
Crédit : Clovis Fecteau
Parler de langue et de culture, c’est marcher sur des œufs. J’y saute nu-pieds au risque de m’y couper.
Je reprendrai ici le titre d’un article de Maxime Pedneaud-Jobin publié dans La Presse dernièrement : « Si un Japonais parle grec, cela fait-il de lui un Grec ? ». Cette phrase représente bien le débat sur la culture et la langue qui oppose le Québec au reste du Canada anglophone. D’autant plus que la situation du français devient de plus en plus inquiétante et que le débat sur sa place occupe de plus en plus la scène politique. Le gouvernement du Québec et plus précisément le ministre de la Langue française et responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Jean-François Roberge et Bernard Drainville, ministre de l’Éducation, semblent vouloir appeler les Québécoises et Québécois à une espèce de mobilisation de grande ampleur pour freiner, voire, renverser la tendance du déclin.
Une idée qui semble bien belle, mais dont la vision semble floue. Pour qu’une telle démarche fonctionne, tout dépendra de la place que l’on réservera au français. Sera-t-il une simple langue de communication? Ou sera-t-il le vecteur principal d’une culture riche, vibrante et unique?
Pour le Canada, la réponse semble claire, la langue n’est pas véhicule de culture. Cette dernière peut très bien être propagée et partagée dans différentes langues.
La nation québécoise possède une vision bien différente ; la culture est indissociable de la langue qui la porte et dès lors, pour qu’une culture soit riche, vibrante et unique la langue qui l’accompagne doit l’être tout autant. Si la culture est une cathédrale, au Canada, on a fait le choix d’en construire une pour y caser chacune et chacun. Ici, on a choisi d’en faire une pour tous.
Bien que la situation du français au Québec et au Canada semble encore faire débat, il semble qu’un consensus sur son déclin se met en place. Cependant, les mesures mises de l’avant par certains groupes pour la protéger divergent fortement. Si certains prônent des mesures restrictives quant à l’utilisation d’autres langues, certains mettent plutôt de l’avant une revalorisation de la culture. Je suis de cette avenue.
Alors que notre société consomme de plus en plus de contenus culturels étrangers (ce qui est en soi tout à fait valable), alors que les jeunes, de manière générale, perdent peu à peu nos références cultes avec l’internationalisation des référents culturels, il va de soi qu’en tant que société nous mettions davantage l’accent à promouvoir ce qui vient d’ici. À l’école, par exemple, on présentera des films américains en récompense, on fera danser les élèves sur des tounes de Taylor Swift et de Rihanna dans les spectacles de Noël, on apprendra des chansons de Michael Jackson dans les cours d’anglais et on lira des traductions de Harry Potter. Pourtant les enfants consomment déjà tout ça chez eux ou dans la cour d’école. Alors au lieu de leur présenter ce qu’ils aiment déjà, ne devrions-nous pas, au contraire, leur apprendre à aimer la culture de l’endroit où ils vivent. Leur apprendre les chansons de Jean-Pierre Ferland. À chanter du Léonard Cohen ou du Charlotte Cardin dans les cours d’anglais. À danser sur du Robert Charlebois. À lire du Naomie Fontaine. À écrire comme David Goudreault ou s’exprimer comme Boucard Diouf. Leur faire écouter La Guerre des Tuques, Les Bougons, Les Boys et Bon Cop, Bad Cop durant les périodes libres du vendredi.
Pour encore une fois, je vais reprendre les mots de M. Pedneaud-Jobin :
« Danser sur du Rihanna, c’est faire ce que la planète entière fait, danser sur du Roxane Bruneau, c’est contribuer à construire une nation originale, c’est contribuer à promouvoir la diversité des cultures. »[1]
De plus, mettre de l’avant cette culture dès le primaire, c’est tisser des liens intergénérationnels plus forts, c’est renforcer, autour de références communes, les liens entre les personnes de divers horizons. C’est encourager les artistes d’ici. C’est mettre de l’avant nos couleurs, c’est contribuer à la création d’un sentiment d’appartenance commun à tous, autour de références d’ici. Au terme d’un parcours scolaire, on devrait pouvoir connaitre les plus grandes lignes de l’écran et de la musique québécoise (« Ils l’ont-tu l’affaire, les Amaricains » ou « Envoye dans l’lit, maudite chanceuse. »)
Et quand bien même parler plusieurs langues est une richesse inestimable, un avantage en embauche et en voyage. Quand une nation vibre au rythme d’une même langue. Quand on la chante, la danse, la signe, la débat. Quand on en est fière. Quand on la partage, on offre au monde une nouvelle culture, une nouvelle richesse. Quand cette culture prospère, sa langue et sa nation, prospère aussi.
Oui, la culture québécoise c’est Félix Leclerc et la Bottine Souriante, mais c’est aussi, Kim Thúy, Rachid Badouri, Corneille ou Dany Lafrenière et j’en passe des tonnes. La culture d’ici est imprégnée d’un métissage tissé serré, c’est le choix qu’on a fait au Québec, celui de l’interculturalisme et du français.
« La vitalité d’une langue est le reflet fidèle de la vitalité des peuples qui la parlent. »
Marina Yaguello
[1] https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/2023-02-06/si-un-japonais-parle-grec-cela-fait-il-de-lui-un-grec.php