III. Une clopine

Un poème de Aymeric Lalonde

J’ai une étoile rouge au bout de ma cigarette,

Elle détruit et donne la mort à tout ce qu’elle touche;

La peau, elle la marque, le tabac, elle le brûle, et le poumon, elle lui impose son enfer noir et cancéreux d’un train sans fin s’enfonçant dans le fond de la dépendance;

La cigarette danse et danse au bout de ma bouche et de celle, de ceux qui l’entoure, enveloppé de leur bec sec, ratatiné, raté, l’amour d’un baiser envolé;

La cigarette au bout de mes lèvres comme un baiser alcoolique.

J’ai une étoile rouge au bout de ma cigarette,

Je l’aspire, pire encore, je la dévore par mes bronches;

Le bout de ma clope rongée par la boule de chaleur, luisante sur le manche et sombre en fumée;

L’argent envolé, enfumé dans un paquet de vingt, vingt fois plus coûteux que la chaleur d’un regard posé sur ma personne.

L’amour j’en fume,

L’amour me donne le cancer.

IIII. Fumée

Un poème de Aymeric Lalonde

Fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée! fumée!

Notre monde part en fumée. Notre économie part en fumée;

Le Québec, notre culture, la langue française ainsi

Que les langues autochtones partent en fumée;

Ma tête n’est que fumée, mes jambes fumées, mes bras fumées;

La terre, si belle, si naturelle, couleur fumée;

Brique par-dessus brique, fumée;

Les bombes tombent, fumée, fumée noire;

Nos ombres disparues, par la fumée.

Les soirées de boite, à boire, éclipsé par la fumée;

De Saint-Denis à Saint-Laurent, des bars miteux où les mineurs, telle une fumée paisible, se faufilent dans la fumée d’évènements d’un soir, de bars de fumeurs. Tout le monde fume.

Hormipotence

Un texte de Victor Vallée

[…] j’éprouvai que quand Dieu donne des forces il n’y a rien d’impossible.

