Les prochains pas de Bertrand Laverdure

La santé de la poésie au XXIe siècle peut bien être remise en question, le poète montréalais Bertrand Laverdure ne laisse pas la pandémie freiner ses projets. Avec Charles Sagalane, il a ouvert son esprit créatif au public en 2021 grâce à un projet unique remédiant à la distanciation. En plus de cela, l’année tout récemment entamée semble tout aussi prometteuse pour les amoureux de poésie.  

Bertrand Laverdure, courtoisie

L’art ne doit pas cesser en pandémie  

Le dévoilement du Projet soft oulipien a eu lieu en toute intimité le 22 septembre 2021 à la librairie Le Port de tête, située sur l’avenue du Mont-Royal. Le public a pu découvrir la création, discuter avec les artistes et même en emporter un morceau avec eux. 

Le projet consiste en un abécédaire de poèmes sur cartes postales tirées d’une correspondance entre Laverdure et son ami Charles Sagalane, poète originaire du Lac-St-Jean et auteur du Journal d’un bibliothécaire de survie. Le premier poème, constitué de plusieurs mots commençant par la lettre « a », fut envoyé par Laverdure, auquel répondit Sagalane par un poème constitué de mots débutant par la lettre « b », et ainsi de suite. 

Photo : Marianne Dépelteau / L’Exilé

Sagalane explique que cet « abécédaire poétique » a su combler le vide généré par l’impossibilité d’assister aux soirées de lancement et autres évènements du genre. Ces derniers constituaient des moments d’échanges importants pour ces acteurs du monde littéraire québécois. Voulant aller au-delà des visio-conférences, les écrivains se sont engagés dans cette correspondance devenue pour eux « une expérience poétique à distance ». 

« Ça a beaucoup comblé notre vide pandémique […] il y avait une espèce de présence humaine, il y avait une relation maintenue comme ça pendant la pandémie »

Charles Sagalane
Charles Sagalane, photo par Sophie Gagnon-Bergeron

Laverdure fut l’instigateur de l’échange thématique qui s’étala sur une période de six mois avec Sagalane, alors situé à Saint-Gédéon au Saguenay-Lac-St-Jean. Chaque semaine, les lettres se succédaient en ordre alphabétique, les deux écrivains étalant leur adresse à travers vingt-six poèmes écrits à l’endos de photos et de cartes postales, porteuses de souvenirs. 

Les artistes ont alors eu le temps de s’amuser avec le jeu poétique. « On s’est mis à jouer sur les mots, sur comment on allait utiliser la contrainte. C’est une contrainte de la littérature oulipienne, voire de littérature potentielle qui est un groupe littéraire français », raconte Laverdure. 

La correspondance fut suivie par une volonté de partager ces écrits. Christian Bélanger, calligraphe et professeur en graphisme au Cégep Marie-Victorin, a été contacté par Laverdure afin de tracer les vingt-six lettres en caractères gothiques, ainsi que quatre symboles contemporains – @, #, $ et & – sur une sélection de trente pochettes de vinyles de musique pop. 

Des autocollants décrivant le projet se retrouvent à l’endos des pochettes de vinyles ayant été réalisés par Rico Michel, un photographe et concepteur graphique montréalais. Il a été chargé de réaliser un livret contenant les images des cartes et des photos utilisées, accompagnées des textes écrits par Sagalane et Laverdure pour ensuite les glisser dans les pochettes de vinyles.  

« C’est un projet qui joint l’amour des vinyles, de l’histoire des vinyles, de la musique, de l’art postal et en même temps, de l’amour de l’échange entre écrivains ».

Bertrand Laverdure 
Photo : Marianne Dépelteau / L’Exilé

Il reste quelques exemplaires du projet soft oulipien en vente à la librairie Le Port de tête ainsi qu’en ligne. 

Les prochains pas 

Bertrand Laverdure est le prototype d’un écrivain interdisciplinaire. Il est poète, romancier, librettiste, critique, ex-Poète de la Cité et ex-chroniqueur à CIBL et MAtv. On peut s’attendre à presque n’importe quoi de sa part. 

L’artiste sort d’ailleurs un livre de poésie aux éditions Hamac à la fin du mois de février 2022. Intitulé Ce livre ne s’adresse qu’à 0,00005% de la population, l’ouvrage de Laverdure s’adresse donc à ce minime pourcentage de la population qui s’intéresse à la poésie actuelle. Il annonce étudier, dans la centaine de pages qui composent son livre, « l’impossibilité de la communication vraie » et le « fractionnement de l’auditoire ».  

L’œuvre sera disponible en librairie à partir du 1er mars 2022. 

Article co-écrit par Marianne Dépelteau et Adel Khelafi.

Le théâtre documentaire : entre création et conversations citoyennes

Orianne Démontagne

Qu’est-ce que le théâtre documentaire? Comment le processus de création se déroule-t-il? Voici des questions auxquelles la dramaturge Annabel Soutar et les comédien⸱ne⸱s et auteur⸱trice⸱s Christine Beaulieu, Maude Laurendeau et François Grisé ont répondu lors de la conversation publique Le théâtre documentaire: du terrain à la scène. Organisée par la compagnie de théâtre montréalaise Porte-Parole, cette discussion avait pour but de présenter la pluralité des façons de faire du théâtre documentaire, mais également de répondre aux questions du public sur le sujet.

Les débuts du théâtre documentaire au Québec

C’est grâce à Twilight : Los Angeles 1992, une pièce écrite et jouée par Anna Deavere Smith, qu’Annabel Soutar a découvert le théâtre documentaire lorsqu’elle étudiait aux États-Unis. Dans cette pièce de théâtre, la dramaturge américaine explore le thème de la brutalité policière en se basant sur des entrevues qu’elle a menées auprès de centaines de personnes. Une fois rassemblés, les témoignages constituent le fondement du texte de sa pièce et, une fois sur scène, elle interprète elle-même tous les personnages.

Cette forme d’art est apparue à Annabel Soutar comme une solution à la polarisation qu’elle observait au sein de son université. Cela permettait d’engager un dialogue et d’exposer des points de vue parfois complètement opposés.

En revenant au Québec, elle a observé que le théâtre documentaire n’était pas encore répandu. Elle y a vu une formidable opportunité d’importer cette forme d’art. C’est ainsi que la compagnie Porte-Parole fut créée. Son objectif : faire un théâtre démocratique qui a une pertinence sociale.

Débuter la recherche

Lors de la conversation publique, on a pu constater la variété des motivations qui ont amené l’auteur et les autrices à amorcer leur recherche. Pour sa pièce Seeds, Annabel Soutar raconte qu’elle a commencé à rassembler des informations lorsque la Cour Suprême a accepté l’appel de l’agriculteur Percy Schmeiser contre Monsanto : « la première chose que je dois faire c’est de comprendre pourquoi ils sont en conflit et d’aller voir les deux bords ».

