Au revoir Hubble, bonjour James Webb! 

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« L’espace… frontière de l’infini… », tels étaient les fameuses paroles du capitaine Jean-Luc Picard. Mais aujourd’hui, ce n’est plus de la fiction, car en fin janvier,  le nouveau télescope  James Webb aura parcouru une distance de 2 millions de kilomètres en orbite autour d’un point précis dans l’espace appelé « Point de Lagrange 2 » (L2), se trouvant à près d’un million et demi de kilomètres de la Terre dans le cadre de sa mission qui consiste à compléter et étendre les découvertes de son prédécesseur, le télescope spatial Hubble. Dans cet article, nous verrons ensemble en quoi ce télescope est si avancé en termes de progrès scientifique et technologique. 

Un projet à plus de 100 millions 

James Webb fut construit sur une période de 20 ans. Le télescope James Webb compte parmi ses instruments le plus grand miroir principal à ce jour, à 6,5 mètres de diamètre. Le miroir est formé de 18 sections hexagonales de béryllium plaqué or, chacune pouvant être réglée individuellement. Il possède également un bouclier solaire de la taille d’un court de tennis ainsi qu’un système de réfrigération pour éviter les possibles surchauffes causées l’intense chaleur qui pourrait nuire à la précision des observations faites par le télescope et qui pourrait aussi endommager ses systèmes principaux.. Les instruments de ce télescope sont le résultat d’une entraide internationale et la participation canadienne s’étend à deux instruments en particulier : NIRISS (Near Infra Red Imager and Slitless Spectrograph) et le FGS (Fine Guidance Sensor). Contrairement à son prédécesseur Hubble, qui se sert d’une lentille de verre classique pour faire ses observations, James Webb captes ses images sur le spectre infrarouge des trois outils principaux suivants : l’instrument à mi-infrarouge (MIRI) fourni par la NASA, la caméra de proche-infrarouge (NIRCam) aussi fournie par la NASA et le spectrographe de proche infrarouge (NIRSpec) qui est une collaboration de l’agence spatiale européenne (ESA).  

Ci-contre une vue de la nébuleuse de la Carène depuis le télescope spatial Hubble à gauche et depuis le télescope spatial James Webb à droite

Mais pourquoi utiliser l’infrarouge plutôt qu’une lentille classique tel Hubble? Car certains types d’objets célestes, comme les planètes et les galaxies très lointaines sont très difficiles à observer avec précision à l’aide d’une simple lentille, contrairement à l’effet de l’infrarouge qui rends ces objets célestes plus brillants et plus distinguables. Le développement des technologies nécessaires à un télescope d’une telle ampleur a créé une facture s’approchant des 100 millions de dollars et un projet de recherches s’étalonnant sur une vingtaine d’années. 

Vers l’infini… 

Après la conception et la construction, le lancement du télescope à dû impliquer qu’il était trop grand pour pouvoir entrer dans le lanceur. Ce n’est qu’en se repliant sur ses composants qu’il put être installé dans son lanceur, la fusée Ariane 5. Son lancement eu lieu le 25 décembre 2021 à Kourou, en Guyane. Une fois sa traversée de l’atmosphère terrestre amorcée, il fut lâché dans le cosmos pour commencer ses observations. Mais pour ce faire, il dû d’abord se déplier pour activer ses composants, manœuvre qui lui pris un grand total de deux semaines à effectuer. Mais une fois déplié, ce n’est qu’en fin janvier 2022, deux semaines après son déploiement et son activation, qu’il atteignit le point L2 où il gravitera en orbite pendant une durée qui devrait s’étendre, d’après ses concepteurs, sur une quarantaine d’années. Bien que la mission de James Webb soit de compléter et d’étendre les découvertes d’Hubble, la NASA divisa celle-ci en cinq objectifs distincts : 

  1. Observer les confins de l’Univers 
  1. Rechercher les origines de l’Univers après le Big Bang en recherchant les premières étoiles et galaxies créées au moment de celui-ci 
  1. Comprendre la formation et l’évolution des différents corps célestes présents dans l’univers tels les étoiles, les planètes, les galaxies, etc. 
  1. Découvrir de nouveaux mondes lointains et/ou habitables en recherchant de nouvelles étoiles et exoplanètes 
  1. Déterminer si toute autre forme de vie existe ou est possible sur des planètes orbitant autour d’étoiles similaires à notre propre système solaire  

Ce n’est que le 11 juillet 2022 que les premières images captées par James Webb furent transmises à la NASA. Et depuis, le satellite continue sa course et tente de capter de nouveaux phénomènes inconnus dans notre infiniment vaste univers. 

Ci-dessus, de gauche à droite, une supernova en cours, la planète Jupiter et la nébuleuse de la Tarentule observés par James Webb

À noter que toutes les images proviennent de la NASA.

La poudrière bosniaque

Le 6 avril 1992, la Bosnie-Herzégovine déclare son indépendance de la Yougoslavie communiste. De violents affrontements communautaires ravagent le pays. Les Serbes veulent rejoindre la Yougoslavie; les Croates désirent s’unir à la Croatie et les Musulmans souhaitent fonder leur État. Massacres, déplacements de populations et nettoyages ethniques marqueront ce conflit jusqu’à sa fin ,en 1995, avec la signature des accords de Dayton. La poussière retombe, on enterre les morts, on serre la main du voisin. Le pays sera une fédération de deux entités, l’une serbe et l’autre croato-musulmane, chacune disposant de beaucoup d’autonomie dans de nombreux domaines, mais contraintes à partager certaines compétences gouvernementales, comme l’armée, la monnaie et la justice.

Plus récemment, en décembre 2021, le leader des nationalistes de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, annonce que l’entité serbe se retire des compétences communes, se préparant donc à former une armée, à frapper une nouvelle monnaie et à rédiger de nouvelles lois au service des Serbes de Bosnie. En Europe, on craint le regain de tensions, les affrontements ethniques —voire pire— la guerre civile. Pour mieux comprendre le dossier, L’Exilé a fait appel à l’expertise d’Alexis Troude, spécialiste des Balkans enseignant l’histoire de la région et la géopolitique européenne à l’université de Melun Val de Seine et à qui les nombreux voyages en Bosnie ont donné accès à une perspective plus locale du conflit.

M. Troude commence par mentionner que le territoire serbe de Bosnie (et aussi de Croatie) est parsemé d’églises orthodoxes, puisque les Serbes y ont été invités par différents empires pour défendre la frontière contre les Turcs. On appelle cette délimitation historique entre la Croatie et l’Empire ottoman la Krajina. C’est dans cette contrée que les premiers intellectuels serbes voient le jour et que se développe une première conscience nationale. Si beaucoup de Serbes affirment que le Kosovo est le cœur de la nation serbe, on pourrait ajouter que la Krajina en est le cerveau. Pour les Serbes de Bosnie, il est donc impensable d’abandonner ce territoire comme ce fut le cas avec le Kosovo qui a fait sécession car peuplé d’Albanais désormais. La minorité musulmane, pour sa part, se préoccupe moins de la région et a tendance à tisser des liens identitaires avec les pays du sud, comme l’Albanie et la Turquie, où la présence de l’Islam demeure plus forte.

Comprendre le système bosniaque est important pour saisir l’enjeu de ce conflit. « C’est une présidence tournante. Chaque année, le président laisse sa place au président d’une autre ethnie. » affirme M. Troude.« Il y a aussi un gouvernement central qui s’occupe de l’armée, de battre la monnaie et des pouvoirs régaliens », explique-t-il. Pour rajouter à la complexité de la région, elle est divisée en 13 cantons qui sont gérés à la manière suisse, c’est-à-dire avec beaucoup d’autonomie. Finalement, on arrive au dernier palier, les provinces. Il s’agit ici des deux entités, la fédération de Bosnie-Herzégovine (peuplée de Croates et de Musulmans) et la République serbe de Bosnie. « On a vraiment l’impression de vivre dans un État à part entière avec un gouvernement, un parlement, et un service de douanes et de police. », mentionne l’enseignant.

Sur les plans politique, ethnique et économique, M. Troude considère que c’est un échec. Certes, les accords de Dayton ont séparé le pays en deux et les armes ont été rendues, mais les réfugiés ne sont pas retournés dans leurs foyers. L’expert affirme que les deux entités sont devenues mono-ethniques, récoltant les réfugiés de leur ethnie et en expulsant les minorités. « Très peu de Musulmans, et surtout de Croates, ne sont pas revenus. Je connais un quartier de Banja Luka où [il n’y a] que des réfugiés serbes, mais qui ont pris la place des Croates qui ont fui. […] Ça c’est un échec, mais un autre échec, c’est l’économie. » En effet, il n’y a pas eu de réformes assez poussées pour permettre un réel enrichissement du pays. Un autre problème est la fuite de la main-d’œuvre. Beaucoup d’habitants vont travailler dans les pays voisins plutôt qu’en Bosnie : « On les voit le dimanche et après ils repartent en Autriche, en Allemagne ou en Hongrie pour aller bosser. », dit-il. C’est un peu comme si la Bosnie était une immense banlieue et que les pays industriels de l’Europe en étaient le centre-ville.

