Elle détruit et donne la mort à tout ce qu’elle touche;
La peau, elle la marque, le tabac, elle le brûle, et le poumon, elle lui impose son enfer noir et cancéreux d’un train sans fin s’enfonçant dans le fond de la dépendance;
La cigarette danse et danse au bout de ma bouche et de celle, de ceux qui l’entoure, enveloppé de leur bec sec, ratatiné, raté, l’amour d’un baiser envolé;
La cigarette au bout de mes lèvres comme un baiser alcoolique.
J’ai une étoile rouge au bout de ma cigarette,
Je l’aspire, pire encore, je la dévore par mes bronches;
Le bout de ma clope rongée par la boule de chaleur, luisante sur le manche et sombre en fumée;
L’argent envolé, enfumé dans un paquet de vingt, vingt fois plus coûteux que la chaleur d’un regard posé sur ma personne.
Notre monde part en fumée. Notre économie part en fumée;
Le Québec, notre culture, la langue française ainsi
Que les langues autochtones partent en fumée;
Ma tête n’est que fumée, mes jambes fumées, mes bras fumées;
La terre, si belle, si naturelle, couleur fumée;
Brique par-dessus brique, fumée;
Les bombes tombent, fumée, fumée noire;
Nos ombres disparues, par la fumée.
Les soirées de boite, à boire, éclipsé par la fumée;
De Saint-Denis à Saint-Laurent, des bars miteux où les mineurs, telle une fumée paisible, se faufilent dans la fumée d’évènements d’un soir, de bars de fumeurs. Tout le monde fume.
[…] j’éprouvai que quand Dieu donne des forces il n’y a rien d’impossible.
— Mademoiselle Marie Madeleine de Verchère
-Victor Vallée
C’est par une douce matinée d’automne que Dieu fit s’abattre la guerre sur la jeune Madeleine. Le fort Verchère, au pied du courant, se tenait digne, mais chétif, dans la longue vallée du Saint-Laurent. Ce jour-là, Madeleine, quatorze ans, s’était levée tôt pour assister les agriculteurs qui entretenaient leurs plantations tout autour du fort. C’était habituellement sa mère qui s’en chargeait, ou son père parfois, mais les deux étaient partis en voyage, régler des affaires coloniales. Les yeux encore embués par la fatigue, les paysans sortaient un à un par la grande porte faite de hauts pieux piteux et s’en allaient vers les champs pour labourer les sections qui l’avaient mal été. Madeleine les accompagnait, promenant son regard çà et là sur le territoire sauvage qui s’étalait devant elle. Elle fit bien d’ailleurs, puisque ce fut elle qui, la première, vit les Iroquois. Ils sortirent en bande hors de la forêt, tigrés d’ombre, l’œil vif et les mains serrées autour de leurs longs fusils. Ils tirèrent : 45 balles fauchèrent le champ. Madeleine, éberluée, resta droite comme un i. La Bible disait : « Je loue Dieu pour sa parole. Je me confie en Dieu, je n’ai peur de rien : que peuvent me faire des créatures ? » Si l’on observait un peu les paysans, la réponse aurait été : elles peuvent terroriser. Ils jetaient leurs outils au sol et se précipitaient vers la palissade. Certains saignaient. Un vieil homme s’écria : « Sauvez-vous, mademoiselle de Verchère ! » Comprenant enfin, elle se retourna et se mit à courir, mais trop tard : une main empoignait l’arrière de son mouchoir de col. Elle le délia sans regarder en arrière. Elle accéléra la cadence en entamant une petite prière pour la Vierge : « Vierge sainte, mère de mon Dieu, vous savez que je vous ai toujours honorée et aimée comme ma chère mère, ne m’abandonnez pas dans le danger où je me trouve ; j’aime mille fois mieux périr que de tomber entre les mains d’une nation qui ne vous connait pas. » Lorsque Madeleine fut assez proche des portes, elle cria aux armes. Elle fit entrer les quelques censitaires qui restaient plantés devant la palissade en beuglant et en pleurant et referma les portes derrière eux. Tout le monde la regardait, ne sachant où se mettre. Elle comprit alors quelque chose de particulièrement fâcheux : elle avait à défendre le fort et elle avait à le faire seule. Elle sentit comme un éclat de braise dans son cœur. La chaleur se