l’histoire. La gauche en vient parfois à sacraliser l’égalité à un tel point que l’on peut parfois en perdre le sens. En parlant des effets de la pauvreté en termes de souffrance et de violence, on tombe tout de suite dans quelque chose de plus concret. L’inégalité, locale et mondiale, est un problème réel et non un concept uniquement « théorique » ou moral. Celle-ci nous affecte tous, directement ou indirectement. Les classes et les pays pauvres subissent quotidiennement les troubles du manque. Du côté des classes ainsi que des pays riches, ceux-ci seront incapables de maintenir leur sécurité, leur niveau de vie et leur niveau d’accumulation économique quand les bases principales de leur richesse –les ressources de la planète et le travail des plus démunis – seront épuisées. En considérant cette inégalité plus comme un enjeu de société affectant directement les conditions de vie humaine, on atteint un sens plus profond, selon moi, de l’égalité. Celui-ci est l’idéal du plus grand bien-être pour le plus grand nombre. On doit reconnaître la nécessité d’une certaine égalité des conditions pour une liberté, un bonheur et une harmonie réelle pour tous.
Malgré tout, je reste un peu insatisfait après ma lecture. Je finis souvent ce genre de rapport avec une frustration et un désarroi que je n’arrive pas à canaliser ou à diriger vers une réflexion critique et concrète sur les alternatives, solutions et changements à faire pour combattre ces maux. Les statistiques et les analyses autour de l’accroissement et les effets destructeurs des inégalités abondent. Toutefois, les perspectives de solutions ou d’action qui sont présentées la plupart du temps sont soit abstraites et trop générales, ou trop étriquées, ne proposant rien que des actions superficielles.
Voyons d’abord ce que dit le texte par rapport aux solutions. Je ne traiterai pas de l’échelle internationale du problème, et je me limiterai aux inégalités strictement économiques.
Ma critique principale est qu’il semble qu’on fait face à des messages différents, ou du moins mal définis quant aux diagnostics et aux remèdes à apporter. D’un côté, le rapport semble affirmer la possibilité de changements par l’action politique progressiste, en redistribuant une partie des revenus des plus riches (sous la forme d’impositions et de taxes) vers les plus pauvres (sous la forme de programmes d’aide, de services sociaux et de politiques publiques).
Mais de l’autre côté, on semble suggérer que l’économie telle qu’elle est organisée et qu’elle fonctionne est la source des inégalités monumentales, et que c’est sur celle-ci qu’il faut agir pour régler définitivement les problèmes.
« Les gouvernements doivent réécrire les règles de leurs économies à l’origine de fractures aussi colossales » (p.15)
Bref, malgré les analyses très convaincantes et appuyées ainsi qu’un plaidoyer fort pour la lutte contre l’inégalité, il me semble que le texte a de la misère à se positionner clairement par rapport aux solutions concrètes à apporter.
Ce qui résulte de la lecture du rapport est un certain flou, dont l’enjeu principal peut se résumer très simplement: est-ce qu’on doit passer par la réforme ou par le changement radical (la “révolution”) pour agir adéquatement par rapport au problème des inégalités? Est-ce que notre économie est quelque chose de viable ou d’acceptable à condition d’un bon encadrement? Ou est-ce qu’elle est un problème en soi, dont il faudrait se débarrasser si on veut définitivement en finir avec la souffrance et la misère des inégalités?
La question est évidemment plus nuancée quand on entre dans les détails, et elle est plutôt « théorique » mais elle se pose en tant qu’elle décrit une tension constante dans le socialisme, depuis ses débuts. Pour être capable d’agir dans la société et s’impliquer dans des luttes, je crois qu’il faut avoir conscience de ce genre de dilemme.
De manière très brève, le problème est que notre système économique, le capitalisme, produit des quantités de richesses immenses et croissantes, mais distribuées de manière très inégales. Laissé à soi-même, le capitalisme tend à accroître les inégalités entre ceux qui doivent se procurer leurs moyens d’existence en travaillant dans des entreprises pour un salaire (salariés) et ceux qui possèdent leurs entreprises (propriétaires ou patrons), pouvant faire travailler les autres pour eux et accumulant du profit. Ce profit leur permet d’acheter des moyens de production, de faire des investissements, etc. Bref, de s’enrichir encore plus (de manière exponentielle). Sans entrer dans plus de détails sur cette dynamique, qui est beaucoup plus complexe, le fait est que les inégalités sont un produit direct et essentiel du capitalisme. Comme le montre l’analyse d’Oxfam et plusieurs autres cités plus haut, le capitalisme laissé à soi-même tend presque automatiquement à produire ou aggraver les inégalités.