Certes, le pays est loin d’être parfaitement fonctionnel, mais il n’y avait pas grand-chose qui pouvait laisser prévoir un regain de tensions en 2021-2022. Lors de la dernière guerre, les chômeurs, les inactifs et les déçus de la société s’étaient regroupés dans des groupes paramilitaires nationalistes et ce sont principalement ces milices qui ont mené au déclenchement du conflit. La situation actuelle est cependant loin d’être aussi grave qu’à l’époque. Les tensions sont donc en, quelque sorte, artificielles. Ce sont les nationalistes, poussés par la Russie, la Hongrie et la Serbie, qui créent toute cette agitation pour faire avancer leur agenda politique. En réalité, il n’y a pas d’initiative populaire. Personne ne veut la guerre, tout le monde a en mémoire le terrible conflit des années 1990. « Dodik souffle le chaud et le froid. Tantôt, il va réclamer une autonomie en vertu des accords de Dayton, tantôt il va parler de référendum […] Surtout, il n’est pas du tout suivi par son assemblée. Le parti démocrate serbe s’est abstenu de voter ce projet. Il veut créer de la prospérité, du boulot et ensuite on verra ces questions d’indépendance ». Même chez les Musulmans, l’obsession est à l’économie et non aux luttes nationalistes. C’est pourquoi il y a de nombreuses grèves dans les usines de l’entité croato-musulmane: « La priorité, c’est d’abord le pouvoir d’achat et pas les questions de centralisation ou d’indépendance. »

En Bosnie-Herzégovine, une guerre n’est pas sur le point de se déclencher, n’en déplaise à une bonne partie de la presse occidentale qui a souvent tendance à imaginer les pires scénarios sans connaître la région. Les différents peuples qui habitent la fédération ne veulent pas de conflit, ils ne souhaitent plus la guerre. Ils sont déjà autonomes de leurs voisins et M. Troude souhaite davantage une conférence européenne qui viserait à réajuster les frontières provinciales à l’intérieur de la Bosnie plutôt qu’un démembrement du pays. C’est, selon lui, l’option qui éviterait un conflit et garantirait une large autonomie des peuples qui pourront vivre dans leur province selon leurs codes et en harmonie avec leurs voisins. L’intérêt général de la région en dépend.

Guerre en Ukraine : poème et entrevue avec Arsenii Pivtorak

Par Arsenii Pivtorak et Édouard Bernier-Thibault

Lespouère

Oh Demain, Pays lointain
Tu t’imposes pourtant sur ma journée
Pourquoi me fais-tu pleurer?
Je crains et je dois avouer
Je ne vaincs point mes peurs cachées

Ukraine! Que va-t-il t’arriver ?!
Pourquoi m’as-tu aussi fort attaché?
Baignée dans l’amour et la liberté
Je sors dans ce monde étranger
Je respire cet air de confort
Qui ne m’est point familier
J’ai grandi dans l’instabilité
J’ai dû m’habituer à l’idée
Que tu te fasses déchirer

Par qui? Par un « ami »
Pourquoi? Pour avoir osé?
Pour avoir osé prendre ta liberté
Pour avoir osé être toi-même
Pour avoir osé vivre même!

Malgré tous ces calculs inhumains
Tu restes là.
Tremblante, mais vivante
Malgré toutes ces blessures sur le corps,
Tu souris encore.

Introduction

Il est parfois difficile de suivre l’actualité des conflits ayant lieu en ce moment, et depuis beaucoup plus longtemps, entre la Russie et l’Ukraine. En reconnaissant l’indépendance autoproclamée des provinces pro-russes dans la région du Donbass le 21 février, et en brandissant ouvertement la menace de guerre le 22 février, la Russie de Poutine a franchi une nouvelle étape dans son annexion et sa volonté de contrôle de l’Ukraine. Plusieurs pays occidentaux comme les États-Unis et le Canada ont protesté de manière formelle contre ces actions, déclarant entre autres des sanctions économiques. Tout cela n’a pas empêché la Russie d’entrer en guerre ouverte contre l’Ukraine le 24 février, en lançant une opération militaire et procédant à des bombardements sur plusieurs villes ukrainiennes. En date du 27 février, le gouvernement ukrainien a affirmé un bilan de 352 civils depuis les débuts de l’offensive militaire de Moscou. La situation évolue constamment, mais il semble bel et bien que la Russie ait décidé de faire un autre pas vers le contrôle total de l’Ukraine et plusieurs ont bien peur que rien ni personne ne puisse l’arrêter pacifiquement.

C’est parce que cette courte présentation ne fait qu’effleurer la surface de cet enjeu et parce que je suis loin d’être un expert sur le sujet que j’ai demandé à Arsenii Pivtorak de m’accorder une entrevue pour en discuter. Vous pourrez lire son poème en introduction à cet article, mais je souhaitais l’interviewer pour savoir quelles étaient ses pensées par rapport à cette situation, considérant son intérêt et son lien intime avec le pays. Arsenii est née et a vécu en Ukraine jusqu’à ses 11 ans. Toute sa famille vit là-bas et iel a plusieurs amis habitant encore ce pays. Iel étudie en sciences humaines, dans le profil Questions internationales.

Échange avec Arsenii

Arsenii m’a parlé très tôt dans l’entrevue de comment l’Ukraine a été fréquemment divisé et déchiré par différentes puissances et différentes guerres. Tout particulièrement, Arsenii a souligné ce qu’iel appelle, pour résumer, le « mariage forcé » imposé entre l’Ukraine et l’URSS durant le 20e siècle. Ce qu’iel voit dans les évènements récents est une tentative forcée de retour à cet ordre passé:

« Pour l’Ukraine, l’existence commune dans un empire ensemble ou dans une union, sous un même État ou un même contrôle avec la Russie est un chapitre terminé. La Russie veut réviser l’histoire, retourner les choses comme elles étaient, mais les Ukrainiens n’en veulent pas. »

Malgré tous les troubles politiques qu’a vécus et que vit l’Ukraine, ce pays a toujours maintenu une culture, une identité et un esprit bien à soi, accompagné d’un nationalisme particulier.

« En fait, la particularité du nationalisme ukrainien c’est qu’il s’est développé sans État. […] Le nationalisme ukrainien se concentre beaucoup sur les gens, la société et la nature en fait. La raison principale de l’émergence du nationalisme en Ukraine qui a contribué à la chute de l’URSS était le désastre écologique de Tchernobyl. »

Sur la situation présente, Arsenii utilise des termes forts pour décrire les actions de la Russie envers l’Ukraine.

« Moi je vois ce qui se passe avec l’Ukraine en ce moment comme du néocolonialisme et du néo impérialisme. La guerre n’était pas inévitable. La guerre a été manufacturée par la Russie. Elle a été préparée soigneusement, autant par la propagande que par l’aspect militaire. »

Iel décrit ainsi la logique qui anime les actions de la Russie:

« La logique de la Russie est vraiment que si l’Ukraine ne nous appartient pas, alors elle n’appartiendra à personne, même pas aux Ukrainiens. Soit qu’elle existe en tant que petite minorité dans notre nouvel empire russe et que les Ukrainiens vont finir par se faire assimiler (…) ou que si l’Ukraine ne veut pas être avec la Russie, alors on va tout faire pour miner le pays dans les fondements. »

Arsenii m’a décrit les actions terroristes effectuées par la Russie, comme des attentats dans des villes causant la mort de plusieurs personnes, notamment pendant la crise de 2014 autour de l’annexion de la Crimée. Selon lui, le but de ces actions est de propager la peur et de créer de l’instabilité au sein de la société.

Iel m’a aussi parlé du rôle crucial que jouait la propagande russe, à la fois pour légitimer ses actions et pour se défendre de toutes critiques.

J’ai voulu questionner Arsenii au sujet de l’effet de la guerre sur le peuple et la société ukrainienne. Selon son expérience personnelle, il y a deux effets principaux sur la population. D’un côté, iel a remarqué que certains ont été mobilisés par la guerre, s’activant à renforcer la solidarité, la résistance et à propager l’intérêt ainsi que la fierté pour la culture ukrainienne. Par contre, la guerre eut aussi, voire surtout des effets plus négatifs.

« Je pense surtout aux jeunes, à mes amis, aux gens que j’ai connus; ça épuise. La guerre, ça épuise. La montée des problèmes de santé mentale, c’est criant. […] Les addictions aussi et les comportements dangereux, si on veut. Bref, la guerre ne passe pas sans effet. Il y a des choses positives que ça a peut-être apporté […] mais en même temps, il y a un grand prix à payer pour ça. »

Pour finir, j’ai demandé à Arsenii ce qu’iel pensait des réactions de la part des États ainsi que des organisations internationales face à l’invasion russe. Iel a commencé par me dire que la reconnaissance du problème par des instances internationales et de grands gouvernements est quand même une bonne chose. Le fait que ceux-ci critiquent la Russie et qu’ils préparent des sanctions économiques contre elle est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il est clair pour Arsenii que cela est gravement insuffisant.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Ukraine ne pourra pas faire face à la Russie seule. […] Pourquoi est-ce que l’OTAN ou l’ONU ne pourraient pas mettre des troupes pour la protection des civils? […] Pourquoi est-ce qu’on attend qu’il y ait des vies perdues comme dans le génocide en Yougoslavie pour ensuite essayer d’agir? Ça va être trop tard, il va déjà y avoir des vies perdues. »

« Les sanctions économiques sont bonnes, mais sur le long terme. La guerre c’est ici et maintenant, pas dans 10 ans. Ce n’est pas suffisant pour sauver autant de vies, il faut un support militaire clair. »

Arsenii s’attriste du fait qu’on en soit rendus à ce point où la discussion et la diplomatie ne semblent plus possibles. Toutefois, considérant l’état des choses, l’Occident doit offrir le soutien nécessaire à l’Ukraine pour l’aider à résister et à combattre les armées russes. Pour iel, il s’agit d’un conflit non seulement autour de territoires, mais de projets ainsi que de principes politiques. Si l’Occident se considère défenseur des droits humains ainsi que de la démocratie, elle doit absolument le montrer en apportant une aide concrète au peuple ukrainien.

Les conflits entre la Russie et l’Ukraine ne risquent pas de finir de si tôt. En fait, cela va surtout dépendre des choix ainsi que des actions de chacune des parties, ainsi que de l’implication (ou non) des gouvernements comme celui du Canada et de la communauté internationale en général. Au niveau de la société civile, mon interlocuteur a mentionné l’importance de se montrer solidaire à la cause ukrainienne, en s’informant et en informant les autres sur la situation. De plus, il est possible de participer à des évènements ou des manifestations en appui à la cause ukrainienne à Montréal, en restant à l’affût sur les réseaux sociaux notamment. L’implication citoyenne est certainement limitée pour ce qu’elle peut sur ce genre d’enjeux internationaux, mais elle est tout de même importante. C’est un acte fort de s’opposer et de dénonçer les injustices, peu importe où elles se font et qui elles frappent. « Injustice anywhere is a threat to justice everywhere », a dit Martin Luther King, montrant l’importance de la dénonciation et de la lutte constante pour la justice, sur tous les fronts, pour tous les peuples et dans tous les lieux.