changea en bourdonnement qui se répandit dans tout son corps. Elle entendit une petite voix. Elle était comme cachée derrière le mur de pieux. Elle lui disait : « Tu dois prendre ton chapelet d’une main et le fusil de l’autre. Tu dois mettre le chapeau de soldat sur ta tête. Tu dois bouter les Iroquois hors de chez toi ! » Elle ne comprenait pas exactement ce qu’elle devait faire, mais ses pieds se mirent à bouger sans qu’elle ne l’ait décidé. Dans la redoute, elle trouva un vieux chapeau et une arme poussiéreuse. Elle enfonça le chapeau sur sa tête et elle passa son chapelet autour du fusil. Soudain, son corps se mit à vibrer. Elle sentit du poil viril couvrir sa poitrine d’enfant et ses jambes, elle sentit la barbe gratter ses pommettes et elle grandit de quelques pouces. Une force mâle lui sortit du corps : elle courut de bastion en bastion en tirant sur les Iroquois et en allumant toutes les mèches de canon qu’elle croisa. Elle ajoutait à ses tirs précis et fatals des cris de guerre graves et rieurs. Vu de l’extérieur, le chapeau de soldat apparaissait et disparaissait dans la fumée et la poussière, tout autour du haut du fort. Les Iroquois se replièrent rapidement. Madeleine se calma. Respirant bruyamment, elle cria : « Victoire ! » Les censitaires l’acclamèrent. Lorsqu’elle revint proche d’eux, ils ne l’acclamaient plus, ils la dévisageaient. « Quelle étrange jeune femme vous faites. Enlevez votre chapeau. » La sueur perlait sur le front de Madeleine. Elle dit de sa voix grave : « Je viens de protéger votre salut, grâce à Dieu, et c’est tout ce que vous trouvez à dire ? » Les censitaires firent un pas en arrière. « Nous sommes sûrs que Dieu te remercie pour ton travail, mais nous sommes aussi sûrs qu’il aimerait que tu déposes l’arme et le chapeau. » Les voix se rejoignaient toutes, en harmonie, et sonnaient comme la petite voix de derrière le mur de pieux. Elle répondit : « Je ne veux pas ! Je me sens si forte à présent, pleine de vigueur… et je trouve mon poil… agréable. » « Les choses ne marchent pas comme ça ! Tu dois redonner ce qu’on te donne lorsque tu n’en as plus l’utilité ! » Les censitaires s’approchèrent tout doucement d’elle. Ils l’observèrent en silence. Le visage de l’un d’eux s’éclaira d’un rictus pointu. Leurs cent mains se jetèrent sur elle. Ils tiraient le chapeau, le fusil et le chapelet. Ils lui criaient que cela ne lui appartenait pas. Elle tint bon. Ils ne purent lui arracher des mains que le chapelet. Elle les repoussa tous d’un grand geste. Elle les fixa un instant et ne vit en eux que des étrangers méprisants. Elle se retourna et franchit la lourde porte de pieux. Les censitaires la regardèrent partir et lorsqu’elle disparut de leurs regards, ils l’entendirent appeler : « Attendez-moi, les Iroquois ! »
Quelle idée m’as-tu mis dans la tête, pauvre misère!
En marchant et en contemplant les rivières d’explosions polychromatiques polluant le ciel d’un miel bien bruni sur une toast de guimauve volante m’as-tu averti avec des sons stridents et assourdissants!
Était-ce un appel à la guerre, Gaza en feux et la construction de l’Homme à la perte, aux cieux, de mots volants chantés par les armes de la mort;
Une prière à la renaissance,
Une prière à la malchance des peuples bunker du monde capitaliste;
Une prière au tout début d’une réalité naissante obscure,
Cure à cet imaginaire en guerre.
Mais je ne pense guère que ce qui se passe outre-mer n’est béate,
Puisque la fête va bientôt finir,
Elle attend seulement que quelqu’un frappe,
Et se met à battre,
Contre les portes de notre perception obstruée par la désinformation.
Affiche promotionnelle pour l’exposition au centre Plygon. Crédit: Éléonore Ines
Le Musée d’Art contemporain de Montréal présenta dernièrement son nouveau calendrier culturel, affichant ce qu’il a à nous offrir dans les mois à venir, commençant par l’expérience PHASE SHIFTING INDEX, installation de l’artiste canadien Jeremy Shaw.