— Mademoiselle Marie Madeleine de Verchère

-Victor Vallée

C’est par une douce matinée d’automne que Dieu fit s’abattre la guerre sur la jeune Madeleine. Le fort Verchère, au pied du courant, se tenait digne, mais chétif, dans la longue vallée du Saint-Laurent. Ce jour-là, Madeleine, quatorze ans, s’était levée tôt pour assister les agriculteurs qui entretenaient leurs plantations tout autour du fort. C’était habituellement sa mère qui s’en chargeait, ou son père parfois, mais les deux étaient partis en voyage, régler des affaires coloniales. Les yeux encore embués par la fatigue, les paysans sortaient un à un par la grande porte faite de hauts pieux piteux et s’en allaient vers les champs pour labourer les sections qui l’avaient mal été. Madeleine les accompagnait, promenant son regard çà et là sur le territoire sauvage qui s’étalait devant elle. Elle fit bien d’ailleurs, puisque ce fut elle qui, la première, vit les Iroquois. Ils sortirent en bande hors de la forêt, tigrés d’ombre, l’œil vif et les mains serrées autour de leurs longs fusils. Ils tirèrent : 45 balles fauchèrent le champ. Madeleine, éberluée, resta droite comme un i. La Bible disait : « Je loue Dieu pour sa parole. Je me confie en Dieu, je n’ai peur de rien : que peuvent me faire des créatures ? » Si l’on observait un peu les paysans, la réponse aurait été : elles peuvent terroriser. Ils jetaient leurs outils au sol et se précipitaient vers la palissade. Certains saignaient. Un vieil homme s’écria : « Sauvez-vous, mademoiselle de Verchère ! » Comprenant enfin, elle se retourna et se mit à courir, mais trop tard : une main empoignait l’arrière de son mouchoir de col. Elle le délia sans regarder en arrière. Elle accéléra la cadence en entamant une petite prière pour la Vierge : « Vierge sainte, mère de mon Dieu, vous savez que je vous ai toujours honorée et aimée comme ma chère mère, ne m’abandonnez pas dans le danger où je me trouve ; j’aime mille fois mieux périr que de tomber entre les mains d’une nation qui ne vous connait pas. » Lorsque Madeleine fut assez proche des portes, elle cria aux armes. Elle fit entrer les quelques censitaires qui restaient plantés devant la palissade en beuglant et en pleurant et referma les portes derrière eux. Tout le monde la regardait, ne sachant où se mettre. Elle comprit alors quelque chose de particulièrement fâcheux : elle avait à défendre le fort et elle avait à le faire seule. Elle sentit comme un éclat de braise dans son cœur. La chaleur se changea en bourdonnement qui se répandit dans tout son corps. Elle entendit une petite voix. Elle était comme cachée derrière le mur de pieux. Elle lui disait : « Tu dois prendre ton chapelet d’une main et le fusil de l’autre. Tu dois mettre le chapeau de soldat sur ta tête. Tu dois bouter les Iroquois hors de chez toi ! » Elle ne comprenait pas exactement ce qu’elle devait faire, mais ses pieds se mirent à bouger sans qu’elle ne l’ait décidé. Dans la redoute, elle trouva un vieux chapeau et une arme poussiéreuse. Elle enfonça le chapeau sur sa tête et elle passa son chapelet autour du fusil. Soudain, son corps se mit à vibrer. Elle sentit du poil viril couvrir sa poitrine d’enfant et ses jambes, elle sentit la barbe gratter ses pommettes et elle grandit de quelques pouces. Une force mâle lui sortit du corps : elle courut de bastion en bastion en tirant sur les Iroquois et en allumant toutes les mèches de canon qu’elle croisa. Elle ajoutait à ses tirs précis et fatals des cris de guerre graves et rieurs. Vu de l’extérieur, le chapeau de soldat apparaissait et disparaissait dans la fumée et la poussière, tout autour du haut du fort. Les Iroquois se replièrent rapidement. Madeleine se calma. Respirant bruyamment, elle cria : « Victoire ! » Les censitaires l’acclamèrent. Lorsqu’elle revint proche d’eux, ils ne l’acclamaient plus, ils la dévisageaient. « Quelle étrange jeune femme vous faites. Enlevez votre chapeau. » La sueur perlait sur le front de Madeleine. Elle dit de sa voix grave : « Je viens de protéger votre salut, grâce à Dieu, et c’est tout ce que vous trouvez à dire ? » Les censitaires firent un pas en arrière. « Nous sommes sûrs que Dieu te remercie pour ton travail, mais nous sommes aussi sûrs qu’il aimerait que tu déposes l’arme et le chapeau. » Les voix se rejoignaient toutes, en harmonie, et sonnaient comme la petite voix de derrière le mur de pieux. Elle répondit : « Je ne veux pas ! Je me sens si forte à présent, pleine de vigueur… et je trouve mon poil… agréable. » « Les choses ne marchent pas comme ça ! Tu dois redonner ce qu’on te donne lorsque tu n’en as plus l’utilité ! » Les censitaires s’approchèrent tout doucement d’elle. Ils l’observèrent en silence. Le visage de l’un d’eux s’éclaira d’un rictus pointu. Leurs cent mains se jetèrent sur elle. Ils tiraient le chapeau, le fusil et le chapelet. Ils lui criaient que cela ne lui appartenait pas. Elle tint bon. Ils ne purent lui arracher des mains que le chapelet. Elle les repoussa tous d’un grand geste. Elle les fixa un instant et ne vit en eux que des étrangers méprisants. Elle se retourna et franchit la lourde porte de pieux. Les censitaires la regardèrent partir et lorsqu’elle disparut de leurs regards, ils l’entendirent appeler : « Attendez-moi, les Iroquois ! »