La solution principale qui a été proposée et appliquée à cela est celle de la réforme. On considère que l’État interventionniste plutôt fort est un instrument ayant la capacité d’équilibrer et réglementer le capitalisme dans sa tendance à produire de l’inégalité.
Ce modèle a effectivement été essayé et eut un certain succès durant les années d’après-guerre dans certains pays occidentaux (« les Trente Glorieuses », auxquels le texte fait référence positivement). Toutefois, à partir des années 1980, l’État providence a commencé à être démantelé progressivement dans plusieurs pays, laissant libre cours à l’accumulation et au libre fonctionnement du capitalisme, et donc à sa tendance inégalitaire. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le néolibéralisme.
Donc, face à cela, est-ce que le rétablissement d’un État providence fort est quelque chose de possible? D’envisageable? Est-ce que celui-ci est capable de promouvoir et permettre une égalité et une liberté réelle? Durable? Stable? Est-ce que la logique du capitalisme voue nécessairement ce mode de gouvernement à l’échec (inflation, problèmes de gestion, dettes trop grandes, pressions et critiques des élites économiques et financières, possibilités de corruptions, danger potentiel de virage totalitaire, etc.) ?
Si l’option de la réforme est impossible ou non désirable, alors il me semble qu’il faut considérer sérieusement des alternatives concrètes au capitalisme. Le communisme est bel et bien le modèle de société le plus complet qui a été proposé contre celui-ci, proposant une société complètement égalitaire par la possession commune des moyens de production ainsi que des revenus de cette production. Toutefois, est-ce que celui-ci a encore un avenir et une puissance critique aujourd’hui? Est-ce qu’il contient les principes et les idées de la société vers laquelle nous devrions nous diriger, ou est-ce qu’il doit être laissé au passé comme une idée intéressante, mais à oublier ou à éviter ?
Si c’est à nous de choisir, le véritable choix à faire est: réforme ou révolution. S’ il doit y avoir révolution, pourquoi, vers quoi et comment? Ce n’est pas un choix facile, mais si nous ne le faisons pas, nous allons le subir. Nous devons établir les bons diagnostics pour essayer d’appliquer les remèdes adéquats. Ce sera à nous d’essayer de répondre aux difficultés de nos sociétés ainsi que de notre temps, comme l’inégalité, avec des idées fortes. Nous devons avoir un projet concret pour travailler à faire advenir un monde plus sain, où le bien-être de tous est posé comme le plus grand bien.
En février, plusieurs pays à travers le monde, dont le Canada, célèbrent le Mois de l’Histoire des Noirs (MHN). Sous l’initiative d’organisations de la société civile et de certains représentants ou élus, de multiples États ont passé des lois faisant du mois de février le Mois de l’Histoire des Noirs depuis les années 1970 et 1980. Cependant, cet évènement était déjà organisé et fêté sous une forme ou une autre par et dans plusieurs communautés noires au Canada et aux États-Unis depuis les années trente. En 2007, une loi qui avait été votée par l’Assemblée nationale du Québec l’année précédente entre en vigueur, instituant officiellement le MHN dans la province.
Tel que mentionné par le site web, le Mois de l’Histoire des Noirs a comme principaux objectifs de « souligner la contribution historique des communautés noires à la société québécoise » ainsi que de mettre « en évidence les enjeux sociaux, économiques, culturels, éducatifs et institutionnels qui touchent les communautés noires ». Durant tout le mois, des visionnements de films, des cours de musique, des conférences et plusieurs autres types d’activités se dérouleront à ces fins. Vous pouvez consulter le site web de l’évènement où vous retrouverez entre autres la programmation des activités.
Une entrevue avec M. Frantz Benjamin
Depuis 2018, M. Frantz Benjamin est député de la circonscription Viau pour le Parti libéral du Québec. Dans son passé, il a occupé plusieurs autres fonctions dont conseiller municipal ainsi que consultant en relations interculturelles et en gestion de la diversité (de 2004 à 2009). Il sera présent le 17 février au cégep pour une table ronde sur le thème du Mois de l’Histoire des Noirs. Voici ce qui est ressorti de notre échange.