L’exposition, qui fut créée pour le centre Pompidou à Paris, réside actuellement à la galerie Polygon de Vancouver, et ce, jusqu’au 24 septembre. Elle sera ensuite présentée par le MAC du 12 décembre 2023 au 25 février 2024 dans les locaux de la Fonderie Darling (les locaux temporaires du MAC à la place Ville-Marie ne permettant pas d’accommoder une installation d’une telle envergure). La présentation nord-américaine de PHASE SHIFTING INDEX nous est présentée en collaboration par la galerie Polygon et le Musée d’art contemporain de Montréal, commissionnée pour le MAC par John Zeppetelli et Raphaëlle Cormier.
Il est difficile de s’approprier quelque chose qui n’existe pas. C’est pourtant ce qui définit le génie de l’artiste. Né à Vancouver et aujourd’hui basé à Berlin, Jeremy Shaw est un artiste visuel qui explore différentes pratiques transcendantes à travers un angle technologique et multidisciplinaire. En s’attardant sur la question métaphysique du principe moderne de la réalité, Shaw propose au public une expérience immersive dans une culture parascientifique dépassant le statut actuel de la connaissance et de la compréhension humaines.
Le projet explore, à travers le phénomène des subcultures, notre obsession intemporelle envers le principe de la transcendance. L’installation met en scène 7 grands écrans sur lesquels sont présentées sept vidéos d’une durée de 36 minutes qui jouent ensemble, en boucle, fusionnant en créant une synergie électrisante. Les visuels sont accompagnés d’une bande sonore poignante, composée par le DJ canadien Konrad Black.
Les courts-métrages présentent chacun une troupe de danse fictive qui utilise, à travers leur pratique respective, le corps physique comme un outil afin d’évoluer vers un état métaphysique. Ces groupes de danse possèdent des valeurs et des idéologies différentes. Cependant, c’est l’utilisation du corps comme vaisseau qui unit ces individus et qui crée une subculture fictive dépassant la nécessité de frontières temporelles et physiques. Bien que cela peut sembler contradictoire, le résultat concret laisse l’auditeur s’imaginer qu’il est en train d’écouter un documentaire. Or le tout est orchestré par l’artiste qui réussit à tester notre perception de la réalité en créant tout simplement une fausse réalité.
Pendant qu’on est distrait par la myriade hypnotisante des danseurs artificiels, notre cerveau assimile certaines informations qu’on ne prend pas la peine de remettre en question. Nos cinq sens, naïfs, sont trahis par leur stimulation immédiate et la perception de l’auditeur concernant ce qui se trouve devant lui est définie par une illusion imposée par l’artiste. Le développement de cette réalité paradoxale est tissé à travers plusieurs repères culturels qu’on associe à une certaine époque. L’utilisation de médiums délaissés (pellicule 16 mm, VHS, Hi-8) vient instaurer un sentiment de familiarité chez l’auditeur, qui associe inconsciemment le contenu visuel à une époque qu’il connaît. Les costumes, inspirés de différentes modes des années 60-90, contribuent également à la création d’une narrative que le public reconnait, à laquelle il peut s’associer. Or, l’important ici est que cette narrative est créée, justement, par le public. Les repères de l’auditeur sont stimulés dans le but d’exploiter sa naïveté. La construction de cette réalité parallèle par l’artiste sert à créer un sentiment de confort, du connu, avec l’unique but de pouvoir venir déconstruire cette même narrative. En effet, il faut être confortable pour pouvoir devenir inconfortable. Dès que l’artiste vient vouloir briser cette narrative, on bascule vers une pratique plus contemporaine, s’apprêtant à des rendus technologiques qui viennent littéralement transcender les contraintes de l’existence des acteurs dans un monde physique.
Je n’en dirai pas plus, partiellement car je ne saurais le faire. On pourrait croire qu’il est impossible d’illustrer visuellement un phénomène qui est défini par son existence à l’extérieur d’une réalité physique et temporelle. J’ose croire que Shaw réussira à changer votre avis.
La présentation est mise en scène dans une grande pièce, grise dans sa totalité, où l’on ne perçoit que les 7 écrans et quelques bancs, également gris, mis à la disposition du public. Immergé dans ce cocon, le public se retrouve soudainement déconnecté de ce qui ne se trouve pas directement devant lui. Prévoyez pour votre visite une plage horaire suffisante, car il est indispensable pour l’auditeur de vivre la présentation de 36 minutes dans sa totalité.