Christine Beaulieu, autrice de la pièce J’aime hydro, affirme que son point de départ est le conflit entre deux groupes en désaccord sur le projet de complexe hydroélectrique de la Romaine. Après avoir identifié le conflit, elle a commencé sa recherche en se posant la question « c’est quoi l’électricité? » Elle ajoute : « J’aime revenir à la base pour comprendre les choses. Je ne pense pas que tu peux arriver dans quelque chose au trois-quarts. Tant qu’à me plonger là-dedans, j’ai voulu revenir aux débuts [de l’électricité], son invention, etc. »

Pour Maude Laurendeau, c’est le diagnostic d’autisme de sa fille qui constitue le point de départ de sa pièce Rose et la machine. Elle s’est mise à documenter le suivi médical de son enfant. Ainsi, elle a récolté beaucoup de « matière précieuse » pour commencer l’écriture de son spectacle.

Difficile de rester objectif

Les autrices et auteurs présents affirment qu’une fois lancés dans le processus de recherche et d’écriture, il devient très difficile de rester neutre. Dans le cas de Maude Laurendeau, le sujet de sa pièce touche directement un aspect de sa vie personnelle : « Ce que je mets en scène ce n’est pas très objectif. C’est vraiment ma vision des choses, ça passe à travers mon vécu, mon expérience. C’est vraiment à la limite de la biographie et du théâtre documentaire. C’est quelque chose de plus personnel qu’une enquête documentaire. »

Pour sa part, Annabel Soutar insiste sur l’importance de ne rien cacher au public : « on sait que personne ne peut être complètement neutre […] et je crois qu’on a plus confiance en des auteurs quand ils sont transparents avec leur position, mais qu’ils font un effort pour écouter l’autre point de vue. »

Des sujets infinis

Les sujets dont il est question dans les pièces de théâtre documentaire sont très vastes et évoluent constamment de par leur nature. De nouveaux éléments peuvent continuellement être ajoutés au spectacle. Il est difficile, quand on est passionné par son sujet, de vouloir mettre un terme à ses recherches et de passer à autre chose.

Pour Annabel Soutar, le plaisir du documentaire réside dans le fait qu’il est toujours possible de poursuivre un projet et y ajouter de nouveaux éléments. C’est ce que Christine Beaulieu a fait lorsqu’elle a complètement modifié le cinquième chapitre de J’aime hydro pour y inclure un entretient avec Sophie Brochu (la présidente-directrice générale d’Hydro-Québec).

Avoir un impact

Lors du processus d’écriture, il est souvent difficile d’anticiper l’effet de la pièce sur le public. Pour Christine Beaulieu, l’important est de parler d’un sujet qui la touche et qui touche son équipe de travail. Si c’est le cas, elle sait qu’il est probable que les spectateurs se reconnaissent et qu’ils se sentent interpellés.

François Grisé, auteur de Tout inclus, affirme qu’il n’avait pas envisagé une réaction aussi importante : « Je ne pouvais pas prévoir cet impact-là, mais je ne savais pas non plus que de voir ça dans les yeux des gens ça allait transformer les chapitres cinq à huit qui sont la suite de mon immersion [dans une résidence pour personnes âgées] dans la façon même de raconter mon histoire. »

Il n’est pas rare que les pièces de théâtre documentaire aient un effet important sur le public. Plusieurs spectateurs et spectatrices conservent un souvenir marquant du désir de faire avancer une cause après être allé⸱e⸱s voir une des productions de Porte-Parole. Annabel Soutar rappelle que « la mission principale [de Porte-Parole] c’est la conversation parce que si on garde la conversation vivante entre les citoyens, […] ça peut donner de l’espoir aux gens pour résoudre des problèmes qui sont très complexes. »

Domaine Forget : Oasis pour la danse

Au bord du fleuve Saint-Laurent, entre nature et art, plaisir et connaissances, création et profondeur. Quand on est ou que l’on veut devenir interprète en danse contemporaine, on se doit de passer un séjour au Domaine Forget de Charlevoix. Je souhaitais y aller, découvrir d’autres danseurs et danseuses qui chérissent, comme moi, le rêve de faire partie du monde professionnel de cet art. Pourquoi ne pas vous plonger dans mon expérience…

Le Domaine Forget de Charlevoix est d’abord reconnu pour son académie estivale de musique. Cependant le stage de danse est lui aussi une oasis pour interprètes du mouvement. Anne Plamondon, chorégraphe et danseuse, y travaille comme commissaire à la danse depuis une dizaine d’années, auparavant avec la compagnie de danse montréalaise Rubberband Dance et, depuis 2018, en solo. Le but était de foncer et développer un programme estival intensif et professionnel pour la relève en danse. Normalement offertes chaque été pour danseurs et danseuses du Canada et d’ailleurs, les activités en présentiel au Domaine Forget avaient été suspendues pour la saison estivale 202. À vrai dire, le stage de dans 2021 était le premier des différents programmes intensifs à avoir lieu totalement en présence. Le nombre d’interprètes était moindre, ce qui a laissé place un processus d’auditions sélectionnant une vingtaine au lieu d’une quarantaine de participant.es canadien.nes seulement et bien de la persévérance, nous, danseurs et danseuses de la relève, avons pu vivre pleinement notre expérience.

Ce qu’on y a fait

Du 28 juin au 10 juillet 2021, nous avons eu la chance de travailler avec des artistes issus du milieu professionnel de la danse du Québec et d’ailleurs. Margie Gillis, sommité de la danse moderne, nous a ouvert les yeux avec des conseils inspirants lors de ses ateliers artistiques. Anne Plamondon, chorégraphe et interprète contemporaine, nous a offert des classes techniques et de création, ainsi qu’une chance de présenter une chorégraphie précise et touchante digne de son talent. Des classes de technique au sol et une séance d’exploration de la faune dans la forêt, sur la plage et dans le fleuve avec Paco Ziel, danseur et chorégraphe, nous ont permis de se connecter à la terre, à la nature, à ce qui nous fait vibrer. Carol Prieur, danseuse travaillant avec la Compagnie Marie Chouinard depuis 26 ans nous a fait découvrir à travers des explorations de mouvements corporels et des bruits vocaux, de nouvelles façons de s’approprier notre danse. Enfin, des classes de krump avec nul autre que 7starr nous ont donné la chance, pour certain.e.s, de sortir de notre zone de confort, en exécutant une vraie battle. Un horaire bien chargé du matin au soir. Des découvertes artistiques et techniques, des essais, des moments de laisser-aller, des connexions avec nos corps, nos âmes et avec les esprits des autres qui nous permis d’explorer nos sensations et nos capacités.

Le Domaine Forget, c’est aussi trois bons repas par jour avec une vue sur le fleuve, une chambre donnant sur le soleil levant, des feux de camps, une visite à Baie-St-Paul, des concerts gratuits, des échanges avec les stagiaires en musique, des visionnements de documentaires, une nuit sur la plage… Des moments inoubliables.

