La poudrière bosniaque

Le 6 avril 1992, la Bosnie-Herzégovine déclare son indépendance de la Yougoslavie communiste. De violents affrontements communautaires ravagent le pays. Les Serbes veulent rejoindre la Yougoslavie; les Croates désirent s’unir à la Croatie et les Musulmans souhaitent fonder leur État. Massacres, déplacements de populations et nettoyages ethniques marqueront ce conflit jusqu’à sa fin ,en 1995, avec la signature des accords de Dayton. La poussière retombe, on enterre les morts, on serre la main du voisin. Le pays sera une fédération de deux entités, l’une serbe et l’autre croato-musulmane, chacune disposant de beaucoup d’autonomie dans de nombreux domaines, mais contraintes à partager certaines compétences gouvernementales, comme l’armée, la monnaie et la justice.

Plus récemment, en décembre 2021, le leader des nationalistes de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, annonce que l’entité serbe se retire des compétences communes, se préparant donc à former une armée, à frapper une nouvelle monnaie et à rédiger de nouvelles lois au service des Serbes de Bosnie. En Europe, on craint le regain de tensions, les affrontements ethniques —voire pire— la guerre civile. Pour mieux comprendre le dossier, L’Exilé a fait appel à l’expertise d’Alexis Troude, spécialiste des Balkans enseignant l’histoire de la région et la géopolitique européenne à l’université de Melun Val de Seine et à qui les nombreux voyages en Bosnie ont donné accès à une perspective plus locale du conflit.

M. Troude commence par mentionner que le territoire serbe de Bosnie (et aussi de Croatie) est parsemé d’églises orthodoxes, puisque les Serbes y ont été invités par différents empires pour défendre la frontière contre les Turcs. On appelle cette délimitation historique entre la Croatie et l’Empire ottoman la Krajina. C’est dans cette contrée que les premiers intellectuels serbes voient le jour et que se développe une première conscience nationale. Si beaucoup de Serbes affirment que le Kosovo est le cœur de la nation serbe, on pourrait ajouter que la Krajina en est le cerveau. Pour les Serbes de Bosnie, il est donc impensable d’abandonner ce territoire comme ce fut le cas avec le Kosovo qui a fait sécession car peuplé d’Albanais désormais. La minorité musulmane, pour sa part, se préoccupe moins de la région et a tendance à tisser des liens identitaires avec les pays du sud, comme l’Albanie et la Turquie, où la présence de l’Islam demeure plus forte.

Comprendre le système bosniaque est important pour saisir l’enjeu de ce conflit. « C’est une présidence tournante. Chaque année, le président laisse sa place au président d’une autre ethnie. » affirme M. Troude.« Il y a aussi un gouvernement central qui s’occupe de l’armée, de battre la monnaie et des pouvoirs régaliens », explique-t-il. Pour rajouter à la complexité de la région, elle est divisée en 13 cantons qui sont gérés à la manière suisse, c’est-à-dire avec beaucoup d’autonomie. Finalement, on arrive au dernier palier, les provinces. Il s’agit ici des deux entités, la fédération de Bosnie-Herzégovine (peuplée de Croates et de Musulmans) et la République serbe de Bosnie. « On a vraiment l’impression de vivre dans un État à part entière avec un gouvernement, un parlement, et un service de douanes et de police. », mentionne l’enseignant.

Sur les plans politique, ethnique et économique, M. Troude considère que c’est un échec. Certes, les accords de Dayton ont séparé le pays en deux et les armes ont été rendues, mais les réfugiés ne sont pas retournés dans leurs foyers. L’expert affirme que les deux entités sont devenues mono-ethniques, récoltant les réfugiés de leur ethnie et en expulsant les minorités. « Très peu de Musulmans, et surtout de Croates, ne sont pas revenus. Je connais un quartier de Banja Luka où [il n’y a] que des réfugiés serbes, mais qui ont pris la place des Croates qui ont fui. […] Ça c’est un échec, mais un autre échec, c’est l’économie. » En effet, il n’y a pas eu de réformes assez poussées pour permettre un réel enrichissement du pays. Un autre problème est la fuite de la main-d’œuvre. Beaucoup d’habitants vont travailler dans les pays voisins plutôt qu’en Bosnie : « On les voit le dimanche et après ils repartent en Autriche, en Allemagne ou en Hongrie pour aller bosser. », dit-il. C’est un peu comme si la Bosnie était une immense banlieue et que les pays industriels de l’Europe en étaient le centre-ville.