Cannes : Un festival mythique

Depuis l’an 2000, Marc Cassivi et Marc-André Lussier couvrent tous les deux le festival de Cannes. Pendant douze jours à chaque année, ils visionnent plusieurs films qui vont sortir en salle quelques mois plus tard et regardent une compétition qui, à la fin, va attribuer une récompense convoitée : la Palme d’or. Les deux journalistes publient un livre pour raconter leur festival, pour raconter « Cannes au XXIe ».

Dans ce livre dont le nom est doré s’inscrit sur la page couverture (un bel objet), les deux journalistes se remémorent les éditions des vingt dernières années. Ils n’ont sauté que celles de 2003 et 2020 (la COVID-19 a eu raison de cette dernière). Une sélection officielle a tout de même été faite. Ils ont couvert ensemble pendant plusieurs années, mais dorénavant, le festival est couvert en alternance. Cassivi une année, Lussier l’année d’après et ainsi de suite.  Cette année, cela sera au tour de ce dernier d’effectuer le voyage, dans un contexte (pour le moins) différent et incertain. Pourquoi Cannes en particulier ? Parce qu’une sélection à Cannes est beaucoup plus prestigieuse comparativement à celles des autres événements du même type comme à Venise ou Toronto.

En entrevue avec L’Exilé, les deux journalistes expliquent que l’idée derrière ce livre est de souligner le fait que depuis 20 ans, ils couvrent tous les deux le festival. Cela fait partie d’une « obsession des chiffres ronds », explique Marc Cassivi qui ajoute que c’est une « boucle intéressante à boucler ».
L’idée de raconter ce qu’ils ont vu depuis leurs débuts là-bas. Comme le décrit Marc-André Lussier, « bien des choses ont changé en vingt ans ». 

Vingt ans, c’est l’occasion de faire une rétrospection et de se demander ce qui a changé depuis deux décennies. Lussier affirme sans hésitation que les réseaux sociaux ont eu un effet déterminant sur la critique. Côté cinéma, l’arrivée de plateformes comme Netflix a fait changer les choses dans le milieu du cinéma. Un débat a par ailleurs déjà eu lieu il y a quelques temps à Cannes. Selon les règles de l’événement, un film faisant partie de la fameuse sélection officielle doit être obligatoirement être présenté en salle. Voir un film sur un grand écran, est une expérience qui est fortement différente comparativement au visionnement d’un film sur un ordinateur ou un écran de télévision. Rédigé par Marc Cassivi, le chapitre intitulé « La polémique Netflix », qui aborde l’édition de 2017, résume très bien toute l’histoire entourant ladite plateforme — histoire qui n’est pas encore terminée d’ailleurs. Cassivi croit que la pandémie marquera le milieu cinématographique, tant du côté du festival que dans l’industrie au sens large. Une question se pose même aujourd’hui : « Qu’est-ce qu’un film de cinéma maintenant? » 
Lussier cite, à titre d’exemple, Roma d’Alfonso Cuarón (2018) : « Cela a beau avoir été produit par Netflix, ça reste un grand film de cinéma même si la plupart des personnes l’ont vu sur la plateforme que sur grand écran. »

 « Il y a eu des années moins inspirantes que d’autres » affirme M. Cassivi. Les années où des films québécois — notamment ceux de Xavier Dolan — ont été sélectionnés l’ont beaucoup marqué. 2014, année où le film Mommy était présenté, s’est annoncé particulière : « Cela a été un film coup de cœur, c’est là qu’il s’est fait remarquer selon moi ». Présent lors de la projection, le journaliste a chronométré 12 minutes d’ovation. Il ajoute que la meilleure programmation qu’il a vue est celle de 2019, l’année du film Parasite de Bong Joon-ho notamment.  Marc-André Lussier souligne que Dolan, encore jeune et peu connu de la scène internationale à l’époque, a fait fureur dès 2009.  « Xavier sortait de nulle part et là il arrive avec son film. Il devient la coqueluche du festival ! C’est vraiment incroyable ! »

Une ambiance

Le livre permet également d’en savoir un peu plus sur ce festival prestigieux et sur l’ambiance qui y règne. « À Cannes, c’est particulier ! ». Côté journalistique, c’est un festival où « des journalistes peuvent donner leur avis vocalement ». Cela peut être un énorme silence à la fin d’une projection comme cela peut être une énorme ovation. Les deux journalistes ont un accès aux projections de presse et également aux projections officielles. Ils fréquentent principalement celles réservées à la presse, mais ils assistent également aux projections officielles dans des cas précis. Lorsque c’est un film québécois par exemple. Leur accréditation les aide beaucoup à accéder à ces dernières. Un passage du livre est consacré à la hiérarchie des « badges » qui existe au festival. Pour La Presse, le plus haut niveau de badge qui existe (le blanc) a été accordé à ses journalistes il y a quelques années maintenant puisque le média fréquente le festival depuis de nombreuses années. Bien avant le début des années 2000.

Il y a également les soirées auxquelles Marc Cassivi a surtout assisté. Ces soirées sont plus sélectes et le badge n’est pas du tout utile puisqu’une invitation y est obligatoire. Pour y assister, il faut développer des contacts. M. Cassivi dit qu’il ne s’est pas trop censuré dans le récit de ses soirées, certaines choses s’étant produites dans quelques de celles-ci ne se racontent pas trop dans un livre.

La population de Cannes est composée précisément de 73 965 personnes d’après les derniers chiffres sortis en 2018. C’est une petite ville tranquille au bord de l’eau et tout d’un coup, les limousines arrivent, les journalistes également. Selon les organisateurs du festival, ce sont plus de 4000 journalistes et de nombreux professionnels du cinéma qui sont présents à l’événement chaque année.  Lorsque toutes ces personnes arrivent, c’est signe que le festival de Cannes est commencé. Dans le cas des deux journalistes qui nous intéressent, ils arrivent 48 heures à l’avance. Pourquoi ? En 2006, Marc-André Lussier est arrivé le jour même de l’ouverture et une annonce de dernière minute est arrivée : un visionnement de presse du très attendu film Da Vinci code est organisé. À la dernière minute. Depuis, les deux Marc arrivent à l’avance pour éviter ces mauvaises surprises. À leur arrivée, ils voient une ville tranquille. Ils ont déjà vu l’installation du fameux tapis rouge. Le jour du palmarès, il y a beaucoup moins de monde. Après le palmarès, c’est le calme après la tempête : le tapis rouge se fait retirer, des personnes partent et Cannes retrouve son statut de ville tranquille… Pour 365 jours.

Un festival prestigieux

Créé en 1946, Cannes est aujourd’hui l’un des festivals de films les plus prestigieux au monde voire le plus prestigieux. « Je pense que ce qui fait sa particularité, c’est son caractère exclusif. Il y a à peine une cinquantaine de longs-métrages qui sont sélectionnés contrairement à Berlin ou à Toronto qui en sélectionnent 350. À Cannes, une sélection c’est très prestigieux par rapport aux autres festivals. Et ça l’est encore. » affirme Marc-André Lussier. Marc Cassivi, quant à lui, se questionne sur l’effet qu’aura la pandémie sur le circuit des festivals: « Je me demande dans quelle mesure les habitudes des gens auront changé. On a vu aux États-Unis cette semaine que le box-office va mieux. Dans quelle mesure, les plateformes auront pris encore plus de place et est-ce que Cannes va s’adapter ou est-ce que Cannes va continuer à être le dernier bastillon qui résiste à l’envahisseur des plateformes ? Cela risque d’avoir un impact sur son avenir. »

Notre avis

Cannes au XXIe est un livre très intéressant, enrichi par le regard de deux journalistes d’expérience œuvrant dans la section culturelle de La Presse. Si vous êtes cinéphile, ce livre est assurément pour vous. Le livre énumère leur regard de vingt éditions. Comme écrit plus haut, en vingt ans, les temps ont énormément changé. La passion des auteurs — l’un d’entre eux utilise même le thème officiel du festival comme sonnerie de téléphone — transparaît dans chaque chapitre, à la fin desquels on retrouve d’ailleurs le palmarès des films de l’édition. Bref, il s’agit d’une excellente occasion d’en savoir un peu plus sur ce mythique événement.

Cannes au XXIe 
Marc Cassivi et Marc-André Lussier 

Publié aux éditions Somme toute 
Disponible en librairie 

Couvrir l’Amérique

Le 20 janvier dernier a marqué la fin du mandat du président républicain Donald Trump. Pendant ces quatre années à la présidence, les critiques envers les médias ont été présentes dans le message présidentiel. Comment les journalistes affectés aux États-Unis voient-ils ce mandat?  Entrevue avec deux correspondants francophones qui couvrent les États-Unis. Ils ont été joints par L’Exilé au mois de décembre, donc avant les événements du capitole et l’investiture de Joe Biden.

Raphaël Grand (RTS)

Raphaël Grand est correspondant aux États-Unis depuis 2017 après avoir été en Chine pour la Radio Télévision Suisse (RTS)*.  Il intervient principalement à la radio, un de ses collègues étant affecté à la télévision. À la question qui demande si 2020 a été une année compliquée, il répond oui sans hésitation. Pour deux raisons : le président Trump était un président difficile à cerner et la pandémie a compliqué le travail des journalistes. Contrairement aux grands réseaux américains, les médias étrangers (cela dépend du média bien sûr) disposent d’une petite équipe. Il décrit la période Trump comme « presque un âge d’or » et un « spectacle permanent ». Au moment de l’entrevue, l’investiture de Joe Biden n’avait pas encore eu lieu, mais il décrivait l’actuel président comme étant quelqu’un de beaucoup plus calme. Le journaliste relate les quelques fois où il a dû retravailler ses topos sur le président, chamboulé par un de ses nouveau tweet en rapport avec l’actualité. Finalement, à la question demandant si un journaliste étranger peut obtenir des sources et des contacts comme les journalistes des grands réseaux américains, il répond : « Pour obtenir une interview d’une personne, il faut que cela lui serve ». Cela ne servirait pas à Donald Trump par exemple, de s’exprimer sur les ondes de l’audiovisuel public suisse alors que sa base électorale est aux États-Unis. Des entrevues sont tout de même possibles avec quelques personnes, mais il ne faut pas s’attendre à quelque chose de grandiose.