Ce qu’on nous partage

Mon séjour au Domaine était également synonyme de partages, avec notamment des cercles de discussions organisées avec les professeur.es et les mentor.es. C’étaient des moments d’écoute, des questionnements nécessaires. « La dans me fait sentir que je suis en vie. », disait Anne Plamondon en s’adressant à nous. En effet, nous venions de différents milieux, avion vécu diverses expériences, mais étions présent.es pour la danse, pour enrichir et partager ce qu’elle peut nous faire ressentir. De là sont venues des questions identitaires, à savoir si la danse fait partie de l’identité d’un danseur ou plutôt si elle sert à sa formation. Une parole de Carol Prieur est gravée dans ma mémoire : « Le mouvement est une façon de comment je comprends la vie. » En vérité, le danseur, la danseuse a la capacité de voir son corps autrement, de comprendre la vie autrement. Nous échangions sur ce qu’était notre vision du corps en mouvement de ce qu’il nous apporte, de ce qu’il peut semer.

Ces discussions abordaient des thèmes sur nos sensations, nos accomplissements, mais nous montraient aussi ce à quoi l’on doit s’attendre du milieu professionnel. L’importance des contrats des interprètes, la création d’opportunités en se faisant connaitre, l’ouverture aux autres arts ou à d’autres activités, la place de la diversité, etc. Parfois, il est difficile pour un.e interprète ou un.e chorégraphe de trouver sa place dans le milieu. C’est une source d’inquiétude pour plusieurs, moi la première, mais les propos de Margie Gillis m’ont profondément marquée si simples étaient-ils : « S’il y a quelque chose dans le monde que vous voulez et qui n’est pas là, créez-le. » Une note d’espoir de d’une grande danseuse et chorégraphe que je ne pourrai jamais mettre de côté.

Quelques témoignages anonymes de participants

Le stage m’a également permis de revoir ou de faire la rencontre de magnifiques artistes. Nous avons partagé des moments magiques et des connexions profondes qui m’ont fait réaliser que nous faisions partie de la danse d’aujourd’hui et de demain.

Je voulais vous laisser sur leurs mots.

(Ces témoignages proviennent directement de mon journal dans lequel certain.e.s de mes camarades du séjour ont pris le temps d’y écrire leurs ressentis et leurs expériences. C’est pour cette raison que certains passages sont en anglais.)

« J’ai appris à être vulnérable pour mieux apprendre. C’est une évolution constante » 

« Ouf, quelle expérience magnifique! Si riche en émotions, en apprentissages et en rencontres. De nouveaux mouvements et de nouveaux visages. »

« I am discovering the importance of connecting with myself and nature. My stay here has allowed me to recognize that. The un-seen energy around us holds so much power. »

« It is a fully immersive experience. You build such a close venit community with everyone and learn to trust a group of strangers within a few days. I have felt so alive during my time here, so connected to nature and to dance. »

« J’ai souvent besoin de temps pour avoir du recul sur ce qu’un stage m’a apporté, mais au premier abord, je peux tout de même constater quelques changements : mon rapport à l’autre, ma gestuelle étant désormais plus dense et mes capacités d’adaptations. Tous ces changements rendus possibles grâce à un environnement sain, des artistes impressionnants, un site magnifique et des personnes bienveillantes. »

« Daily dreaming in Domaine Forget. Flowers, hills, sea, wood, light, guitars, balloons, bodies, voices, inside, outside, silence, listening, trust, safe, songs, krump, yes, yes, yes, aaah! Chihiro vibes, acceptance, content, miracles, instrument, humidity, eye seeleing, English, French, Spanol! Ser, rage, sand, just pure pleasure, pure learning, pure truth and trust now. »

Brunnemer, une preuve de l’excellence musicale qui émerge au Québec

À la fin du mois de septembre 2021, j’apprenais avec joie que j’allais enfin avoir une excuse pour parler d’un groupe sur lequel j’avais trippé en 2020 : Brunnemer sortait un second album. J’étais comblé. Vous l’aurez compris, voici une présentation du groupe Brunnemer, de sa leader et fondatrice ainsi que de leurs deux albums pas piqués des vers.

Brunnemer, c’est un sextuor à l’intersection du jazz, du funk, du soul, du rock et j’en passe. Un mélange difficile à décrire, mais sans l’ombre d’un doute excellent ! A-t-on vraiment besoin de mettre une étiquette de style ?

C’est Sarah Michel-Brunnemer à la tête qui lance ce projet pendant un retour aux études en musique en assumant enfin le désir de faire de la musique sa vie. Elle commence en duo avec son guitariste à faire des petits concerts un peu partout et plus elle écrit et partage sa musique, plus le groupe grandit, jusqu’à se composition actuelle. Entourée d’excellents musiciens, elle met l’accent sur le travail de groupe.

« […] avec les nouveaux contacts que je me suis fait à l’école, là j’ai une équipe de rêve avec du monde qui font des bacs et des maîtrises en musique à l’université. Tsé du monde de calibre vraiment élevé ! »

Sarah Michel Brunnemer

Ce superbe potluck nous est donc proposé pour la première fois dans l’album Jazz is the new triste en mai 2020, en début de pandémie. Se plonger pour la première fois dans le son de Brunnemer, c’est découvrir un environnement que j’ose qualifier de rare.  Plus accessible pour les non-initiés, qu’un album de jazz contemporain, mais tellement complet et complexe, les répétitions d’écoutes et d’analyses nous font découvrir des détails rythmiques et des progressions musicales qui ajoutent au travail recherché qu’est ce premier album.

C’est avec encore plus d’audace et de styles différents que le groupe sort *PAON​*​HYÈNE* le 24 septembre 2021. Une nouvelle fois, c’est un tour de force. Un album perfectionniste tout en étant encore plus éclectique que le premier, c’est une nouvelle fois les rythmes changeants et les incroyables riffs de basse qui nous entraîne qu’on le veuille ou non dans leur funk dansant. Leur travail est tout simplement riche et authentique, ce qu’on retrouve aussi en concert.

Le  groupe lançait enfin ses deux albums à Montréal le 29 septembre 2021 au Quai des brumes et j’ai eu la chance d’y assister. En spectacle, Sarah et son groupe ne déçoivent pas, je dirais même qu’iels excèdent les attentes de beaucoup. Dans nos écouteurs, on aime, on danse, on groove avec la musique, mais devant le groupe accompli, on la vit avec eux. Le groupe a tout l’air d’une belle bande de joyeux lurons à se tortiller aux rythmes déchaînés tous en chœur. Tout le monde participe activement à la musique et transmet cette même énergie au public. Sarah est aussi magistrale à voir; c’est un véritable monument sur scène. Elle gesticule entièrement sa musique par tous les moyens qu’elle possède ce qui la rend plus dansante encore. Ses mouvements explosifs et surprenants viennent s’allier à un regard public intense et soutenu lorsqu’elle déclame ses paroles. En tant que leader, Sarah donne une grande place au groupe durant les pièces dans lesquelles s’enchaînent les solos de guitares, de clavier, de saxophones et de flûte. C’est ce magnifique alliage particulièrement bien équilibré qui fait de Brunnemer en live un groupe à voir!

Une vraie fête d’un bout à l’autre, Brunnemer mérite entièrement les éloges que je lui fais et si ça ne vous a pas convaincu, restez alerte pour leurs prochaines représentations et allez écouter toute leur discographie. Le groupe est présent sur Instagram et Facebook.