Elya Corbeil

si la terre un jour tombe

qu’elle est creuse par le manque

et bien je serai silencieuse

parce que la nouvelle inertie

celle qui l’empêche de tourner

m’aura figé dans la glace

la glace que tu hais

fainéantise naturelle

l’hiver ne s’en va jamais

xx

Elya Corbeil

quelques fois je me perds

et j’oublie que j’aime exister

pas longtemps

juste assez pour ressentir

le vertige d’une vie

une peur actantielle

c’est le souterrain qui défile à ma gauche

le béton sale

les lumières stridentes

les stations de métro immortelles

folie souterraine

j’avais envie de prendre ta main

te laisser m’emporter ou tu veux

dans le creux des montagnes

ou dans les os des constellations

maintenant je subi mon propre sort

je me lance dans le vide

xx

La Révolution

7 février 2022

Crédit photo : Clovis Fecteau

Mes frères, mes sœurs, mes amis,

Notre monde est révolu,

Les patelins, parasites de la bonne conscience

Nous collent au cul comme des sangsues immarcescibles

Suçant les queues gorgées de pétrole

De nos politiciens à gogo

Croque-lardons de nos services publics

Et parangons de l’hypocrisie à deux balles

Si c’est nous qu’ils veulent faire taire

Alors qu’ils préparent leurs prières

Nous laverons nos cuillères à la serpillère

Pour faire place à leurs carcasses de rapace

Dans les bols d’Interpol

Car nul lion ne peut empêcher le troupeau entier

De gravir l’escalier du savoir

Nous gamahucherons le pertuis de votre ouverture d’esprit,

Et en forcerons l’entrée du sexe de notre culture

Et si vos tyrans des génocides

Veulent nous enfermer entre les murs de Jéricho

Alors nous ferons sonner les trompettes,

Écliptique jouissance de notre indiscipline érotique

Dans les salons de notre intelligence sous-estimée

Et nous casserons les tympans méprisables

De tous les pouvoirs qui imposent soumission et sacrifice

Faisant de leur cervelle dérisoire, une bouillie transgénique

Dans laquelle nous recracherons la bile des mensonges

Qu’ils nous ont forcé à avaler

Mes amis, mes frères, mes sœurs,

Nous baiserons sur les hôtels de la gloire divine

Et jouirons l’extase de notre liberté

Dans les calices du patriarcat

Nous marierons nos cultures dans le temple l’expression

Nous embrasserons de notre langue poétique

Ces vieilles folles que personne ne voulait épouser

Et nous donnerons naissance à ces enfants de la raison

Si c’était nous effacer qu’ils voulaient,

Eh bien attention, car notre épistèmê est bien plus puissante

Que leur pouvoir d’intimidation

Nous mettrons à terre les oléoducs du consensus

Et trancherons la tête de l’orgueil mal-placé

Que nous piquerons sur les ronces des tabous inutiles

Tranchant la jugulaire du silence

Pour en libérer les critiques de l’oppression

Asseyant d’un flot d’originalité

La citadelle du conservatisme caustique

Qui répète sans cesse l’homélie des zoïles nostalgiques

Nous déchirerons le statut quo de l’anonymat

Et afficherons les noms de tous ceux qui l’ont soutenu

Au-dessus du portique du ministère de l’immigration

Nous pisserons sur leur science sans âme

Pour nourrir les arbres de l’histoire

Nous boirons leur sève de justice

Et mangerons leurs pommes rouges

Faisant couler le sang de leurs cœurs froids

Dans notre bouche assoiffée de justice

Et nous pêcherons ensemble tous les péchés,

Capitaux de notre emprisonnement révolu

Nous les ferons rôtir sur la flamme de nos âmes

Et les chierons dans les toilettes d’or de Buckingham

Et comme Jackson Pollock, nous étalerons notre rage

Sur les murs des églises de l’impoésie,

Réinventant les scènes bibliques des vitraux hystériques

Nous enculerons les casernes militaires en passant par la porte d’en-arrière

Nous éjaculerons les arcs-en-ciel de la paix sur leurs uniformes gris

Et planterons les artifices de notre émancipation dans leurs lance-missiles

Ensemble, nous redessinerons les frontières de nos amitiés

En déracinant les panneaux détour

Nous accueillerons tous ceux qui viendront de l’horizon

Nous ferons couler notre encre sur les pages de notre histoire

Offrant à nos enfants, le nouveau chapitre du monde

Alessio Iaccino

II. Les feux d’artifices, d’armistices?

Un poème d’Aymeric Lalonde

Quelle idée m’as-tu mis dans la tête, pauvre misère!

En marchant et en contemplant les rivières d’explosions polychromatiques polluant le ciel d’un miel bien bruni sur une toast de guimauve volante m’as-tu averti avec des sons stridents et assourdissants!

Était-ce un appel à la guerre, Gaza en feux et la construction de l’Homme à la perte, aux cieux, de mots volants chantés par les armes de la mort;

Une prière à la renaissance,

Une prière à la malchance des peuples bunker du monde capitaliste;

Une prière au tout début d’une réalité naissante obscure,

Cure à cet imaginaire en guerre.

Mais je ne pense guère que ce qui se passe outre-mer n’est béate,

Puisque la fête va bientôt finir,

Elle attend seulement que quelqu’un frappe,

Et se met à battre,

Contre les portes de notre perception obstruée par la désinformation.