Raphael Bouvier-Auclair (Radio-Canada)

Également correspondant aux États-Unis depuis 2018 en remplacement de son collègue Yanik Dumont Baron parti à Paris, Raphaël Bouvier-Auclair travaille pour Radio-Canada. Il a été reporter national en Alberta et correspondant parlementaire à Ottawa. D’emblée, il aborde les impacts que la COVID-19 a eu sur son travail, ces impacts sont par ailleurs toujours présents ; Au mois de décembre, les déplacements demandaient davantage d’organisation. Le bureau de Radio-Canada étant un bureau présent dans un immeuble où des journalistes d’autres médias sont présents, les journalistes devaient (les mesures à l’heure actuelle sont inconnues) subir une quarantaine. Durant les élections présidentielles, quelques journalistes supplémentaires ont été déployé.e.s en tant qu’envoyé.e.s spéciaux afin de venir en aide aux journalistes déjà sur place. Par ailleurs, aucun journaliste de Radio-Canada n’est présent à la Maison-Blanche contrairement à leurs collègues de la CBC. C’est pour cette raison que Raphaël Bouvier-Auclair se décrit, ainsi que ses collègues, comme correspondants aux États-Unis et non comme correspondants à Washington, à la Maison-Blanche. Cela permet de mieux cerner les enjeux qui entourent le pays. Fait à préciser : un seul journaliste québécois est présent à la Maison-Blanche pour le réseau TVA, il s’agit de Richard Latendresse.

Et maintenant? 

Comme indiqué plus haut, les entrevues ont été réalisées au mois de décembre sans savoir que l’assaut du Capitole du 6 janvier dernier allait se produire. Les journalistes présent.e.s à la Maison-Blanche ainsi qu’aux États-Unis ont dû couvrir cela et ont vu une ville hyper sécurisée à quelques semaines de l’investiture d’un nouveau président après un mandat de quatre années agitées. Une chose est certaine : ils ne manqueront pas de sujets à couvrir sur le sol dans notre pays voisin. Le verdict rendu le 20 avril dernier rendant coupable l’ex-policier Derek Chauvin de meurtre au deuxième et troisième degré et d’homicide involontaire ayant causé la mort de George Floyd a amené beaucoup de réactions dans le pays. Raphaël Bouvier-Auclair était présent avec une de ses collègues aux abords du palais de justice de Minneapolis lors de l’annonce du verdict. En résumé, les enjeux à couvrir ne manqueront pas et les journalistes sur place ne vont pas s’ennuyer. Ils ne savent pas à l’avance ce qui va se passer lors de ce mandat de quatre ans sous la bannière démocrate. À voir dans les prochaines années !

* Volet francophone de l’audiovisuel public suisse qui compte quatre divisions soit une par région linguistique, NDLR.

La valise ou le cercueil

Quand l’Algérie, c’était la France

En 1954, l’Algérie française, c’est 9 millions d’habitants à 85%-90% d’Arabes et de Berbères ainsi que 10% à 15% de Français d’Algérie et de Juifs. Il est à noter qu’il y a une petite minorité chrétienne et beaucoup de Juifs dans la région avant l’arrivée de la France, le reste de la population étant musulmane. Les habitants d’origine européenne, qu’on appelle « Pieds-Noirs », habitent majoritairement en ville alors que les « Indigènes », comme on les appelait à l’époque, forment la majorité de la population rurale. Certaines villes sont très européennes à l’image d’Oran ou bien d’Alger que certaines sources qualifiaient même de « deuxième ville française par habitants ». De plus, l’Algérie n’est pas une colonie, mais bel et bien trois départements recouvrant l’actuel pays et intégrés pleinement à la France, d’où le célèbre slogan « L’Algérie, c’est la France ». Toutefois, l’Algérie ne peut pas être comprise qu’avec des statistiques, mais bien en discutant avec les différents peuples qui la composaient. Les personnes ayant vécu cette période ont quelque chose à raconter, loin du débat brûlant qu’on a l’habitude d’entendre. Le texte qui va suivre représente leur version de l’Algérie française.

Un monde sans Français

L’histoire de l’Algérie ne se résume pas à la guerre, bien qu’on en entende beaucoup parler. C’est avant tout une histoire de plusieurs peuples qui vivaient relativement bien ensemble. Un Algérien enseignant de mathématiques au secondaire installé depuis belle lurette au Québec, se rappelle que ses parents et son entourage lui racontaient l’Algérie avant l’indépendance. Il ne donnera pas son nom pour des raisons de sécurité. Ayant un an et demi au moment de l’indépendance, il a grandi dans la nouvelle Algérie, une Algérie sans Français. Toutefois, il raconte le rapport que les populations avaient entre elles. Est-ce qu’il y avait des tensions? Évidemment, mais la majorité des Français d’Algérie étaient des gens simples, travailleurs, qui s’entassaient dans les villes pour espérer trouver du travail. Ils étaient en moyenne 20% plus pauvres que leurs compatriotes en métropole et luttaient côte à côte pour les droits de tous les travailleurs, qu’ils soient Européens ou Indigènes. Certains, bien que pas très nombreux, ont même milité pour l’indépendance, surtout ceux de gauche et l’extrême-gauche. « Il y avait du ressentiment envers les autorités françaises, mais pas envers les gens, les Français.» Une fois l’indépendance acquise, la liberté et la tolérance promises par les indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) ne vient pas : « Il y a eu une véritable chasse aux Français. On les pourchassait et on les tuait. Mais aussi envers les harkis, ces Algériens ayant combattus aux côtés de la France ». Presque tous les Français, ainsi que les Juifs, partent en 1962, laissant un vide dans ce nouveau pays que beaucoup regrettent, bien que quelques-uns soient restés, mais partiront pour beaucoup plus tard. Le FLN a aussi promis la démocratie, mais une bonne partie des Algériens ont l’impression de s’être fait confisquer leur indépendance. Une clique de militaires s’est installée au pouvoir, corrompant la société et ruinant son potentiel économique. De nombreux Algériens émigrent un peu partout dans le monde pour fuir le régime militaire et cet enseignant est l’un d’eux : « Ils ont promis qu’il y aurait des élections libres… on attend toujours », conclut-il.

Terre étrangère, la France

À l’époque, la communauté juive, qu’elle soit de souche européenne ou berbère, était forte d’environ 120 000 âmes. À l’indépendance, craignant de vivre dans un pays qui leur serait hostile, la quasi-totalité a fui en France avec les Pieds-Noirs. Aurélie Lacassagne, professeure de science politique à l’Université Laurentienne, compte dans sa famille un Juif d’Algérie. Ayant discuté plusieurs fois avec son oncle, elle est capable de fournir un témoignage vital pour la mémoire de ces gens-là. Il ne discute pas ouvertement du sujet, c’est trop sensible et la blessure n’a pas totalement cicatrisée.

Selon la politicologue Aurélie Lacassagne, la société de l’époque n’était pas idéale, certes, mais la cohabitation entre les différentes populations était bonne. Les populations non musulmanes n’étaient pas particulièrement plus riches que la majorité du pays : « Il y a des ouvriers, des paysans et une minorité de riches propriétaires. », dit-elle. Pour eux, l’Algérie, c’était la France. L’indépendance n’était pas une idée très populaire chez les Pieds-Noirs et cet attachement à la France va leur couter très cher. Déjà, la guerre a été traumatisante pour tous, car le monde paisible qu’ils avaient connu partait en fumée, mais il y avait de l’espoir de revenir à la cohabitation. Les jeunes hommes, obligés de se battre à cause de la conscription, ont été blessés au plus profond d’eux-mêmes tellement c’était une sale guerre. À l’époque, on ne parlait pas de guerre, d’ailleurs, mais de « maintien de l’ordre ». Cependant le gouvernement français, bien que victorieux sur le plan militaire, veut se débarrasser de l’Algérie, car elle coûte cher et jamais le sentiment indépendantiste ne pourra réellement disparaitre. En 1962, les accords d’Évian sont signés et l’Algérie accède à l’indépendance un peu plus tard dans l’année. Le lendemain de la signature entre la France et le FLN, des foules entières envahissent les quartiers européens des grandes villes et des villages. La chasse commence et les Pieds-Noirs et les Juifs partent pour éviter le pire. Plusieurs milliers de harkis et leur famille réussissent à partir, mais contrairement aux accords qui promettent une amnistie, 60 000 à 80 000 harkis sont assassinés dans les mois d’après. Des fanatiques de l’Algérie française, l’OAS (Organisation armée secrète), commencent à mener des attentats, et ce, même contre la France qui s’apprête à abandonner le pays. L’OAS ne veut pas d’une Algérie algérienne et le sang coule encore, comme si ce n’était pas assez. La cohabitation est définitivement impossible dans la nouvelle Algérie.

Arrivés en France, les réfugiés se rendent compte qu’ils ne sont pas vraiment chez eux. « Ils ont une identité troublée, parce qu’ils se définissent comme Français d’Algérie. En arrivant, ils étaient des étrangers, quelque part », ajoute Aurélie. Avec leur gros accent, on les perçoit comme des immigrants dans leur propre pays et ils entrent en « compétition » avec les travailleurs de la métropole. Plusieurs se regroupent dans les banlieues et la conscience de venir d’Algérie tout en étant Français se transmet de génération en génération. Au fil des ans, les vrais souvenirs s’estompent et laissent place à une version idéalisée de leur terre natale. Les nouvelles générations, nées en France, ne peuvent que se fier aux histoires de leurs aînés, n’étant pas nés là-bas et « les enfants des Pieds-Noirs ont été élevés dans ce mythe. […] C’est vu (l’Algérie) comme une terre idéale, promise. » Mme Lacassagne, quand elle pense à la possibilité d’un retour pour les réfugiés, dit : « J’ai l’impression que maintenant, l’idée du retour n’est plus là. Ça reste dans la tradition familiale, c’est tout ».

Ni Français ni Algériens.