Vous êtes musiciens, vous cherchez de la visibilité, que vous alliez au Cégep du Vieux Montréal ou non, contactez-moi et je me ferai un plaisir d’écouter votre travail.

« La parfaite victime » : un électrochoc

Meggie Cloutier-Hamel & Olivier Demers

Résultat d’un travail de plus de trois ans, réalisé par les journalistes Monic Néron et Émilie Perreault, le documentaire La parfaite victime raconte le parcours de victimes d’agressions sexuelles dans le système judiciaire québécois dans la foulée du mouvement #MoiAussi, des affaires Rozon et Salvail et des dénonciations sur les réseaux sociaux. À ce propos, pourquoi des victimes se tournent vers les réseaux sociaux et non vers notre système de justice? C’est une des questions auxquelles les deux journalistes ont voulu répondre à travers ce documentaire.

Une bombe médiatique

Le 19 octobre 2017, Néron, Perreault de même qu’Améli Pineda, dévoilent ensemble les témoignages d’une dizaine de femmes affirmant avoir été victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles de la part de Gilbert Rozon, fondateur du Groupe Juste pour rire, groupe organisateur du festival d’humour du même nom. À ce moment-là, Monic Néron est chroniqueuse aux affaires judiciaires et Émilie Perreault, chroniqueuse culturelle, toutes deux au 98,5 FM. À l’époque, elles œuvraient avec Paul Arcand dans Puisqu’il faut se lever, l’émission matinale la plus écoutée dans le marché de la grande région montréalaise. Améli Pineda est, quant à elle, journaliste au Devoir. Pour leur reportage choc, les trois journalistes remportent en 2018, le prix Judith-Jasmin dans la catégorie Enquête. Néron et Perreault ont également eu une mention d’honneur lors de la remise du prix Michener de journalisme.

C’est cette enquête qui a donné envie aux deux réalisatrices de produire un documentaire à propos du parcours que doivent entreprendre les victimes pour obtenir justice dans le système actuel. La parfaite victime fait lumière sur des aspects méconnus notamment le déroulement des contre-interrogatoires, le doute raisonnable ou bien du facteur neurobiologique, un grand oublié des procédures judiciaires.

« On sait plus comment ça fonctionne faire un vaccin qu’un système judiciaire »

Denise Robert, productrice de « La parfaite victime »

Témoignages

Lors de la production de ce documentaire de 89 minutes, les réalisatrices ont reçu de nombreux témoignages. Quatre histoires de présumées victimes* nous permettent de plonger dans le système judiciaire du Québec. De nombreux spécialistes (avocat.e.s, juristes, ex-juges, criminalistes, procureur.e.s, psychiatres, etc.) apportent également leur expertise et donnent leur opinion sur des différentes situations, ce qui permet d’éclairer le processus complexe menant au tribunal.

Faire bouger les choses

En entrevue, la productrice du documentaire, Denise Robert, fait part de son amour pour ce genre du septième art : « Ce que j’adore dans les documentaires, ce sont des sujets qui poussent à changer les choses, qui poussent notre société à avoir un vrai débat de société. Tous les documentaires que j’ai faits étaient [sur] ces sujets-là. » En effet, elle a produit les films de l’animateur Paul Arcand, comme Les voleurs d’enfance (2005), Québec sur ordonnance (2007) et Dérapages (2012), des œuvres chocs, mais nécessaires au changement. Elle s’attend à ce que La parfaite victime ait un impact semblable à ses productions précédentes. De plus, ayant reçu de nombreux témoignages de présumées victimes provenant de la communauté étudiante, Monic Néron mentionne que « c’est un fléau » ce qui se passe dans les cégeps et universités. Elle a affirmé, durant la conférence de presse suivant le premier visionnement, que la jeune génération est « celle qui a cette capacité, justement, de s’indigner et de faire changer les choses. » Émilie Perreault souligne pour sa part que même si cette génération est d’autant plus présente sur les réseaux sociaux « il n’y a rien comme se plonger complètement dans cette expérience-là [être au cinéma]. » Elle se dit optimiste : « J’ai l’impression qu’ils vont se déplacer, on l’a vu avec La déesse des mouches à feu, il y a beaucoup de jeunes qui sont allés au cinéma. » Le film était attendu par le milieu judiciaire (celui-ci a par ailleurs réagi au film) et les trois femmes espèrent que le film aidera à faire bouger les choses.

Un duo complémentaire

Provenant de mondes journalistiques différents, les deux femmes forment un duo qui se complète. En entrevue, Perreault souligne que leurs points de vue provenant de milieux variés aident à clarifier les propos pour le public. Elle mentionne qu’elle était là pour représenter le public, car sa collègue, Monic Néron, provenant du milieu judiciaire utilisait parfois des termes que peu pouvaient comprendre. Elle servait donc de vulgarisatrice. Ayant étudié à l’INIS (l’Institut national de l’image et du son), Émilie Perreault a également apporté ses connaissances sur le documentaire. C’est d’ailleurs elle qui a approché sa collègue et amie pour faire ce projet qu’est le film.

Notre avis

C’est un documentaire qui est à voir, assurément. Nous sommes sortis de la salle à la fin du visionnement de presse en se disant : « Cela va avoir un impact. C’est certain. » Nous n’étions pas boulversés, mais on parie que le film aura sûrement un effet d’électrochoc. Pendant 1h30, les intervenant.e.s défilent, les témoignages aussi. Pendant tout ce temps, on ne s’ennuie pas. Chaque passage du documentaire a sa pertinence. Lors de certains, nous sommes en colère intérieurement, on doit vous l’avouer, surtout lorsques les présumées victimes témoignent des évènements traumatisants qu’elles ont vécus et du long processus judiciaire qu’elles doivent subir. On en apprend notamment sur les contre-interrogatoires et les tactiques des criminalistes, des stratégies qui prônent la justice, mais qui, dans un tel contexte, semblent elles-mêmes bien loin d’être justes.

Nous savons qu’il y a une multitude de films à votre disposition, mais comme nous a dit Émilie Perreault en entrevue : « Si tu n’es jamais allé voir un film documentaire : pourquoi tu n’essayerais pas ? » Oui, pourquoi ?

« La parfaite victime », au cinéma partout à travers le Québec.
Note : 4 sur 5

*NDLR : L’agresseur d’une victime a toutefois été reconnu coupable

Coupez ! – Des étudiants derrière la caméra

Le vendredi 28 mai 2021 avait lieu la soirée de projection Coupez ! en l’honneur des étudiant.e.s du Cégep du Vieux Montréal en Arts, lettres et communication — Option Médias. On assistait notamment à la présentation de leur travail final : un court métrage de fiction. C’est avec un grand plaisir que j’ai eu la chance d’y participer.

C’est à 19h que j’ouvre mon ordinateur portable, que j’appuie sur le lien Zoom et que je me retrouve dans la salle de conférence de la soirée en compagnie d’une soixantaine d’individus. Parmi le public, on retrouve la vaste majorité des étudiants.e.s. On ressent immédiatement leur excitation de nous présenter leur film.