Certes, le pays est loin d’être parfaitement fonctionnel, mais il n’y avait pas grand-chose qui pouvait laisser prévoir un regain de tensions en 2021-2022. Lors de la dernière guerre, les chômeurs, les inactifs et les déçus de la société s’étaient regroupés dans des groupes paramilitaires nationalistes et ce sont principalement ces milices qui ont mené au déclenchement du conflit. La situation actuelle est cependant loin d’être aussi grave qu’à l’époque. Les tensions sont donc en, quelque sorte, artificielles. Ce sont les nationalistes, poussés par la Russie, la Hongrie et la Serbie, qui créent toute cette agitation pour faire avancer leur agenda politique. En réalité, il n’y a pas d’initiative populaire. Personne ne veut la guerre, tout le monde a en mémoire le terrible conflit des années 1990. « Dodik souffle le chaud et le froid. Tantôt, il va réclamer une autonomie en vertu des accords de Dayton, tantôt il va parler de référendum […] Surtout, il n’est pas du tout suivi par son assemblée. Le parti démocrate serbe s’est abstenu de voter ce projet. Il veut créer de la prospérité, du boulot et ensuite on verra ces questions d’indépendance ». Même chez les Musulmans, l’obsession est à l’économie et non aux luttes nationalistes. C’est pourquoi il y a de nombreuses grèves dans les usines de l’entité croato-musulmane: « La priorité, c’est d’abord le pouvoir d’achat et pas les questions de centralisation ou d’indépendance. »

En Bosnie-Herzégovine, une guerre n’est pas sur le point de se déclencher, n’en déplaise à une bonne partie de la presse occidentale qui a souvent tendance à imaginer les pires scénarios sans connaître la région. Les différents peuples qui habitent la fédération ne veulent pas de conflit, ils ne souhaitent plus la guerre. Ils sont déjà autonomes de leurs voisins et M. Troude souhaite davantage une conférence européenne qui viserait à réajuster les frontières provinciales à l’intérieur de la Bosnie plutôt qu’un démembrement du pays. C’est, selon lui, l’option qui éviterait un conflit et garantirait une large autonomie des peuples qui pourront vivre dans leur province selon leurs codes et en harmonie avec leurs voisins. L’intérêt général de la région en dépend.

La valise ou le cercueil

Quand l’Algérie, c’était la France

En 1954, l’Algérie française, c’est 9 millions d’habitants à 85%-90% d’Arabes et de Berbères ainsi que 10% à 15% de Français d’Algérie et de Juifs. Il est à noter qu’il y a une petite minorité chrétienne et beaucoup de Juifs dans la région avant l’arrivée de la France, le reste de la population étant musulmane. Les habitants d’origine européenne, qu’on appelle « Pieds-Noirs », habitent majoritairement en ville alors que les « Indigènes », comme on les appelait à l’époque, forment la majorité de la population rurale. Certaines villes sont très européennes à l’image d’Oran ou bien d’Alger que certaines sources qualifiaient même de « deuxième ville française par habitants ». De plus, l’Algérie n’est pas une colonie, mais bel et bien trois départements recouvrant l’actuel pays et intégrés pleinement à la France, d’où le célèbre slogan « L’Algérie, c’est la France ». Toutefois, l’Algérie ne peut pas être comprise qu’avec des statistiques, mais bien en discutant avec les différents peuples qui la composaient. Les personnes ayant vécu cette période ont quelque chose à raconter, loin du débat brûlant qu’on a l’habitude d’entendre. Le texte qui va suivre représente leur version de l’Algérie française.