Le port est plein à craquer. Des bateaux arrivent, puis d’autres viennent. Nombreux sont ceux qui espèrent traverser la Méditerranée le plus vite possible pour aller en France, là où le gouvernement a promis terres et maisons. Ils sont Pieds-Noirs, harkis ou bien Juifs. Partout dans le pays, on les pourchasse et il faut partir si l’on veut rester sain et sauf. La valise ou le cercueil.

Ce drame, plus d’un million de personnes l’ont vécu, au plus profond de leur chair. Pour eux, l’Algérie était leur maison, leur famille. Ils ont été manipulés par la France qui leur promettait de garder l’Algérie française, et brouillés par le FLN qui affirmait que leur liberté et leur égalité dans la nouvelle Algérie seraient garanties. Que des mensonges. On les a oubliés et laissés à leur sort. Quelques mois avant que l’Algérie devienne réellement indépendante, fêtant tout juste ses 18 ans, Gérard quitte son pays pour ne plus jamais y retourner. Ce Pied-Noir, qui habite au Québec depuis 1963, est très fier de son pays d’origine, l’Algérie française. Il se souvient très bien de cette période, étant parfaitement mature et conscient de ce qui se passait à l’époque. Beaucoup de Pieds-Noirs ont quitté leur pays étant enfants et en gardent un souvenir déformé. Lui, il travaillait et s’apprêtait à faire son service militaire lors de l’indépendance.

Comme les témoins précédents, Gérard affirme que les Pieds-Noirs menaient une vie très simple. Sa famille avait des pêchers, des cochons et s’occupait des champs, depuis leur terre natale de Mascara. La légende dit que le fameux maquillage vient de cette ville de l’ouest de l’Algérie, dit-il. Son père était militaire, ayant servi la France durant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Indochine, d’où il reviendra avec une maladie qui l’emportera, laissant Gérard orphelin de père à 13 ans seulement. Malgré tout, il fréquente l’école et il affirme que les populations vivaient dans des quartiers séparés, mais qu’il n’y avait pas de problème pour se mélanger au café ou à l’école : « On est 32 ou 33 élèves dans la classe, la moitié était des Arabes. Je parlais arabe avec eux […] Quand c’était l’Aïd et que les musulmans égorgeaient le mouton, j’ouvrais la fontaine pour pas que le sang coagule. Quand les petits se faisaient circoncire, ils portaient une djellaba blanche maculée de sang et ça m’avait interloqué, je posais des questions. C’est dans la religion qu’on me disait » dit-il en riant. Tout se faisait ensemble: les mariages, les enterrements, les fêtes religieuses, etc. Sa mère, quand elle a appris à cuisiner, a appris les recettes arabes et il n’a cessé d’en manger régulièrement jusqu’à son départ. Même au Québec, Gérard et sa femme, aussi Pied-Noir, allaient au Petit-Maghreb sur Jean-Talon pour acheter des pâtisseries : « Ça nous rappelait le pays », dit-il.

Mais s’il a dû quitter sa patrie et qu’il a atterri au Québec, c’est qu’il a été forcé de fuir l’Algérie. En 1962, l’Algérie s’apprête à devenir indépendante et les Pieds-Noirs comprennent vite que le FLN ne veut pas d’eux, en réalité. Sa famille a choisi la valise plutôt que le cercueil et ils se sont retrouvés en France. Pourtant, les Français, pour plusieurs, étaient hostiles aux Pieds-Noirs : « On a été mal reçus par les Français. Ils pensaient qu’on était riches à cause de l’étiquette qu’on nous donnait. Mais on est arrivés avec une seule valise, tabarouette! » Un peu plus tard, par un concours de circonstances, il se retrouve au Québec, âgé de 19 ans, il dira : « Je suis parti de la France, car c’est le pays qui a abandonné mon pays ». Quand il repense à l’Algérie, il la décrit comme un super pays, qu’il aimait, mais duquel il fut expulsé par les dirigeants qui ont exploité par la suite le peuple algérien. Elle avait un grand potentiel, mais les dirigeants sont si incompétents qu’il va même jusqu’à dire qu’avant, les bateaux arrivaient vides et partaient pleins, maintenant ils arrivent pleins et partent vides… Mais il a tourné la page de cette période, contrairement à beaucoup de Pieds-Noirs qui y pensent et qui souhaitent peut-être un retour pour y vivre leurs dernières années ou y être enterrés. La manière dont ils ont été accueillis en France les a empêchés de faire leur deuil de l’Algérie, ce qui a été plus facile pour Gérard vu qu’il a choisi le Québec. Cependant, l’identité de nombreux Pieds-Noirs reste quelque chose de flou, mais pas pour Gérard : « On ne peut pas se dire Algérien, l’Algérie d’aujourd’hui n’est pas mon pays. Mais quand on me demande si je suis Français, je réponds que non. Je suis Pied-Noir, avec honneur et dans la gloire ».

En 2022, les relations entre la France et l’Algérie vont sûrement se dégrader davantage, car cette année marquera le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Les gens qui ont vécu ce traumatisme dans leur chair n’ont pas envie de rouvrir cette plaie. Des deux bords, les gouvernements vont probablement s’accuser et dénoncer le comportement de l’autre à cette époque. Les Pieds-Noirs et les Algériens ne peuvent qu’en souffrir. Il faut espérer que les gouvernements laisseront la parole aux personnes ayant vécu sous l’administration française et que les plaies se fermeront pour de bon. Et si un régime civil et démocratique finit par s’installer en Algérie, peut-être qu’un retour des Pieds-Noirs et une réconciliation seraient envisageables, qui sait? 

Souffrir en silence, ou la crise du bassin du lac Tchad

L’Afrique, sujet considéré comme « non vendeur » par le marché de la presse, est particulièrement mal couverte par les médias occidentaux en général.

Le 8 janvier 2021, alors que la couverture médiatique se consacrait largement à la prise d’assaut du Capitole de Washington par des partisans d’extrême droite deux jours plus tôt, un attentat-suicide perpétré par le groupe djihadiste Boko Haram avait lieu au Nord du Cameroun. Une kamikaze enleva la vie d’au moins 15 civils, en majorité des enfants et des adolescents. Même si les grands médias ne s’attardent pas à dévoiler ces tragédies régulièrement, ces attaques représentent pourtant le quotidien des résidents et des réfugiés du bassin du lac Tchad. Il n’est alors pas surprenant de constater que l’association humanitaire Care considère cette région comme étant une des dix crises les moins médiatisées en 2019.  Le nord-est du Nigéria, la région du Diffa au Niger, le nord du Cameroun et l’est du Tchad forment cette zone où au cœur se trouve un lac qui se rétrécie de plus en plus.  Aujourd’hui, faisant uniquement le dixième de sa surface d’il y a 50 ans, le lac Tchad est une grande victime des changements climatiques. Cependant, le rétrécissement du lac n’est pas le seul facteur de la crise humanitaire qui sévit actuellement:  la famine, la présence sanglante du groupe terroriste Boko Haram et les immenses déplacements qu’engendrent leurs attaques alimentent d’autant plus cette situation qui toucherait environ 17 millions de personnes. 

Présence et massacres de Boko Haram

« L’éducation occidentale est un péché ». Voilà la traduction du nom Boko Haram, groupe salafiste djihadiste formé en 2002 au Nigéria. Étant à l’origine une secte, il s’agit d’un regroupement extrémiste composé majoritairement d’hommes souhaitant l’instauration d’un califat. En 2013, sa présence s’étend dans le bassin du lac Tchad: les massacres sont réguliers et l’ICSR [The International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence, NDLR] l’étiquette en 2014 comme étant « le groupe le plus féroce du monde. » Symbole de l’islam radical, Boko Haram possède plusieurs similarités avec le groupe terroriste Al-Qaïda (d’ailleurs, plusieurs tentatives d’association ont eu lieu). Vivement obscurantiste, le groupe armé exécute régulièrement des attaques dans des écoles, là où le savoir occidental qu’il rejette est diffusé. Bien qu’il fût estimé en 2014 à 30 000 hommes, Boko Haram ne cesse de recruter de force . Bien que le groupe utilise des méthodes comme les attentats-suicides, les prises d’otages et la torture, les médias occidentaux ont toutefois tendance à relever davantage leurs enlèvements massifs. L’un des plus médiatisés fut celui de 2014, lorsque 276 étudiantes furent enlevées à Chibok (or, le 29 janvier dernier, CNN annonça que plusieurs femmes parmi les 112 encore actuellement recherchées auraient réussi à s’enfuir).

Il faut noter que les femmes sont les cibles particulières du conflit. Kidnappées, forcées de se marier, violées, prises en otage, torturées, utilisées comme kamikazes, vendues comme esclaves, les familles du bassin du lac Tchad n’ont pas d’autres choix que de cacher leurs filles. L’éducation sexuelle est presque inexistante et l’accès aux contraceptifs est pratiquement nul: les grossesses précoces sont fréquentes et résultent en une stigmatisation dans la communauté. De plus, Boko Haram exécute régulièrement des rapts visant, encore une fois, les femmes : « Ils [membres du groupe terroriste, NDLR] passaient de porte en porte à la recherche de filles (…). Ils ont pris de force huit filles âgées de 12 à 15 ans. » 

Le recrutement n’est cependant pas toujours forcé: plusieurs personnes s’engagent volontairement à suivre l’idéologie du groupe terroriste, parfois dû au désespoir que la crise engendre, donnant l’impression qu’il s’agit de la dernière ressource pour jouir de sécurité. Qu’importe, ce mouvement insurrectionnel enchaîne les attentats meurtriers de façon presque hebdomadaire, n’épargnant aucunement les civils et les infrastructures essentielles (hôpitaux, écoles, marchés, etc). La menace étant persistante, des millions de personnes se voient ainsi forcées de fuir.

Problème de déplacements

Selon les statistiques du 31 juillet 2020 de l’HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), on recenserait environ 2 millions de déplacés internes au Nigéria et plus de 684 000 au Cameroun, au Tchad et au Niger. Même si l’extrême violence de Boko Haram est la cause de 92,8% des déplacements, elle n’est pas le seul facteur de ces mouvements massifs: les catastrophes naturelles sont à prendre en compte. Inondant des villages entiers et ruinant les récoltes, les pluies diluviennes sont récurrentes. D’ailleurs, celles de l’année 2020 auraient été considérées comme les plus abondantes depuis des décennies.