La soirée débute par une animation divertissante produite par des étudiantes du même programme. Les 12 courts métrages nous sont présentés l’un à la suite de l’autre en un peu plus de 60 minutes. Je n’exagère pas en affimant que ce fut un réel plaisir. Une quantité phénoménale de talent et de passion était déversée sur mon écran. Des films tous autant originaux les uns que les autres y ont été présentés où on retrouve une qualité cinématographique impressionnante, surtout à la suite d’une production réalisée dans un milieu pandémique.

Pour couronner le tout, la remise des prix.

Tout d’abord, la mention spéciale :  

Chapitre 3, réalisé par Adèle Saulnier, Éléonore Turcotte, Mia Ratel, Tristan Silva et Frédéric Carrier, d’après un scénario de Meagan Babin-Alexandre.

Puis, les gagnants ex aequo, qui représenteront le CVM au festival intercollégial de cinéma étudiant, du 2 au 4 juin prochain :  

Dernière minute, réalisé par Marlène Gaudreau, Justine Grivegnée Bariber, Félix Legault-Dignard, Hermine Revel et Ève Myette, d’après un scénario de Hermine Revel. 

J’suis pas ma mère, réalisé par Sara Lefort-Dupras, Béatrice Poirier-Pouliot, Odile Chevrier et Samara Carbajal Branez, d’après un scénario de Rosemarie Raymond-Duhamel.

Les films seront disponibles sur la chaîne Vimeo du programme Arts, lettres et communication — Option Médias du CVM l’an prochain, une fois que sera terminée leur période d’éligibilité dans différents festivals professionnels.

Cannes : Un festival mythique

Depuis l’an 2000, Marc Cassivi et Marc-André Lussier couvrent tous les deux le festival de Cannes. Pendant douze jours à chaque année, ils visionnent plusieurs films qui vont sortir en salle quelques mois plus tard et regardent une compétition qui, à la fin, va attribuer une récompense convoitée : la Palme d’or. Les deux journalistes publient un livre pour raconter leur festival, pour raconter « Cannes au XXIe ».

Dans ce livre dont le nom est doré s’inscrit sur la page couverture (un bel objet), les deux journalistes se remémorent les éditions des vingt dernières années. Ils n’ont sauté que celles de 2003 et 2020 (la COVID-19 a eu raison de cette dernière). Une sélection officielle a tout de même été faite. Ils ont couvert ensemble pendant plusieurs années, mais dorénavant, le festival est couvert en alternance. Cassivi une année, Lussier l’année d’après et ainsi de suite.  Cette année, cela sera au tour de ce dernier d’effectuer le voyage, dans un contexte (pour le moins) différent et incertain. Pourquoi Cannes en particulier ? Parce qu’une sélection à Cannes est beaucoup plus prestigieuse comparativement à celles des autres événements du même type comme à Venise ou Toronto.

En entrevue avec L’Exilé, les deux journalistes expliquent que l’idée derrière ce livre est de souligner le fait que depuis 20 ans, ils couvrent tous les deux le festival. Cela fait partie d’une « obsession des chiffres ronds », explique Marc Cassivi qui ajoute que c’est une « boucle intéressante à boucler ».
L’idée de raconter ce qu’ils ont vu depuis leurs débuts là-bas. Comme le décrit Marc-André Lussier, « bien des choses ont changé en vingt ans ». 

Vingt ans, c’est l’occasion de faire une rétrospection et de se demander ce qui a changé depuis deux décennies. Lussier affirme sans hésitation que les réseaux sociaux ont eu un effet déterminant sur la critique. Côté cinéma, l’arrivée de plateformes comme Netflix a fait changer les choses dans le milieu du cinéma. Un débat a par ailleurs déjà eu lieu il y a quelques temps à Cannes. Selon les règles de l’événement, un film faisant partie de la fameuse sélection officielle doit être obligatoirement être présenté en salle. Voir un film sur un grand écran, est une expérience qui est fortement différente comparativement au visionnement d’un film sur un ordinateur ou un écran de télévision. Rédigé par Marc Cassivi, le chapitre intitulé « La polémique Netflix », qui aborde l’édition de 2017, résume très bien toute l’histoire entourant ladite plateforme — histoire qui n’est pas encore terminée d’ailleurs. Cassivi croit que la pandémie marquera le milieu cinématographique, tant du côté du festival que dans l’industrie au sens large. Une question se pose même aujourd’hui : « Qu’est-ce qu’un film de cinéma maintenant? » 
Lussier cite, à titre d’exemple, Roma d’Alfonso Cuarón (2018) : « Cela a beau avoir été produit par Netflix, ça reste un grand film de cinéma même si la plupart des personnes l’ont vu sur la plateforme que sur grand écran. »

 « Il y a eu des années moins inspirantes que d’autres » affirme M. Cassivi. Les années où des films québécois — notamment ceux de Xavier Dolan — ont été sélectionnés l’ont beaucoup marqué. 2014, année où le film Mommy était présenté, s’est annoncé particulière : « Cela a été un film coup de cœur, c’est là qu’il s’est fait remarquer selon moi ». Présent lors de la projection, le journaliste a chronométré 12 minutes d’ovation. Il ajoute que la meilleure programmation qu’il a vue est celle de 2019, l’année du film Parasite de Bong Joon-ho notamment.  Marc-André Lussier souligne que Dolan, encore jeune et peu connu de la scène internationale à l’époque, a fait fureur dès 2009.  « Xavier sortait de nulle part et là il arrive avec son film. Il devient la coqueluche du festival ! C’est vraiment incroyable ! »

Une ambiance

Le livre permet également d’en savoir un peu plus sur ce festival prestigieux et sur l’ambiance qui y règne. « À Cannes, c’est particulier ! ». Côté journalistique, c’est un festival où « des journalistes peuvent donner leur avis vocalement ». Cela peut être un énorme silence à la fin d’une projection comme cela peut être une énorme ovation. Les deux journalistes ont un accès aux projections de presse et également aux projections officielles. Ils fréquentent principalement celles réservées à la presse, mais ils assistent également aux projections officielles dans des cas précis. Lorsque c’est un film québécois par exemple. Leur accréditation les aide beaucoup à accéder à ces dernières. Un passage du livre est consacré à la hiérarchie des « badges » qui existe au festival. Pour La Presse, le plus haut niveau de badge qui existe (le blanc) a été accordé à ses journalistes il y a quelques années maintenant puisque le média fréquente le festival depuis de nombreuses années. Bien avant le début des années 2000.

Il y a également les soirées auxquelles Marc Cassivi a surtout assisté. Ces soirées sont plus sélectes et le badge n’est pas du tout utile puisqu’une invitation y est obligatoire. Pour y assister, il faut développer des contacts. M. Cassivi dit qu’il ne s’est pas trop censuré dans le récit de ses soirées, certaines choses s’étant produites dans quelques de celles-ci ne se racontent pas trop dans un livre.