Un monde sans Français

L’histoire de l’Algérie ne se résume pas à la guerre, bien qu’on en entende beaucoup parler. C’est avant tout une histoire de plusieurs peuples qui vivaient relativement bien ensemble. Un Algérien enseignant de mathématiques au secondaire installé depuis belle lurette au Québec, se rappelle que ses parents et son entourage lui racontaient l’Algérie avant l’indépendance. Il ne donnera pas son nom pour des raisons de sécurité. Ayant un an et demi au moment de l’indépendance, il a grandi dans la nouvelle Algérie, une Algérie sans Français. Toutefois, il raconte le rapport que les populations avaient entre elles. Est-ce qu’il y avait des tensions? Évidemment, mais la majorité des Français d’Algérie étaient des gens simples, travailleurs, qui s’entassaient dans les villes pour espérer trouver du travail. Ils étaient en moyenne 20% plus pauvres que leurs compatriotes en métropole et luttaient côte à côte pour les droits de tous les travailleurs, qu’ils soient Européens ou Indigènes. Certains, bien que pas très nombreux, ont même milité pour l’indépendance, surtout ceux de gauche et l’extrême-gauche. « Il y avait du ressentiment envers les autorités françaises, mais pas envers les gens, les Français.» Une fois l’indépendance acquise, la liberté et la tolérance promises par les indépendantistes du FLN (Front de libération nationale) ne vient pas : « Il y a eu une véritable chasse aux Français. On les pourchassait et on les tuait. Mais aussi envers les harkis, ces Algériens ayant combattus aux côtés de la France ». Presque tous les Français, ainsi que les Juifs, partent en 1962, laissant un vide dans ce nouveau pays que beaucoup regrettent, bien que quelques-uns soient restés, mais partiront pour beaucoup plus tard. Le FLN a aussi promis la démocratie, mais une bonne partie des Algériens ont l’impression de s’être fait confisquer leur indépendance. Une clique de militaires s’est installée au pouvoir, corrompant la société et ruinant son potentiel économique. De nombreux Algériens émigrent un peu partout dans le monde pour fuir le régime militaire et cet enseignant est l’un d’eux : « Ils ont promis qu’il y aurait des élections libres… on attend toujours », conclut-il.

Terre étrangère, la France

À l’époque, la communauté juive, qu’elle soit de souche européenne ou berbère, était forte d’environ 120 000 âmes. À l’indépendance, craignant de vivre dans un pays qui leur serait hostile, la quasi-totalité a fui en France avec les Pieds-Noirs. Aurélie Lacassagne, professeure de science politique à l’Université Laurentienne, compte dans sa famille un Juif d’Algérie. Ayant discuté plusieurs fois avec son oncle, elle est capable de fournir un témoignage vital pour la mémoire de ces gens-là. Il ne discute pas ouvertement du sujet, c’est trop sensible et la blessure n’a pas totalement cicatrisée.

Selon la politicologue Aurélie Lacassagne, la société de l’époque n’était pas idéale, certes, mais la cohabitation entre les différentes populations était bonne. Les populations non musulmanes n’étaient pas particulièrement plus riches que la majorité du pays : « Il y a des ouvriers, des paysans et une minorité de riches propriétaires. », dit-elle. Pour eux, l’Algérie, c’était la France. L’indépendance n’était pas une idée très populaire chez les Pieds-Noirs et cet attachement à la France va leur couter très cher. Déjà, la guerre a été traumatisante pour tous, car le monde paisible qu’ils avaient connu partait en fumée, mais il y avait de l’espoir de revenir à la cohabitation. Les jeunes hommes, obligés de se battre à cause de la conscription, ont été blessés au plus profond d’eux-mêmes tellement c’était une sale guerre. À l’époque, on ne parlait pas de guerre, d’ailleurs, mais de « maintien de l’ordre ». Cependant le gouvernement français, bien que victorieux sur le plan militaire, veut se débarrasser de l’Algérie, car elle coûte cher et jamais le sentiment indépendantiste ne pourra réellement disparaitre. En 1962, les accords d’Évian sont signés et l’Algérie accède à l’indépendance un peu plus tard dans l’année. Le lendemain de la signature entre la France et le FLN, des foules entières envahissent les quartiers européens des grandes villes et des villages. La chasse commence et les Pieds-Noirs et les Juifs partent pour éviter le pire. Plusieurs milliers de harkis et leur famille réussissent à partir, mais contrairement aux accords qui promettent une amnistie, 60 000 à 80 000 harkis sont assassinés dans les mois d’après. Des fanatiques de l’Algérie française, l’OAS (Organisation armée secrète), commencent à mener des attentats, et ce, même contre la France qui s’apprête à abandonner le pays. L’OAS ne veut pas d’une Algérie algérienne et le sang coule encore, comme si ce n’était pas assez. La cohabitation est définitivement impossible dans la nouvelle Algérie.

Arrivés en France, les réfugiés se rendent compte qu’ils ne sont pas vraiment chez eux. « Ils ont une identité troublée, parce qu’ils se définissent comme Français d’Algérie. En arrivant, ils étaient des étrangers, quelque part », ajoute Aurélie. Avec leur gros accent, on les perçoit comme des immigrants dans leur propre pays et ils entrent en « compétition » avec les travailleurs de la métropole. Plusieurs se regroupent dans les banlieues et la conscience de venir d’Algérie tout en étant Français se transmet de génération en génération. Au fil des ans, les vrais souvenirs s’estompent et laissent place à une version idéalisée de leur terre natale. Les nouvelles générations, nées en France, ne peuvent que se fier aux histoires de leurs aînés, n’étant pas nés là-bas et « les enfants des Pieds-Noirs ont été élevés dans ce mythe. […] C’est vu (l’Algérie) comme une terre idéale, promise. » Mme Lacassagne, quand elle pense à la possibilité d’un retour pour les réfugiés, dit : « J’ai l’impression que maintenant, l’idée du retour n’est plus là. Ça reste dans la tradition familiale, c’est tout ».