Faisons ainsi une parenthèse sur la famine. En 2017, 1,7 millions de personnes peinaient à obtenir un seul repas par jour. Dans la région du lac Tchad, la moitié de la population vit de l’agriculture, de la pêche du lac et/ou de l’élevage. Plusieurs font ensuite le commerce de leurs récoltes dans les marchés des villages. Or, avec l’éclosion de la COVID-19, ces lieux de transactions permettant la survie des familles doivent fermer pour empêcher la propagation. Les inondations et les sécheresses rendent impossibles les récoltes des terres cultivables sans mentionner que Boko Haram incendie les zones agricoles lors de leurs passages sanglants. Avec la pandémie actuelle, la crise humanitaire se détériore et l’insécurité alimentaire persiste: le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) estime à 400 000 le nombre d’enfants qui sont près de la malnutrition aigüe. Enfin, l’accès à l’eau potable est restreint et lorsque les civils ingèrent de l’eau n’étant pas destinée à la consommation, on assiste entre autres à l’apparition d’épidémies (choléra, thyphoïde, etc). Ainsi, le mince financement que le secteur reçoit des pays occidentaux tardera à subvenir aux besoins des 3,6 millions de Camerounais, de Nigériens, de Nigérians et de Tchadiens vivant une insécurité alimentaire sévère.

Face à ces difficultés, les communautés doivent se réfugier dans les villages voisins, franchir les frontières des pays de la région ou encore occuper un camp de réfugiés. Selon un dossier d’Oxfam sur la crise du bassin du lac Tchad, « plus de 80 % des personnes déplacées cherchent refuge dans les communautés hôtes qui luttent elles-mêmes pour leur survie; ces communautés englobent les proches, les amis et même des inconnus ». C’est donc sans grande surprise que parmi les 9,2 millions de personnes de la région qui nécessitent de l’assistance humanitaire d’urgence, 240 000 d’entre elles sont des réfugiés provenant de communautés précaires. Tristement, les ressources s’épuisent même dans les camps de réfugiés: manque d’eau, de nourriture, d’abris. Les sites sont surpeuplés et donc la maladie se propage très rapidement. La population vit constamment dans une pauvreté extrême et tente de survivre indépendamment de son nouvel emplacement.

Souffrir en silence

Cette région vit actuellement une crise humanitaire, une crise écologique, mais surtout une crise de protection. Boko Haram tue des milliers de civils dans ses tentatives d’insurrections régulières. Peu est fait pour la sécurité civile, et encore moins pour la protection du bassin: en 2008, le Programme d’Action Stratégique pour le Bassin du lac Tchad est signé par les pays de la CBLT, soit le Cameroun, le Centrafrique, le Tchad, le Niger et le Nigéria. Ce rapport relate les tragédies qui se produisent à cet endroit, mais établit surtout les moyens à mettre en place pour obtenir du changement rapidement et tenter de sauver la région. En 2014, on note grâce à ce plan d’action une mince amélioration de la gestion et un rendement à certains égards. Toutefois, en 2021, le bassin du lac Tchad est encore très vulnérable. Les Camerounais, les Nigériens, les Nigérians et les Tchadiens sont à des millénaires de sentir le confort et de profiter de la sécurité de l’Occident: des millions sont plongés dans la peur quotidiennement. Ils souffrent, en silence. En silence, notamment parce que c’est une crise qui date déjà de plusieurs années: l’intérêt des grands médias actuels (bien que très faible au départ) s’est dirigé ailleurs au fil du temps. Une crise de protection, car  malgré les efforts de nombreux organismes humanitaires et les contributions monétaires à travers le monde, cette région demeure extrêmement dangereuse. Seulement en 2018, six travailleurs en aide humanitaire au Nigéria furent assassinés et de diverses bases militaires ont été attaquées: l’aide à approvisionner au bassin reste difficile à offrir.

Même si j’ai pu exposer dans cet article des éléments d’une misère déchirante, je souhaite surtout que cette lecture suscite le désir d’en apprendre davantage sur les crises humanitaires que les journaux majoritairement occidocentriques semblent fréquemment oublier. Je vous invite également à faire un don pour aider la situation au lac Tchad. Même si l’argent ne résoudra pas l’entièreté de la crise, il peut certainement contribuer à l’affaiblir!

La dictature bélarussienne d’aujourd’hui

Un citoyen bélarussien accepte de raconter son quotidien sous ce régime, sous lequel un simple maillot de bain d’une certaine couleur peut vous faire arrêter.  Alexandre Loukachenka est président du Bélarus depuis maintenant plus de 26 ans. Le 9 août 2020, il a été déclaré vainqueur des élections présidentielles avec 80% des voix. Or, une majorité de la population considère que c’est en réalité  Sviatlana Tsikhanouskaïa qui a gagné. C’est la raison pour laquelle depuis fin mai, les Bélarussiens descendent dans la rue pour manifester pacifiquement. Des dizaines de milliers de personnes ont été arrêtées et emprisonnées, et de très nombreux cas de torture ont été répertoriés. Pour sa sécurité, L’Exilé a décidé de conserver l’anonymat de notre invité, que nous tenons à remercier pour cet entretien.

MD: Votre vie a-t-elle beaucoup changé depuis les dernières élections (tenant compte que ça fait 26 ans que Loukachenka est au pouvoir)?

La vie a changé dans le pays en général. Je vis sous la dictature de Loukachenka  depuis 1994, alors je connais la nature du régime, c’est-à-dire un régime  autoritaire gouverné par un dictateur nostalgique du régime soviétique. J’ai fait face à des répressions et j’ai été battu par la police anti-émeute bien avant 2020. Pour plusieurs Bélarussiens, les atrocités du régime et la vérité sur ce qu’est vraiment ce régime sont des découvertes,  car les répressions étaient plus ponctuelles et ciblées avant l’été 2020. La montée des répressions a été extraordinaire et sans précédent : plus de 30 000 personnes  ont été arrêtées et des milliers se sont vues accusées de crimes pénaux. Le gouvernement a déclenché une sorte d’état de terreur depuis environ six mois. Je connais personnellement beaucoup de gens qui ont été emprisonnés. Toute personne risque d’être emprisonnée, si, par exemple, les policiers trouvent dans son portable les traces de visites de sites d’information indépendants ou d’abonnement aux groupes de discussions critiques du régime. Les cas d’arrestations de personnes innocentes, battues et jetées en prison sont nombreux. Malheureusement, c’est devenu la normalité  et les conditions de vie dans lesquelles vivent désormais les Bélarussiens; celles de la terreur.  Toutefois, on observe une vague de solidarité – les gens s’entraident – et  une mobilisation formidable contre ce régime qui est apparue  même un peu avant les dernières élections. En mars 2017, des gens se sont mobilisés,  lorsque j’ai été battu et emprisonné par le moyen d’une collecte de fonds. J’essaie de faire pareil maintenant, en aidant financièrement. Ces fonds de solidarité (qui sont maintenant ciblés par la propagande du régime) sont  formidables et sont une preuve qualitative que le pays a changé. En termes de chiffres et de division du pays, on rigolait en disant que la dictature n’avait que 3% des voix, malheureusement c’était plus, environ le quart de la population  regroupant une minorité agressive et armée qui n’a pas de scrupule à utiliser la force (violence et torture) dans le but de préserver le pouvoir de ce dictateur  vieillissant.

MD: Dans le cas de Loukachenka, sa meilleure arme pour conserver sa place au pouvoir et le respect de son autorité est la terreur infligée à la population. Est-ce qu’on pourrait dire que la meilleure arme que possède la population est la solidarité et la mobilisation?

Pour les gens, la mobilisation et la solidarité sont très importantes et on est pourvus d’une sorte d’obligation morale d’être unis. Étant donné les victimes et les arrestations déjà faites, tout le prix déjà payé, on a pas le choix de se mobiliser. Je participe à presque toutes les manifestations (tous les dimanches), et on observe un élan important. J’ai beaucoup voyagé à l’extérieur et avant, en  rentrant au Bélarus, je remarquais que les gens ne se regardaient pas dans les yeux, mais ça change. C’est comme une révolution de dignité, les gens se regardent de plus en plus dans les yeux et regardent de plus en plus tout droit. On dirait la naissance d’une affirmation, comme si les gens se sont réveillés, et ça dépasse largement les gens de mon milieu. On pensait que les Bélarussiens  n’étaient pas capables de se mobiliser, qu’ils étaient trop tolérants, pas sûrs d’eux et qu’ils manquaient de respect de soi, mais aujourd’hui, j’entends les gens dire être fiers d’être bélarussiens. C’est une révolution des esprits.

MD: Vous avez fait quelques jours en prison, pouvez-vous nous en parler? 

C’est une expérience inoubliable. Ce système a hérité d’éléments du goulag soviétique ; pas de promenades (en une semaine je me suis promené une fois), on nous forçait à être assis tout le temps ou alors debout le jour, on n’avait pas de papier ni de stylo pour écrire, il y avait des restrictions alimentaires et la correspondance qui est garantie par la constitution n’arrivait pas. Des dizaines  de lettres m’ont été envoyées et j’en ai reçu trois ou quatre. Dans la soirée, ils passaient de cellule en cellule pour distribuer les paquets et les lettres venant des proches, et à un moment donné, ils m’ont montré plein de lettres avec mon nom écrit dessus (destinées à moi) et les ont jetées dans leur sac poubelle  devant moi. Pourtant, ce n’est rien par rapport à ce qu’on lit dans les rapports de gens sortis de prison. Ces gens ont fait face à la torture et à l’humiliation encouragées par le régime pour intimider les gens. Dans le secteur public  (entreprises/services publics, écoles, hôpitaux), qui occupe environ 70% de la main-d’oeuvre, les employés apprennent qu’ils vont être licenciés en sortant de prison. Ils sont jetés à la porte sans scrupule. Il n’y a pas de droit de travail et les syndicats sont peu nombreux et soumis. C’est pareil dans les universités, où des étudiants sont expulsés pour avoir participé au mouvement de résistance. D’ailleurs, une ancienne étudiante (22 ans) à moi est en prison depuis trois mois déjà pour avoir participé. Tout cela encore dans le but de faire peur.