La population de Cannes est composée précisément de 73 965 personnes d’après les derniers chiffres sortis en 2018. C’est une petite ville tranquille au bord de l’eau et tout d’un coup, les limousines arrivent, les journalistes également. Selon les organisateurs du festival, ce sont plus de 4000 journalistes et de nombreux professionnels du cinéma qui sont présents à l’événement chaque année.  Lorsque toutes ces personnes arrivent, c’est signe que le festival de Cannes est commencé. Dans le cas des deux journalistes qui nous intéressent, ils arrivent 48 heures à l’avance. Pourquoi ? En 2006, Marc-André Lussier est arrivé le jour même de l’ouverture et une annonce de dernière minute est arrivée : un visionnement de presse du très attendu film Da Vinci code est organisé. À la dernière minute. Depuis, les deux Marc arrivent à l’avance pour éviter ces mauvaises surprises. À leur arrivée, ils voient une ville tranquille. Ils ont déjà vu l’installation du fameux tapis rouge. Le jour du palmarès, il y a beaucoup moins de monde. Après le palmarès, c’est le calme après la tempête : le tapis rouge se fait retirer, des personnes partent et Cannes retrouve son statut de ville tranquille… Pour 365 jours.

Un festival prestigieux

Créé en 1946, Cannes est aujourd’hui l’un des festivals de films les plus prestigieux au monde voire le plus prestigieux. « Je pense que ce qui fait sa particularité, c’est son caractère exclusif. Il y a à peine une cinquantaine de longs-métrages qui sont sélectionnés contrairement à Berlin ou à Toronto qui en sélectionnent 350. À Cannes, une sélection c’est très prestigieux par rapport aux autres festivals. Et ça l’est encore. » affirme Marc-André Lussier. Marc Cassivi, quant à lui, se questionne sur l’effet qu’aura la pandémie sur le circuit des festivals: « Je me demande dans quelle mesure les habitudes des gens auront changé. On a vu aux États-Unis cette semaine que le box-office va mieux. Dans quelle mesure, les plateformes auront pris encore plus de place et est-ce que Cannes va s’adapter ou est-ce que Cannes va continuer à être le dernier bastillon qui résiste à l’envahisseur des plateformes ? Cela risque d’avoir un impact sur son avenir. »

Notre avis

Cannes au XXIe est un livre très intéressant, enrichi par le regard de deux journalistes d’expérience œuvrant dans la section culturelle de La Presse. Si vous êtes cinéphile, ce livre est assurément pour vous. Le livre énumère leur regard de vingt éditions. Comme écrit plus haut, en vingt ans, les temps ont énormément changé. La passion des auteurs — l’un d’entre eux utilise même le thème officiel du festival comme sonnerie de téléphone — transparaît dans chaque chapitre, à la fin desquels on retrouve d’ailleurs le palmarès des films de l’édition. Bref, il s’agit d’une excellente occasion d’en savoir un peu plus sur ce mythique événement.

Cannes au XXIe 
Marc Cassivi et Marc-André Lussier 

Publié aux éditions Somme toute 
Disponible en librairie 

Stacey Ryan : La reine du jazz sur TikTok

Avec la virtualisation des services depuis le début de la pandémie, nous avons observé des entreprises comme Amazon, Uber et les services de streaming prendre de l’ampleur et devenir, dans certains cas, des incontournables du confinement, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Si un réseau a réussi à se développer de façon similaire, c’est TikTok; l’application de création et de partage de vidéos. Ce phénomène international offrant un nouveau médium pour plusieurs disciplines, je désire bien évidemment mettre l’accent sur son impact dans le milieu de la musique émergente. Quoi de mieux pour ce faire que de présenter une musicienne montréalaise méconnue sur la scène locale, mais qui a su utiliser à bon escient la plateforme et se créer une véritable réputation surtout aux États-Unis : Stacey Ryan. Avec l’été qui approche, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec elle pour vous la présenter et ainsi vous permettre de tomber sur ses petites perles par un matin ensoleillé ou pendant une soirée au parc.

Stacey Ryan est une chanteuse multi-instrumentiste montréalaise qui commence la musique très jeune au piano et au chant. Elle poursuit au secondaire dans le programme de musique de l’école Cité-des-Jeunes et fait sa technique au Cégep de Saint-Laurent. Elle est actuellement à l’Université de Montréal en baccalauréat d’interprétation à la faculté de musique et produit de manière régulière des reprises et des créations originales sur Instagram, YouTube et TikTok. Autodidacte à la guitare et nouvellement à la basse, elle mélange les instruments à son piano et sa voix, variant les plaisirs auditifs.

Au début de l’été 2020, alors que les autorités confirment l’étrangeté de la saison dans laquelle nous nous engageons, Stacey décide d’accorder plus de temps à son compte TikTok et commence à publier plus régulièrement. L’ajout d’une nouvelle carte de son à son arsenal la pousse à découvrir ces nouvelles possibilités d’enregistrement, sans aucune attente. Une première vidéo prend de l’ampleur en juillet 2020, ironiquement alors qu’elle est réalisée un peu sur un coup de tête.

Stacey Ryan (S.R.) : « Il était trois heures du matin, j’étais dans ma garde-robe pis je chantais une toune sur du karaoké. Voir que toutes les autres vidéos que j’ai faites avec ma guitare, mon micro pis qui sonnent bien aient moins pogné. » 

En effet, c’est un sujet important à aborder : TikTok, oui, mais quel rôle détient l’algorithme? Quoi en penser ? Stacey est partagée. D’une part, c’est une façon simple et accessible de se faire connaître, mais d’autre part, le travail effectué n’est pas mis en valeur ni même tout le temps considéré par l’application. Tout est principalement défini par les modes, souvent appelées trends.

S.R. : « C’est eux qui choisissent s’ils montrent ta vidéo ou pas. Tu peux travailler super fort pis ça pogne : tu as plein de vues, tu gagnes plein de followers. Mais des fois tu fais la même chose pis là : rien. » 

C’est un succès qu’on peut qualifier d’aléatoire, mais la chanteuse tient quand même à préciser que plusieurs avenues se sont ouvertes à elle lorsque la popularité l’a touchée. Sur sa page Instagram et sa chaîne YouTube, entre autres, elle a pu se permettre de produire des vidéos plus longues de pièces complètes et surtout de pièces originales. Percer sur les deux plateformes précédemment nommées étant plus difficile, la notoriété de sa page TikTok, qui s’élève à plus de 400 000 abonnés en juin 2021, lui a permis de subsister sur ces plateformes et même de financer un peu la production grâce à YouTube.

Cependant, par-dessus tout, la musicienne parle avec vigueur des connaissances qu’elle a faites sur TikTok. C’est l’élément le plus important dont elle a bénéficié.

S.R. : « Au début, rencontrer du monde par Internet, je trouvais ça weird parce que je n’avais jamais fait ça, mais là sur TikTok, j’ai rencontré plein de bons amis », dit-elle en mettant l’accent sur le « bons ».