Ni Français ni Algériens.

Le port est plein à craquer. Des bateaux arrivent, puis d’autres viennent. Nombreux sont ceux qui espèrent traverser la Méditerranée le plus vite possible pour aller en France, là où le gouvernement a promis terres et maisons. Ils sont Pieds-Noirs, harkis ou bien Juifs. Partout dans le pays, on les pourchasse et il faut partir si l’on veut rester sain et sauf. La valise ou le cercueil.

Ce drame, plus d’un million de personnes l’ont vécu, au plus profond de leur chair. Pour eux, l’Algérie était leur maison, leur famille. Ils ont été manipulés par la France qui leur promettait de garder l’Algérie française, et brouillés par le FLN qui affirmait que leur liberté et leur égalité dans la nouvelle Algérie seraient garanties. Que des mensonges. On les a oubliés et laissés à leur sort. Quelques mois avant que l’Algérie devienne réellement indépendante, fêtant tout juste ses 18 ans, Gérard quitte son pays pour ne plus jamais y retourner. Ce Pied-Noir, qui habite au Québec depuis 1963, est très fier de son pays d’origine, l’Algérie française. Il se souvient très bien de cette période, étant parfaitement mature et conscient de ce qui se passait à l’époque. Beaucoup de Pieds-Noirs ont quitté leur pays étant enfants et en gardent un souvenir déformé. Lui, il travaillait et s’apprêtait à faire son service militaire lors de l’indépendance.

Comme les témoins précédents, Gérard affirme que les Pieds-Noirs menaient une vie très simple. Sa famille avait des pêchers, des cochons et s’occupait des champs, depuis leur terre natale de Mascara. La légende dit que le fameux maquillage vient de cette ville de l’ouest de l’Algérie, dit-il. Son père était militaire, ayant servi la France durant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Indochine, d’où il reviendra avec une maladie qui l’emportera, laissant Gérard orphelin de père à 13 ans seulement. Malgré tout, il fréquente l’école et il affirme que les populations vivaient dans des quartiers séparés, mais qu’il n’y avait pas de problème pour se mélanger au café ou à l’école : « On est 32 ou 33 élèves dans la classe, la moitié était des Arabes. Je parlais arabe avec eux […] Quand c’était l’Aïd et que les musulmans égorgeaient le mouton, j’ouvrais la fontaine pour pas que le sang coagule. Quand les petits se faisaient circoncire, ils portaient une djellaba blanche maculée de sang et ça m’avait interloqué, je posais des questions. C’est dans la religion qu’on me disait » dit-il en riant. Tout se faisait ensemble: les mariages, les enterrements, les fêtes religieuses, etc. Sa mère, quand elle a appris à cuisiner, a appris les recettes arabes et il n’a cessé d’en manger régulièrement jusqu’à son départ. Même au Québec, Gérard et sa femme, aussi Pied-Noir, allaient au Petit-Maghreb sur Jean-Talon pour acheter des pâtisseries : « Ça nous rappelait le pays », dit-il.

Mais s’il a dû quitter sa patrie et qu’il a atterri au Québec, c’est qu’il a été forcé de fuir l’Algérie. En 1962, l’Algérie s’apprête à devenir indépendante et les Pieds-Noirs comprennent vite que le FLN ne veut pas d’eux, en réalité. Sa famille a choisi la valise plutôt que le cercueil et ils se sont retrouvés en France. Pourtant, les Français, pour plusieurs, étaient hostiles aux Pieds-Noirs : « On a été mal reçus par les Français. Ils pensaient qu’on était riches à cause de l’étiquette qu’on nous donnait. Mais on est arrivés avec une seule valise, tabarouette! » Un peu plus tard, par un concours de circonstances, il se retrouve au Québec, âgé de 19 ans, il dira : « Je suis parti de la France, car c’est le pays qui a abandonné mon pays ». Quand il repense à l’Algérie, il la décrit comme un super pays, qu’il aimait, mais duquel il fut expulsé par les dirigeants qui ont exploité par la suite le peuple algérien. Elle avait un grand potentiel, mais les dirigeants sont si incompétents qu’il va même jusqu’à dire qu’avant, les bateaux arrivaient vides et partaient pleins, maintenant ils arrivent pleins et partent vides… Mais il a tourné la page de cette période, contrairement à beaucoup de Pieds-Noirs qui y pensent et qui souhaitent peut-être un retour pour y vivre leurs dernières années ou y être enterrés. La manière dont ils ont été accueillis en France les a empêchés de faire leur deuil de l’Algérie, ce qui a été plus facile pour Gérard vu qu’il a choisi le Québec. Cependant, l’identité de nombreux Pieds-Noirs reste quelque chose de flou, mais pas pour Gérard : « On ne peut pas se dire Algérien, l’Algérie d’aujourd’hui n’est pas mon pays. Mais quand on me demande si je suis Français, je réponds que non. Je suis Pied-Noir, avec honneur et dans la gloire ».