MD: Selon vous, est ce qu’il y a espoir tant que les forces de l’ordre demeurent fidèles à Alexandre Loukachenka?

Il y a deux facteurs qui ont permis au dictateur de rester au pouvoir tout ce temps. Le premier est son emprise sur les forces de l’ordre qui lui sont loyales et qui sont d’ailleurs très bien payées par rapport au reste de la population.  Elles se sont vues promulguées dans des positions faisant que le pays est  maintenant dirigé par cette junte militaire et sécuritaire. Le premier ministre, Roman Golovtchenko, vient lui-même d’un soi-disant complexe  militaro-industriel, et quelques ministres viennent des services secrets. La loyauté de ces forces a été bien préparée par le régime qui fait tout pour tirer des leçons des révolutions pacifiques et surtout de la révolution d’Euromaïdan en Ukraine en 2013-2014. Le deuxième facteur est le soutien de la Russie. Malgré les histoires  de conflits personnels entre Loukachenka et Vladimir Poutine, ce dernier n’a pas d’autre choix que de soutenir le dictateur biélorusse. Ils dirigent des  régimes similaires et Poutine  craint voir cette révolution démocratique populaire au Bélarus mener à un changement de régime au pays, puisqu’il a peur que le changement démocratique signifie un éloignement du Bélarus et de l’emprise russe sur celui-ci. Cette emprise est importante pour lui parce que c’est le premier pas vers le redressement de l’empire auquel Poutine continue de rêver.

MD: Est-ce que vous croyez que l’intervention d’acteurs extérieurs pourrait aider à mettre fin à cette crise? 

Je ne dirais pas intervention, car cela implique une intervention militaire. Ce qui aiderait réellement, c’est la solidarité et l’attention. À travers le monde, la démocratie s’installe dans des conditions internationales favorables. Par exemple, il a fallu l’intervention militaire américaine pour que l’Allemagne nazie devienne une démocratie, et ce fut pareil pour le Japon. Ce ne sera pas le cas au Bélarus, car c’est à son peuple de se débarrasser de la dictature et compte tenu du potentiel militaire de la Russie, cette dernière ne laissera pas une telle intervention se produire. L’attention, la solidarité, l’aide (surtout aux personnes réprimées) et des sanctions contre le régime, tout cela est très important. D’ailleurs, il n’est pas seulement question de la solidarité internationale, mais aussi d’ordre interne pour chaque démocratie : qu’elles soient respectueuses d’elles-mêmes, car on ne peut pas permettre que de telles atrocités se produisent dans n’importe quel coin du monde, y compris au centre de l’Europe, ce qui est d’autant plus bouleversant.

MD: Si Loukachenka se tourne vers Vladimir Poutine pour aider à mettre fin à cette crise, y a-t-il raison de craindre une mise en jeu de la souveraineté et de l’indépendance biélorusse? 

Loukachenka a bâti son régime à l’aide de la Russie et en tentant d’éradiquer l’identité, la langue, la culture, et l’histoire  bélarussienne  pour des prix plus bas du pétrole et du gaz russes. En quelques sortes, il vend l’indépendance bélarussienne depuis 1994. Le dictateur, un Bélarussien  soviétique, est nostalgique de l’Union soviétique et a même dit à plusieurs  reprises que Moscou est sa capitale. Il est déjà très ancré et lié à la Russie et  Poutine l’a toujours soutenu, même qu’il a donné un prêt au Bélarus, en août dernier, pour rembourser un ancien prêt. On sait que les Russes ont fourni des armes pour combattre les manifestants et qu’ils étaient prêts à intervenir. Il y avait d’ailleurs des voitures blindées le long de la frontière entre le Bélarus et la Russie dans les mois d’août et de septembre.  Certains journalistes de la télévision étatique ont démissionné, et ce sont des Russes de Russia Today qui les ont remplacés. La télévision est l’instrument majeur de propagande russe et si on suit ce que disent les chaînes de télévision dit sur les évènements au  Bélarus, on semble comprendre que c’est toujours l’Occident qui tente de bouleverser la tranquillité dans le Bélarus fraternel. Pour le Kremlin, le Bélarus  indépendant n’existe même pas. D’après lui, nous ne sommes pas une nation indépendante, alors il vaut mieux un despote loyal au Bélarus qu’un pays indépendant qui deviendra neutre et qui développera des relations plus égales avec la Russie, ainsi que des relations avec d’autres pays du monde et donc de la communauté démocratique. En sachant que nous partageons une frontière commune avec des pays de l’Union européenne, le Bélarus a un potentiel  important d’améliorer ses relations avec le monde démocratique.

MD: Quand on parle de disparitions lors de manifestations pacifiques outre les six personnes tuées du 9 au 11 août 2020), elles seraient où maintenant? Encore en vie? 

Très vraisemblablement, ces personnes ont été tuées et la police a réussi à cacher leur mort, autrement, on aurait pu les trouver dans les prisons. Les proches des victimes ont peur de déclarer leur disparition. Une conversation  enregistrée secrètement du ministre adjoint de l’Intérieur a été rendue publique dans laquelle il a reconnu que l’État a nié avoir tué la première personne officiellement reconnue morte pendant les manifestations, Alexandre Taraïkouski. Ça prouve qu’il y avait d’autres cas similaires.  L’enregistrement dévoile aussi que la police agit en fonction des ordres de Loukachenka, qui les protège personnellement de toute responsabilité.  Évidemment, ils font tout pour tenter de cacher ces morts. Le but est de mettre de la pression sur les proches. Un autre exemple est celui de  Mikita Kryŭtsoŭ  dont le corps a été retrouvé à Minsk. Les autorités  prétendent qu’il se serait pendu. Des plaintes ont été déposées pour violence et torture, mais aucune enquête n’a été menée (ils ne le peuvent pas), ce qui signifie une politique délibérée.

MD: On parle souvent de Sviatlana Tsikhanouskaïa comme étant « l’espoir de changement », la voyez-vous de la même manière? 

Sviatlana est devenue un symbole de la résistance. Devenue présidente par défaut et entourée d’une équipe, plusieurs lui font confiance et elle a su devenir une véritable personne politique qui incarne les aspirations des Bélarussiens. Nombreux sont ceux qui la voient comme une véritable présidente, et oui, elle a gagné les élections. Tsikhanouskaïa fait tout son possible, mais son exil complique les choses. Elle arrive tout de même à attirer l’attention de la communauté internationale sur ce qui se passe au Bélarus et mobilise le soutien des Bélarussiens ce qui est très important. Elle est récemment intervenue au Conseil de sécurité de l’ONU grâce au soutien de l’Estonie qui en est membre non-permanent. Tsikhanouskaïa est la personnalité politique qui a le plus de légitimité au Bélarus et elle a un potentiel  important pour précipiter le changement au sein du pays. Elle a fait appel à une  grève générale qui ne s’est pas produite, en partie parce que les gens ont peur : la chasse aux gens a eu un certain effet.

MD: Est-ce qu’il y a beaucoup de dénonciations entre les gens? 

Ce n’est pas généralisé, mais il y a des cas. Des cas où les voisins portaient plainte contre quelqu’un ayant mis le drapeau national, blanc rouge blanc, sur son balcon ou dans son appartement. Ça a mené à des arrestations. Ce n’est pas qu’à Minsk, ça s’est même passé dans un certain nombre de villages. Ce sont des cas de délits administratifs alors ce n’est pas encore criminel, mais les forces de l’ordre arrivent souvent le vendredi, arrêtent quelqu’un, le gardent en prison le weekend et quand la cour se réunit le lundi, elle inflige une amende. Une mère de 5 enfants, dont 4 mineurs, a été arrêtée récemment et elle a passé le weekend en prison (il n’y a plus de droit, mais selon le droit en place, il est interdit d’emprisonner une femme d’enfants mineurs pour un délit administratif). Mais en général, il y a plus d’entraide entre les voisins que de dénonciation. On a malheureusement des Bélarussiens possédant une mentalité rudimentaire soviétique et agressive qui n’acceptent pas le fait d’être dans la minorité, toutefois, ils tiennent le pouvoir avec l’aide de l’appareil de l’État.

MD: Avez-vous des histoires et/ou des exemples pour nous donner une idée de ce qu’il se passe au Bélarus? 

Une situation stupide : une personne arrêtée et mise en prison quinze jours pour avoir mis le drapeau du Japon (rouge et blanc, mêmes couleurs que le drapeau national protestataire) sur son balcon. À ce point, on aurait pu mettre le drapeau canadien! Même des chaussures ou des maillots de bain blanc rouge blanc ont causé du trouble! Les forces de l’ordre exécutent les ordres aveuglément. Une simple feuille blanche dans une fenêtre ou sur un balcon peut mener à une interpellation. Des gens ont mis un tissu blanc avec le mot « drapeau » dessus et ça aussi ça les énervait. Il y a une campagne  d’arrestations, mais en août-septembre à Minsk, presque un balcon sur deux était orné du drapeau national (rouge et blanc), ce n’est plus le cas. Aussi, on n’arrête pas les mineurs en général ; désormais les forces le font. Un jeune a été inculpé pour avoir participé dans les troubles d’ordres publics et ils attendent ses 18 ans pour l’accuser : ce sera une accusation a  posteriori.  Récemment, le procès d’un mineur qui a organisé un réseau d’information sur les officiers anti-émeutes s’est produit. N’importe quoi peut arriver en cour  maintenant et on ne peut rien faire pour l’instant par rapport à tous ces procès. Près d’un millier de citoyens ont été accusés  de crimes et il y a près de 250 prisonniers politiques. Il y a des Bélarussiens  condamnés à quatre/cinq ans de prison pour violence contre un agent de police, quand souvent ils ne faisaient que se protéger. Des procès fermés dans lesquels on ne sait même pas de quoi ils sont accusés se font aussi. On connaissait déjà le manque d’état de droit, mais désormais le droit n’existe pratiquement plus et les décisions juridiques sont politiquement motivées. Pour l’instant, on a un régime réactionnaire qui continue à chasser les gens et à les emprisonner. Les procès commencent, les emprisonnements sans procès et sans condamnation aussi depuis fin mai  comme le mari de Tsikhanouskaïa. J’ai un ami qui a été arrêté avec son frère, et leur détention provisoire est constamment prolongée sans aller en cour. Le système judiciaire est soumis au dictateur et les juges ne font que tamponner les décisions qui sont déjà prêtes. Parfois les juges ont refusé ou ont infligé des condamnations moins sévères, mais en règle générale malheureusement, les juges sont marionnettes du régime. On peut rigoler mais ça pourrait m’arriver  demain. Parfois je regarde les voitures passer et je pense c’est peut-être pour moi. On ne veut pas quitter le pays, alors on espère que ça va changer, car les gens sont supers ici et j’espère que ça ne va pas tenir longtemps.