En musique, Stacey a tout pour plaire. Que ce soit au piano ou à la guitare, sa compréhension des pièces qu’elle interprète et son aisance dans les progressions harmoniques lui permettent de s’accompagner brillamment. Il faut savoir qu’elle nage dans le soul, le R&B, le jazz, le funk, le folk et j’en passe. Tous ces styles sont maîtrisés avec brio et son jeu instrumental s’agente toujours avec eux, mais surtout avec sa voix. Incroyable chanteuse, c’est ce qui m’abasourdi de la savoir si peu connue localement. C’est une musicienne de grand talent qui réussit à faire des prestations impressionnantes avec sa voix flottante, presque modelable au gré des pièces, et très versatile. Avec sa voix claire et précise au registre considérable, elle nous offre même des solos improvisés tout aussi intéressants et riches. Signez-là, quelqu’un ! 

Pour la suite, rien ne presse. Elle a plusieurs pièces originales d’écrites et aimerait certainement les enregistrer. Seulement, ça prend de l’équipement, du temps, de l’argent et la possibilité de pratiquer en groupe, ce que la pandémie rend difficile. Néanmoins, elle réfléchit à sortir un projet de reprises folk en lien avec une série de vidéos sur lesquelles elle travaille depuis quelque temps. 

S.R. : « Je me suis dit : Pourquoi ne pas prendre les audios de mes vidéos folks, les mettre dans un EP pis les rendre accessibles en streaming? Here you go! On ne gagne rien à mettre notre musique sur Spotify, mais tout le monde me le demande. Tu les voulais? There it is. »

À suivre…

Est-ce qu’on aura répondu à tous les questionnements par rapport à TikTok ? Malheureusement, non. Est-ce qu’on peut considérer la plateforme comme une nouvelle façon légitime et notable pour faire valoir la musique émergente ? Je pense bien que oui. Les temps sont toujours durs pour les artistes, encore plus depuis un an, ne snobons donc pas une plateforme qui en regorge, tout en n’oubliant pas, malgré tout, ses limites. Je vous encourage donc vivement à suivre Stacey Ryan, ne serait-ce que pour vous réveiller et tomber sur une de ses rayonnantes vidéos qui annoncent une bonne journée. En espérant pouvoir apprécier bientôt son travail en personne dans un club de jazz à Montréal ou ailleurs, sait-on jamais.

Pour suivre Stacey Ryan : https://linktr.ee/staceyryanmusic

Vous êtes musicien.nes, vous cherchez de la visibilité, que vous alliez au Cégep du Vieux Montréal ou non, contactez-moi et je me ferai un plaisir d’écouter votre travail. 

Soigner la technologie? : Le nouveau cahier d’enquêtes du collectif Stasis

Collaboration écrite avec Marianne Dépelteau

Stasis est un groupe d’enquête qui approche des phénomènes et des acteurs sociaux pour faire une mise en commun de la pensée. Des militants.e.s, des universitaires et d’autres citoyen.ne.s actifs.ves se sont rencontré.e.s lors de luttes politiques et aujourd’hui, le réseau s’étend à l’international. Le mélange de la réflexion et de l’imaginaire est à la base d’organisation d’évènements, de séminaires et de publications annuelles comme le cahier d’enquête Soigner la technologie? publié en 2021 par ce même collectif et du GRIP-UQÀM.

Le collectif Stasis est un groupe qui enquête sur des enjeux sociaux politiques en faisant appel à la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Les membres se sont rencontré.e.s lors de luttes politiques, comme celle de la grève étudiante de 2012. Époque où les questions sociales demandaient plus de réponses, ils ont voulu démystifier d’importants enjeux de la société afin d’éclairer la prise de position que la population doit faire. C’est d’ailleurs de là d’où vient le nom de « stasis », qui évoque la guerre civile dans la Grèce antique, soit le conflit qui vient fragmenter la Cité selon les travaux de Nicole Loraux et Giorgio Agamben. « La continuation de l’état présent des choses, même s’il est dans une apparence de paix et de stabilité, c’est déjà la destruction de plusieurs mondesm, particulièrement au vu des ravages écologiques », mentionne Annabelle Rivard Patoine, membre du collectif. Stasis est la pour « fragmenter le voile unitaire sur ce qui se passe à l’échelle mondiale », dit son collègue, Nicolas Gauthier. L’État étant divisé, la population doit prendre parti pour avancer.

Par le biais d’évènements, de séminaires et de publications annuelles comme Soigner la technologie?, le collectif cherche à informer ses auditeurs.trices et ses lecteurs.trices sur les différentes luttes qui se font entendre et ce qu’iels devraient savoir à propos d’elles. D’ailleurs, dans son premier cahier, Stasis enquêtait sur le rapport au territoire et à la question identitaire, comme le fait de se questionner sur le territoire du Québec, alors qu’il appartient de droit aux Premières Nations.

Résumé des textes

La nouvelle d’Ève C., Anoptikon, lance le bal en plongeant le lecteur dans l’univers technologique montréalais et expose nos connexions aux rouages de capitalisme technophile. Olivier Lanctôt, deuxième auteur de ce cahier, tente de dévoiler les « techniciens de l’ombre » qui manipulent un texte caché, aspect du code informatique. C’est ici que sont présentés les daemons, invisibles et temporels, qui traînent notre vie technologique au travers de laquelle ils nous observent. Dans une même ligne d’idées, Samuele Collu et Jean-Philippe Bombay défendent la thèse selon laquelle certaines technologies servent comme arme au capitalisme pour modeler nos psychés et nous rendre dépendant.e.s. Une autre question posée par ces auteurs; « lui a-t-on déjà dit oui avant de pouvoir lui dire non? » Lena Dormeau et Coline Fournot tentent déjà d’y répondre en prenant comme piste de réflexion le consentement et son ambiguïté. Un retour aux daemons se fait en éclairant la violation du consentement par eux et par les appareils répressifs et/ou addictifs.

Stasis présente aussi une enquête sur les matières plastiques jetées dans l’océan et sur le ressenti humain face à cette situation avec l’article « (Re)médiations sepctrales : enquête holographique sur fonds diffus de matière plastique » par Marie Lecuyer. On retrouve aussi une entrevue en anglais avec Sabu Kohso qui parle du désastre nucléaire de Fukushima au Japon et l’article « L’existence capsulaire » de Ségolène Guinard parlant de l’utopie provenant des années 60 d’habiter à l’extérieur de la Terre et où les termes cosmopolitique et cosmicologie prennent leur sens. Enfin le carnet se termine avec un texte de Nicolas Gauthier et Annabelle Rivard Patoine, « Technique et histoire : au coeur de l’écoumène » qui « tentent de dévisager avec lucidité et effroi l’emprise des technologies sur le temps et l’espace », comme le mentionne l’éditorial de l’ouvrage, et qui reprend le titre d’un séminaire mené par le collectif.

Choix littéraires

Dans le cahier, les auteurs.trices se sont permis d’exploiter quelques formes de textes, comme le récit et l’entrevue, mais la plupart restent basé.e.s sur des références académiques et se rapprochent du niveau d’articles universitaires. À dire vrai, plusieurs auteurs.trices sont retourné.e.s aux études, ce qui a teinté leur écriture. En effet, on remarque que certains textes sont écrits en anglais et que les citations en anglais dans les textes en français ne sont pas traduites. Sans oublier qu’un vocabulaire inclusif avec des termes comme « iels » et « celleux » sont présents dans l’ouvrage. Des prinicpes qu’on utilise beaucoup plus dans les pratiques du milieu féministe. Cependant, voulant s’éloigner des codes littéraires et scientifiques universitaires, le collectif a misé sur « un ton plus éditorial et créatif », souligne Mme Rivard-Patoine.