En 2022, les relations entre la France et l’Algérie vont sûrement se dégrader davantage, car cette année marquera le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Les gens qui ont vécu ce traumatisme dans leur chair n’ont pas envie de rouvrir cette plaie. Des deux bords, les gouvernements vont probablement s’accuser et dénoncer le comportement de l’autre à cette époque. Les Pieds-Noirs et les Algériens ne peuvent qu’en souffrir. Il faut espérer que les gouvernements laisseront la parole aux personnes ayant vécu sous l’administration française et que les plaies se fermeront pour de bon. Et si un régime civil et démocratique finit par s’installer en Algérie, peut-être qu’un retour des Pieds-Noirs et une réconciliation seraient envisageables, qui sait? 

Un chat, un chien et un humain!

Décidément, chats et chiens sont les meilleurs amis de l’Homme. Dans les pires moments, ces boules de poils répondent souvent à notre appel en cas de stress, d’anxiété ou de bien de maladie. C’est encore plus vrai en temps de pandémie, où chacun est tenu de rester chez lui. La dépression et la solitude font des ravages, mais nos animaux, sans le savoir bien sûr, viennent volontiers à notre secours!

13 mars 2020

Tout d’abord, un rappel des faits s’impose! À l’annonce du confinement au mois de mars, le 13 pour être précis, plusieurs espéraient que la situation se règle rapidement, que les cas baissent et qu’il n’y ait pas de décès ou bien peu. L’affaire fut tout autre… Plus les jours avançaient, plus le Québec sombrait dans un chaos sanitaire sans précédent depuis la grippe espagnole, durant la Première Guerre mondiale. Beaucoup se sont retrouvés au chômage, en télétravail ou à suivre des cours en ligne. C’est à ce moment que le drame commence pour la plupart. L’isolement, au bout de quelques semaines, commence à peser sur la santé mentale, surtout chez les jeunes. Le chiffre selon lequel 50% des jeunes du Québec présenteraient des signes de dépressions, d’anxiété ou de stress est malheureusement bien connu.

« Un chien, un chat, c’est un coeur avec du poil autour »

Brigitte Bardot, actrice et militante française pour la cause animale

Et nos héros à quatre pattes dans tout ça?

Les voici, ils arrivent! Agissant un peu comme une bouée, beaucoup de boules de poils ont permis à de nombreuses personnes d’éviter une aggravation de leur solitude. Comment? Eh bien les animaux, peu importe leur espèce, procurent au propriétaire une présence fiable dans l’incertitude qu’est le confinement. Ils apportent de l’action et une joie de vivre qu’on ne retrouve que très peu chez les humains par les temps qui courent. La recherche quasi constante de notre attention les pousse à nous tenir compagnie et à nous donner de l’amour (ou à marquer leur territoire). De plus, on n’y pense pas souvent mais ils sont aussi une source de chaleur. Cette dernière ne remplace pas la chaleur humaine, mais presque! Elle aide à nous réconforter, à rendre le contact plus réel avec l’animal. Mais surtout, ce qui a le plus d’effets positifs sur notre santé mentale en ces temps difficiles, c’est ce qu’on décrit généralement comme de « mauvais côtés » des animaux de compagnies, soit les responsabilités! Souvent, elles sont source de conflits pour la plupart des ménages, mais en temps de confinement, l’animal est pour plusieurs le centre de leur attention quand ils ne travaillent ou n’étudient pas. Il faut sortir le chien plus souvent, nettoyer les litières de nos félins et changer la paille pour les petits rongeurs domestiques. Tout cela nous oblige à garder une certaine routine pour éviter de négliger notre fidèle compagnon qui nous en offre tant. En effet, notre chat qui passe ses journées à dormir ou bien votre chien qui mord sans cesse vos pantoufles, avec leurs qualités, mais aussi leurs défauts, vous ont permis de traverser une très longue période sans connaître de trop grandes chutes de moral, du moins pour la plupart. Une étude britannique de l’Université de York réalisée sur 5000 sujets et publiée dans la revue scientifique PLOS Medecine le 25 septembre 2020 montre que 96% des propriétaires d’animaux affirment avoir mieux supporté le confinement grâce à leur animal. Les non-propriétaires étaient aussi plus à risque d’avoir une santé mentale affectée et de présenter des signes de dépression ou d’anxiété. Bien sûr, tout n’est pas rose. Le confinement restreignait l’accès aux vétérinaires et une augmentation de morsures sur les enfants a été remarquée. Face à des manipulations maladroites par des enfants, certaines bêtes ont réagi en mordant ou en griffant. Il s’agit toutefois de cas marginaux. L’écrasante majorité des foyers affirme même que les liens avec leurs valeureux quadrupèdes se sont renforcés! Évidemment, ils ne remplacent pas vos amis, mais soyez-en certains, ils mettront plus de joie dans votre vie!