« La présence des Noirs au Québec, c’est une présence qui se compte en siècles, et pas en décennies ni en terme d’années. […] Les Noirs sont présents partout au Québec, dans toutes les régions du Québec. »
M. Benjamin a tout de suite souligné comment la présence de Noirs d’origines distinctes dans toutes les régions et les domaines de la vie québécoise doit nécessairement impliquer une meilleure connaissance de leurs réalités ainsi que de leur histoire. Selon lui, c’est quelque chose qui s’impose pour le vivre-ensemble afin de mieux se connaître et de s’enrichir culturellement les uns les autres. C’est aussi et autant pour permettre de s’attaquer à des enjeux économiques, politiques et autres touchant particulièrement les afro-descendants vivant au Québec.
« C’est un mois de festivités, donc où on peut découvrir les cultures des communautés noires […] mais c’est aussi un mois de débats, d’échanges, de partages, et c’est pour cette raison que oui, c’est le mois de l’histoire des Noirs, mais c’est un mois tout québécois selon moi. »
L’histoire enseignée dans nos sociétés est de plus en plus critiquée, notamment par rapport aux enjeux autour des potentiels biais dans l’enseignement et dans l’interprétation de l’histoire qu’on transmet dans les écoles. Voici ce que Frantz Benjamin m’a dit à ce sujet:
« Je crois fondamentalement que les livres d’histoire doivent dire la réalité, mais toutes les réalités, et moi je suis de ceux qui croient que oui, il faut travailler sur les enjeux d’inclusion des perspectives historiques des autres groupes, de tous les groupes dans les livres d’histoire. »
« Ça fait quelques années que je rencontre des groupes de jeunes Noirs pour leur dire que, vous savez quoi, l’histoire des Noirs n’a pas commencé avec l’esclavage. […] Ramener l’histoire des Noirs à la seule perspective de l’esclavage, c’est très réducteur. […] Il faut aussi apprendre aux jeunes Noirs, et à tout le monde, l’apport et la contribution des Noirs à la collectivité. »
M. Benjamin est allé plus en détail sur les enjeux et les problématiques que vivent et endurent encore les communautés noires comme le profilage racial, les crimes haineux, dont ils sont encore les plus grandes victimes au Canada, ainsi que la surreprésentation dans les lieux d’incarcération. Plus récemment, la pandémie a frappé de manière disproportionnée les Noirs du Québec et d’Amérique en général, comme l’a souligné mon interlocuteur, en infectant et tuant en un plus grand pourcentage dans les collectivités noires en comparaison au reste de la population. Cela a plusieurs causes, mais la pauvreté dans les quartiers majoritairement afro-descendants en est certainement une pour le député libéral.
« Ce sont autant d’enjeux qui méritent que nous ayons, que nous puissions avoir une conversation franche, mais une véritable conversation sur ces enjeux-là pour dire comme société, quels sont les leviers que nous mettons en place pour favoriser une véritable égalité, une véritable inclusion », mentionne Frantz Benjamin.
La chose est claire pour le député de Viau : en plus et au-delà de l’apprentissage et la sensibilisation que permet un évènement comme le MHN, celui-ci doit avoir comme but de contribuer et participer à la construction d’une société plus juste pour tous.
« Quand on veut enrayer les disparités, quand on veut enrayer les inégalités, il faut se doter de lois, de programmes, mais surtout des indicateurs et des mesures d’imputabilité », dit M. Benjamin.
Pour en apprendre plus au sujet du Mois de l’Histoire des Noirs, vous pouvez évidemment consulter le site web de l’événement. Vous êtes aussi les bienvenus à participer à la table ronde qui se déroulera ce jeudi 17 février à 12h00 au CVM, au local A4.82. Il sera question de diversité, de représentativité, de racisme systémique et de plusieurs autres sujets à débat autour du vivre-ensemble dans une société multiculturelle. M. Benjamin sera présent, accompagné de Dominique Ollivier, qui occupe entre autres la fonction de conseillère de Rosemont-La-Petite-Patrie pour Projet Montréal, ainsi que de Marie-Eve-Lyne Michel, candidate dans Laurier-Ste-Marie pour le Bloc québécois aux dernières élections fédérales.