MD: Sentez-vous que vous êtes surveillés et si oui, est-ce que vous vous censurez (ex. sur les médias)? 

Techniquement, toutes les conversations téléphoniques sont enregistrées, s’ils veulent avoir quelqu’un et trouver des pistes, ça peut arriver à n’importe quel moment. Ils peuvent même inventer un cas et faire une accusation juste comme ça. Ils peuvent trouver n’importe qui. Je limite mes commentaires depuis un certain temps, car je pourrais dire des choses pouvant être vues comme un appel au trouble d’ordre public. Ils ont aussi des logiciels pour traquer les gens.

MD: Comment espérez-vous voir devenir le Bélarus (à quoi ressemble votre Bélarus idéal)?

Le Bélarus est un pays basé sur le droit, un pays normal, avec un État qui protège et non qui chasse et qui intimide, un pays ouvert, qui a une démocratie  locale. C’est un pays de communautés locales, qui sont maintenant chassées par le régime en place. C’est un pays basé sur une vie locale très active, qui connait son histoire (l’empire soviétique et l’empire russe ont tout fait pour que les  Bélarussiens oublient leur histoire) qui est celle de la lutte pour la liberté, qui a eu des traditions démocratiques de longue date. Le Bélarus s’intègre avec ses voisins occidentaux (le pays possède une  histoire commune avec la Pologne et la Lituanie qui date de plusieurs  siècles). C’est une  démocratie européenne  qui bâtit des relations transparentes avec la Russie. C’est un pays basé sur l’esprit citoyen, la crédibilité, la foi mutuelle de l’État et des citoyens. C’est aussi un pays qui  regarde dans l’avenir et qui est basé sur la propriété privée qui fait tout pour que les gens puissent réaliser leur potentiel sans chercher à quitter le pays pour trouver un avenir meilleur. Tout cela est en ce moment un rêve, mais je sais qu’on a le potentiel pour y arriver. On a des gens formidables.  On peut aller dans cette direction.

Je clos cette entrevue en rappelant que le 7 février 2021 sera la Journée internationale de la solidarité avec le Bélarus. Je vous invite à continuer à vous informer sur la situation et à en discuter avec votre entourage.

Alexei Navalny, le martyr de l’opposition russe

Alexei Navalny, le principal critique et opposant politique de Vladimir Poutine, s’est fait arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Cheremetievo  de Moscou le 17 janvier dernier. Ce dernier résidait en Allemagne jusqu’alors, car il était en convalescence depuis qu’il a survécu à une tentative d’empoisonnement présumée au Novitchok (une puissante neurotoxine de concoction russe)  survenue le 20 août 2020 en Sibérie. Cette tentative d’assassinat est soupçonnée d’avoir été ordonnée par le Kremlin et ainsi autorisée par le président lui-même. L’utilisation de ce genre de pratique par le gouvernement russe n’est pas rare et s’inscrit dans une récente série de semblables assassinats et tentatives  d’intimidation afin de baîllonner et décourager l’opposition au pouvoir en place.

Au cours des dix dernières années, Navalny a tenté de faire campagne tant sur le plan médiatique que politique pour critiquer la corruption qui est endémique au sein de la classe politique au pouvoir et surtout dans l’entourage proche de Vladimir Poutine. À cette fin, il a créé une fondation anticorruption composée d’avocats comme lui-même, et dont l’objectif est d’enquêter sur les politiciens du parti de Vladimir Poutine afin de mettre à jour leurs excès et abus de pouvoir. À plusieurs reprises, il a écoppé des peines d’emprisonnement pour avoir organisé des manifestations non autorisées, et a été victime de tentatives d’intimidation afin de le dissuader de poursuivre sa critique ouverte du  gouvernement. C’est pourquoi son emprisonnement dès son arrivée au pays a soulevé l’indignation parmi la population russe, ainsi que parmi la  communauté internationale, dont la France, le Canada et l’Union européenne qui ont condamné l’emprisonnement et demandé la libération d’Alexei Navalny. 

Avant l’arrivée de l’opposant russe à Moscou, une foule de manifestants s’était déjà réunie aux portes de l’aéroport pour protester contre le mandat d’arrêt émis à son endroit par les autorités et pour lui apporter leur soutien; 65 personnes ont été arrêtées. Le 21 janvier 2021, Alexei Navalny et son équipe diffusent sur YouTube et sur d’autres plateformes un documentaire de deux heures exposant une villa aux allures de palais qui selon eux, serait la propriété de Vladimir Poutine et qui aurait été payée avec l’argent des contribuables ainsi que par des pots-de-vin pour une valeur approximative d’un milliard de dollars. Cette vidéo a été visionnée 90 millions de fois six jours après sa sortie.  Le jour même de la sortie de l’enquête sous forme documentaire devenue virale instantanément, Navalny a appelé la population à aller manifester dans les rues d’une soixantaine de villes le samedi 23 janvier.

Ils furent plus nombreux que prévu à répondre à son appel. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblèrent dans les rues de cinquantes villes différentes à travers le pays, dont 40 000 à Moscou seulement, ce qui représente la plus grande mobilisation dans l’histoire récente de la Russie. Ces manifestations étant illégales, la police attendait en grand nombre la foule qui s’est rassemblée proggressivement dans la journée. Au total, des organismes extérieurs ont dénombré approximativement 3000 arrestations au cours de la journée ce qui laisse entendre le niveau de tolérance du Kremlin envers les manifestations critiquant sa gouvernance. Ces arrestations ont été dénoncées  par plusieurs dirigeants de pays qui considèrent cette répression comme étant une atteinte grave à la démocratie. L’équipe d’Alexei Navalny appelle les manifestants à revenir le samedi de la semaine qui suit afin de continuer à protester contre le gouvernement de Vladimir Poutine, dans l’espoir que presque autant de gens se réunissent à nouveau.

Le phénomène Trump et le populisme

Au cours des quinze dernières années, nous avons pu assister à une résurgence de mouvements populistes dans les démocraties de l’Occident et ce à un rythme soutenu donnant l’impression d’un effet boule de neige. Le phénomène a pris beaucoup d’importance en Europe et en Amérique latine où des politiciens et partis tels que Victor Orban en Hongrie et Marine Le Pen en France, pour ne nommer que ceux-là, portent un message anti-globaliste et anti-élites qui rejoint une plus grande partie de la population d’élection en élection. L’exemple récent le plus marquant de ce phénomène mondial est bien sûr le mouvement Make America Great Again (« Rendons à l’Amérique sa grandeur »), mené par nul autre que le controversé Donald J. Trump. Sa récente défaite aux élections américaines peut paraître comme un refus du populisme « trumpiste » qui en rebute plus d’un, mais cette conclusion est peut-être hâtive et risquée.

Le phénomène Trump

En 2016, Trump perd le vote populaire contre Hillary Clinton 62.9 à 65.8 millions de votes. Cette année, avec un record historique de participation électorale atteignant 153 610 732 de voix, soit 67% des citoyens aptes à voter, 73 786 905 de ces scrutins furent remplis en faveur du Président sortant. Il est difficile de considérer l’échec de Trump à renouveler son mandat comme une totale défaite de sa marque de populisme, car ce sont 10.8 millions d’électeurs de plus qu’il a réussi à rallier, comparé à sa performance de 2016 qui lui avait alors coûté le vote populaire.

La victoire de la présidentielle par le démocrate Joe Biden n’était pas censée être aussi mince qu’elle l’a été, on s’attendait plutôt à une vague « bleue » (couleur du parti démocrate) censée renverser la majorité républicaine au Sénat et creuser l’écart dans la chambre des représentants. À la lumière de cette victoire mitigée, le risque qu’encourt le mouvement progressif de gauche, incarné par le Parti Démocrate, est d’ignorer les problèmes qui inquiètent la moitié de l’électorat, ayant voté pour un populiste conservateur assumé, et de ne pas se remettre en question en prévision de la prochaine élection. Car avec l’engouement et l’enthousiasme qu’a réussi à soulever Trump chez ses partisans, ceux-ci ne se démobiliseront pas de sitôt et risquent de revenir en force en 2024, que le milliardaire se représente ou non.

Le populisme et son antidote en bref

Les problèmes portés (ou utilisés, dépendant de la façon de voir les choses) par les populistes à travers le monde sont souvent le scepticisme envers la mondialisation économique, la sécurité des frontières, l’élitisme politique ainsi que le fardeau fiscal pesant sur la classe moyenne. Bien que le mouvement populiste est beaucoup plus complexe et nuancé que le laisse entendre cette courte énumération de thèmes communs, il s’agit d’une idéologie ni précise ni profonde dont peut porter le chapeau tant la droite que la gauche. Aux États-Unis en l’occurrence, le mouvement populiste s’incarne à droite chez les républicains de Trump et à gauche chez les démocrates supportant Bernie Sanders.

Afin de freiner les gains du populisme dans l’électorat, les politiciens devront se pencher sur certaines inquiétudes exprimées, en partie justifiées, comme les inégalités économiques et sociales chez le populisme de gauche par exemple. Le populisme ne date pas d’hier dans la politique moderne, il a toujours fait partie, à différents degrés, des sociétés démocratiques. Il n’y a donc pas de recette miracle pour contrer la menace populiste dans nos démocraties, mais d’ignorer celle-ci en espérant qu’elle disparaisse d’elle-même ou tenter de discréditer ses chefs et partisans ne fait que jeter de l’huile sur le feu et de convaincre de plus en plus de citoyens, que la classe dirigeant les méprisent.

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