Le Haut-Karabagh, un conflit sans fin

Le 27 septembre 2020, de violents combats éclatent dans la région du Haut-Karabagh entre les séparatistes arméniens et l’armée azerbaïdjanaise. Encore une fois, les Arméniens et les Azéris se tirent dessus, « ça va se calmer », se disent beaucoup. Plus les jours avancent, plus la guerre devient inévitable. L’issue en est complètement incertaine. Cette région qui appartient officiellement à l’Azerbaïdjan est en fait contrôlée par des séparatistes arméniens qui souhaitent l’attachement du territoire à l’Arménie voisine. En effet, bien que reconnu comme une terre appartenant à l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh; appelé Artsakh en arménien, est peuplé à 95%  d’Arméniens qui, naturellement, veulent rejoindre l’Arménie. Toutefois, le président azéri, Ilham Aliyev, ne l’entend pas de cette oreille. Les puissants voisins de ces deux pays du Caucase risqueraient d’intervenir et embraser la région dans un torrent de feu et de sang, comme en Syrie.

Allez-y, détruisez l’Arménie !
Voyez si vous pouvez le faire.
Envoyez-les dans le désert.
Laissez-les sans pain ni eau.
Brûlez leurs maisons et leurs églises…


Voyez alors s’ils ne riront pas de nouveau,
voyez s’ils ne chanteront ni ne prieront de nouveau.
Car il suffirait que deux d’entre eux se
rencontrent, n’importe où dans le monde,
pour qu’ils créent une nouvelle Arménie. « 

– William Saroyan (1908-1981), écrivain arméno-américain

 Le Haut-Karabagh, c’est ici, dans le Caucase :

Haut-Karabagh: les combats se poursuivent entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Image: FranceTVinfo (VISACTU)

Il s’agit de la région en brun sur la carte et la zone orange est la zone occupée par l’Arménie et les séparatistes, mais qui n’est pas dans le Haut-Karabagh. Il s’agit également de zones à majorité arménienne, mais pas seulement. En effet, lors de la précédente guerre, à la dislocation de l’URSS de 1988 à 1994, l’Arménie envahit le territoire autour du Haut-Karabagh en réponse aux massacres d’Arméniens en Azerbaïdjan, car celui-ci est une enclave. Ce qui veut dire que même si le Haut-Karabagh rejoignait l’Arménie, ils ne seraient pas reliés par la terre. Les populations azéries et kurdes sont chassées de cette zone et les Arméniens des autres régions azerbaïdjanaises subissent le même sort. Le Haut-Karabagh et l’Arménie sont désormais connectés et forment, dans les faits, un seul pays. On se retrouve donc avec deux nations très homogènes ethniquement, puisque les minorités ont été expulsées, mais qui revendiquent des territoires de l’autre. La victoire d’un des deux camps aura forcément comme résultat des déplacements de populations et malheureusement d’horribles exactions, les deux communautés ne pouvant cohabiter désormais.

Les voisins

La Russie  est alliée militairement à l’Arménie, même si elle vend des armes aux deux pays. Ce qui veut dire qu’à partir du moment où le territoire arménien, excluant le Haut-Karabagh, est attaqué, la Russie se doit d’intervenir pour aider l’Arménie, mais seulement si les Arméniens appellent à l’aide. Pour les Russes, le conflit dans l’Artsakh est une humiliation, car il montre leur incapacité à régler les conflits de leur sphère d’influence.