Liens avec la science

En vue d’obtenir un plan plus large et dans la volonté d’éviter les limites de la méthodologie scientifique, le collectif tente de faire le pont entre le monde académique et celui du militantisme. L’interdisciplinalité est aussi transparente dans les textes, qui se basent tamtôt sur la sociologie, tantôt sur la philosophie politique, le tout appuyé sur une littérature plus militante et profane que scientifique. Quelques publications universitaires ont servi à nourrir la pensée des auteurs.trices, mais le vrai chef du processus créatif est l’imagination.

Le cahier d’enquête Soigner la technologie? est disponible en version papier dans certaines librairies montréalaises, dont Zone Libre, Le Port de tête, La Bouquinerie du Plateau et L’Euguélionne, librairie féministe. Un format numérique est également accessible sur le site Le Pressier. Un troisième cahier est à prévoir, mais le collectif ne s’est pas prononcé davantage.

Découvertes musicales du mois d’avril 2021

La fin de session approche (peut-être êtes-vous déjà dedans). Dans tous les cas, j’écris encore sur de la nouvelle musique pour relaxer entre deux examens ou pour une session d’étude intensive. Tous deux sortis en mars 2021, les projets que je vous propose ont en commun le renouveau d’une identité artistique. J’ai donc eu l’opportunité de m’entretenir avec les principaux intéressés pour vous présenter Le grand héron d’Alexandre Duguay et Printemps de Filpo.

Le grand héron – Alexandre Duguay

Né dans une famille de musiciens, Alexandre Duguay commence son parcours musical en piano et en chant classique, puis touche au jazz au secondaire et poursuit son exploration en s’inspirant de plusieurs genres, allant même plus récemment jusqu’au rap et au beatmaking. C’est en cherchant une nouvelle façon de présenter ses projets qu’il décide d’effectuer un travail complètement solo. Avec l’apprentissage autodidacte de la guitare et une période de nouvelles découvertes musicales plus proches du folk, c’est en partie pour se mettre au défi et découvrir tout ce dont il est capable qu’il se lance dans la création de Le grand héron.

Alexandre Duguay (A.D.) : « Ce projet-là, je l’ai enregistré moi-même dans mon salon, j’ai fait la guitare, le piano, la bass… tout ce qu’on entend! J’ai même fait le mix! »

Le grand héron, c’est un EP touchant. Je dis touchant, car c’est le premier effet que j’ai ressenti après l’écoute. Avec ses airs doux à la voix et ses harmonies recherchées, tantôt rafraichissantes, tantôt conflictuelles, il émane de chaque pièce une énergie qui crie l’émotion. Le mélange d’instruments qu’on entend à un moment ou un autre dans le EP crée chaque fois un nouveau son, une nouvelle couleur musicale et ça rend le tout encore plus agréable. C’est envouté par la guitare sèche caractéristique de tous ses morceaux qu’Alexandre Duguay nous fait traverser des textes empreints de poésie.

A.D. : « C’est un désir de créer pis de le faire entièrement en français avec un langage plus poétique, un peu vaporeux, rêveur. J’aime que les textes donnent l’espace à l’interprétation. »

La suite pour Alexandre : il n’y a rien de coulé dans le béton. Cette nouvelle identité musicale lui plait et il dit souhaiter conserver une certaine uniformité stylistique, mais le désir de recherche de nouveaux sons demeure toujours en lui. On peut peut-être s’attendre à des collaborations ou à encore plus d’instruments joués par une seule et même personne! Dans tous les cas, comme Alexandre le dit si adroitement, c’est un projet qui porte bien son nom, « à l’image du grand héron : patient, solitaire », mais j’ajouterais : « et majestueux ».

Printemps – Filpo

Créé un peu avant la pandémie, Filpo est le nouveau groupe du guitariste, chanteur et auteur-compositeur Paolo Philpot, anciennement à la tête de Cherry Chérie. Avec Gabriel L’Heureux à la basse, Gabriel Lapointe à la batterie et Paul Aubry aux claviers, le quatuor se lance dans le rock indie le plus total avec l’album Printemps. Le groupe, alors sans nom, entre en studio au début de l’année 2020 pour enregistrer certaines pièces et se construire une nouvelle identité sonore, mais l’arrivée de la Covid-19 vient changer la donne. Les concerts étant en temps normal leur principale source de revenu en tant que musiciens indépendants, Paolo et ses camarades doivent tout d’un coup retrouver une certaine stabilité autrement. Malgré tout, pour le projet Filpo, la pandémie aura mis en marche certaines choses.

Paolo Philpot (P.P.) : « La pandémie nous a permis de réfléchir à comment on allait présenter ça au public pis de prendre la décision de lancer un nouveau projet. »

En mars 2021, le groupe nous offre donc un album de 10 plages traversant un vaste tableau de couleurs et d’environnements. C’est ce qui fait tout le plaisir lors de l’écoute : l’évolution, le changement. En plus de caractériser l’album pour ses créateurs, ces thèmes s’entendent dans sa construction et dans la musique même. Chaque pièce suit son propre chemin, assurant ainsi une constante nouveauté durant la découverte de l’album.

P.P. : « Les thématiques de l’album, c’est beaucoup le renouveau, le changement. Ça parle d’amour : de là le titre Printemps. »

À travers les solos de Paul Aubry et les riffs de Gabriel L’Heureux, les textes de Paolo, agrémentés par le jeu puissant de Gabriel Lapointe, passent comme une flèche et nous font vivre ou revivre ses désirs d’émancipation, de revendication et de recherche de soi dans lesquels on se retrouve tous. Un rock aux synthétiseurs très 1970 à l’inspiration punk et à forte tendance 1990 : la recette du bonheur.

P.P. : « Les textes et leur écriture sont très importants pour moi. Je m’inspire beaucoup de jeunes poètes québécois, de la littérature. Je voulais vraiment inscrire le projet dans la tradition québécoise de la chanson. C’est un peu le pont entre le côté anglo-saxon du rock et les textes plus québécois, avec une dimension collective et sociale. »

Avec l’été qui vient, difficile de dire ce qui sera possible côté concerts, mais l’idéal pour Filpo serait d’avoir l’occasion de performer en spectacle avec son nouvel album et le présenter au public en direct. Sinon, ce sera du nouveau travail de studio. « Difficile de relancer la création quand on n’a pas eu la chance de jouer notre musique », explique l’auteur-compositeur. Pour l’instant, je ne peux que vous recommander d’aller écouter Printemps en masse et d’encourager ces excellents musiciens, en attendant de pouvoir apprécier le tout en personne.

Retrouvez Filpo sur Instagram et Facebook.

Vous êtes musiciens, vous cherchez de la visibilité, que vous alliez au Cégep du Vieux Montréal ou non, contactez-moi et je me ferai un plaisir d’écouter votre travail.

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