Répartition des populations de langue azérie dans le Caucase et en Iran.
Image : Jacques Leclerc

L’Iran est musulman chiite, comme l’Azerbaïdjan, et, surtout, 13 millions d’Azéris vivent en Iran. L’Azerbaïdjan est en effet une ancienne province de l’empire iranien qui lui a été prise par la Russie dans les années 1800.  Officiellement, l’Iran est neutre, mais les pressions de sa population azérie pourraient bien influencer sa politique prochainement.

La Turquie est un pays turcophone et musulman, comme l’Azerbaïdjan. Mais les Turcs sont sunnites alors que les Azéris sont chiites, deux branches opposées de l’Islam. Toutefois, ils se définissent comme « un peuple, deux États » et la Turquie soutient totalement les Azéris. Il ne faut pas oublier l’importance économique de cette alliance, notamment lorsque le pétrole est en jeu. De plus, la Turquie considère les Arméniens parmi leurs pires ennemis et refuse de reconnaître le génocide, mais le sujet sera abordé plus tard.

Le début d’un carnage?

Le coût humain d’un affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sera probablement catastrophique. Les deux armées ont des méthodes de combats obsolètes. Il n’y a qu’à voir l’équipement des soldats : Le casque emblématique de l’Armée rouge avec, dans leurs mains, des Kalachnikovs et de vieilles pièces d’artillerie semblent nous renvoyer dans les années 1980. Sauf que depuis l’URSS, la technologie a énormément évolué. Les missiles sont maintenant d’une précision chirurgicale et les drones sèment la peur dans l’armée, principalement arménienne. L’Arménie, avec ses 3 millions d’habitants et ses ressources naturelles bien maigres, fait face à un Azerbaïdjan bien différent de celui des années 1990. L’armée s’est modernisée grâce au soutien total des Turcs et le chaos politique qui avait permis aux Arméniens de vaincre en 1994 a fait place à un régime dictatorial et stable, déterminé à reprendre le Haut-Karabagh. Surtout, l’Azerbaïdjan possède d’immenses gisements de pétrole. L’argent qui en découle a permis au président, Ilham Aliyev, d’acheter une quantité impressionnante d’armes. Des mercenaires turcs et des djihadistes ont également été recrutés par les Azéris.

C’est la guerre!

On se retrouve le 27 septembre 2020. Dès que les coups de feu commencent à retentir, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, décrète la mobilisation générale et la loi martiale. Les jours suivant le 27 septembre, les combats sont d’une extrême violence. Le 28 et le 29, les Azéris avancent, mais semblent être repoussés pour le moment. Le premier octobre, des drones apparaissent près d’Erevan, la capitale arménienne. Les 3, 4 et 5 octobre, les Azéris avancent près de la frontière dans le nord et percent le front au sud du Haut-Karabagh. Ils s’enfoncent loin dans le territoire. La capitale de la région séparatiste, Stepanakert, est bombardée. Grâce à la médiation russe, un cessez-le-feu est instauré.  Les bombardements continuent sur les villes du Haut-Karabagh, dont la capitale, mais aussi en Azerbaïdjan, à Gandja. Le 14, la trêve est définitivement oubliée et Ilham Aliyev proclame que des sites de lancement de missiles arméniens ont été détruits… sur le sol arménien. Pour la première fois, l’Arménie est ciblée et non plus le Haut-Karabagh, ce qui fait craindre l’intervention militaire des Russes. Toutefois, l’Arménie ne la demande pas, sûrement pour ne pas donner un prétexte aux Turcs de se mêler officiellement dans les combats. Dans les jours qui suivent, les Azerbaidjanais réussissent à s’emparer de toute la frontière de l’Artsakh avec l’Iran. Le premier ministre arménien a également dit qu’une solution diplomatique n’est plus possible désormais. L’armée azérie se prépare à monter vers le nord et couper l’Artsakh de l’Arménie.

En turquoise, les régions conquises par l’Azerbaïdjan en date du 31 octobre.
Image : Emreculha / Wikipédia

Qui a tort? Qui a raison?

Pour cette partie j’ai pu rencontrer un membre du Haut-Commissariat des Affaires de la Diaspora, dont la mission est d’entretenir les liens de la diaspora avec le pays, Léonardo Torosian, un Québécois d’origine arménienne. Grâce à lui j’ai pu recueillir le ressenti de la population, puisqu’il se trouve actuellement en Arménie. Pour lui, il clair que le conflit éclate pour permettre au président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, de renforcer son pouvoir. En effet, le régime est de plus en plus contesté et désigner un ennemi à abattre permet de faire oublier les défauts de la présidence. M. Torosian et tous les Arméniens ont conscience de la petite taille de leur pays et de leur population, mais cela ne les empêche pas de garder la tête haute et de croire à la victoire. Tous ont un proche au front et certains sont malheureusement en deuil. Malgré la balance qui semble pencher en faveur de l’Azerbaïdjan sur papier, le peuple arménien garde espoir. Il a trop souffert par le passé et trop perdu de territoires injustement qu’il n’abandonnerait jamais l’Artsakh, ce serait bafouer la mémoire de tous ceux qui sont morts pour leur patrie. Les habitants sont nombreux à avoir subi le martyr : « On n’a pas le droit d’abandonner l’Artsakh […] Pour les Arméniens, c’est une question existentielle. C’est une guerre totale. » me dit Torosian. La diaspora, composée de 8 à 10 millions de personnes, semble prendre ces phrases au sérieux, car les dons, les soins et les pressions sur nos gouvernements sont les moyens qu’elle utilise pour aider leur pays, mais surtout, avoir la reconnaissance que l’Artsakh est depuis toujours arménien et qu’il le restera.

Côté azéri, il est difficile d’avoir le ressenti de la population, la diaspora étant très peu nombreuse et le gouvernement censurant toutes informations relatives aux pertes et au conflit. Cependant, le peuple azéri semble confiant dans son armée. Pour eux, il s’agit de suivre le droit international et de reprendre la région où certains, minoritairement, vivaient. Les interviews disponibles un peu partout dans les différents journaux montrent un esprit de revanche par rapport à la dernière guerre.

Mais pourquoi tant de haine?

Peuples en Anatolie (Turquie actuelle) en 1914. Les Grecs feront l’objet d’un génocide en même temps, mais aussi les Assyriens, qui ne sont pas représentés sur cette carte. Au total, 3 à 3,5 millions de chrétiens meurent en 3 ans.
Image : Wikipédia

Constantinople, avril  1915. La ville qu’on appelle aujourd’hui Istanbul et qui est alors la capitale de l’Empire ottoman (Turquie avant 1923) est secouée par des centaines d’arrestations d’intellectuels arméniens . Ils sont envoyés dans les régions arméniennes de l’empire, dans l’est. Commence alors un horrible « nettoyage ». L’armée turque, aidée par la population musulmane de la région (turque, kurde, circassienne) traque les Arméniens qui sont à leurs yeux les infidèles ayant causé la situation désastreuse dans laquelle l’Empire ottoman se trouve. En effet, les minorités chrétiennes sont accusées d’espionnage pour le compte des ennemis des Turcs, principalement pour la Russie et le Royaume-Uni. Tous y passent. Les hommes sont envoyés dans des régiments de travaux forcés pour y construire des infrastructures militaires, souvent en plein désert , puis mitraillés. Les femmes, les enfants et les vieillards sont tués sur le champ, peu importe le moyen, après avoir servi de jouet à leurs tortionnaires et violés… Les Turcs font preuve de beaucoup d’imagination. Par exemple, on enferme les villageois dans une église et on y met le feu ou bien on oblige les Arméniens à se mettre en ligne et marcher dans le désert ou dans les hauts plateaux d’Anatolie orientale. Les trainards sont fusillés. Ceux qui arrivent à destination aussi de toute façon. Simple et efficace…

Ce déchaînement de violence emporte un peuple entier avec lui, un peuple plusieurs fois millénaire et le premier à avoir adopté la religion chrétienne. Entièrement? Non! Ce n’est pas la fin de l’Arménie. De l’autre côté de la frontière, dans ce qui est à l’époque l’empire russe et actuellement l’Arménie ainsi que le Haut-Karabagh, des millions d’Arméniens sont là. Ils accueillent les quelques survivants qui arrivent. Sur environ deux millions d’Arméniens ottomans, 1 million et demi seront massacrés en trois ans. Beaucoup fuient dans d’autres pays et formeront la diaspora.

Ce douloureux souvenir hante la mémoire de chaque Arménien. Beaucoup redoutent le deuxième acte de cette horrible pièce. Pour citer une dernière fois Léonardo Torosian et montrer l’état d’esprit qui règne chez ce peuple : « Si on ne gagne pas, ils vont nous détruire ». 

%d blogueurs aiment cette page :