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Conflits d’intérêts, différences culturelles et barrière de la langue: Le Québec a-t-il toujours sa place au Canada en 2022? Notre auteur, Pierre-Olivier Riverin est parti à la rencontre des Canadiens ordinaires pour discuter de la grande question québécoise.
Le 28 août dernier a marqué le déclenchement de la 43ème élection générale du Québec et l’heure est alors au bilan. Les Québécois sont portés à évaluer la performance de leur gouvernement et considèrent leurs alternatives, c’est alors le début d’une période de questionnement. Au travers de ce grand débat national, le Parti québécois ramène comme toujours le sujet de l’indépendance sur la table pour nous parler des bienfaits d’un référendum gagnant. Dans ce contexte de campagne électorale et en me remémorant tous les événements du passé qui ont tourné autour du sujet, je n’ai pas pu m’empêcher de me poser la question suivante: qu’en pensent nos compatriotes Canadiens?
Avant de procéder, je tiens à clarifier que le droit à l’indépendance appartient au peuple québécois et que seuls nous avons le dernier mot à dire. Pourtant, je suis pris d’une curiosité sur la question, car nous avons tendance à l’oublier, mais notre indépendance serait le début de la fin du Canada moderne. C’est dans cet esprit de curiosité et avec le désir de poser un nouveau point de vue marginal sur la table que je pars vers l’ouest pour offrir aux anglophones ordinaires l’opportunité de nous dire what’s what.
Sympathiques mais snobs: une vision pas toujours 100% glamour
Dans le grand portfolio coloré de l’histoire des relations franco-anglo, il n’est pas vraiment rare de tomber sur une chicane ou deux. Cependant après plusieurs décennies d’évolution sociétale et de coopération nationale, il est évident que nos relations avec les anglophones se sont nettement améliorées au fil du temps, là je ne vous apprends rien de nouveau. C’est donc avec cette information en tête que je n’ai pas trop été surpris d’entendre des opinions mixtes à notre égard.
C’est sous les néons sémillants de la place Yonge-Dundas à Toronto que j’aborde un premier couple de cinquantenaires. Nous les appellerons Mary et Philip. « J’aime beaucoup les Québécois » nous dit Mary. « J’ai visité le Québec à quelques reprises et j’aime que nous ayons un petit morceau de la France au pays. Le Québec possède une culture riche et diverse, et je suis heureuse de les appeler nos compatriotes ».
Bien que selon mes multiples discussions, le peuple ontarien semble bien partager cette vision positive sur nous, certains ne pensent pas de la même façon. « Je les trouves particulièrement snobs », dit un jeune sportif de la début vingtaine. « Lorsque je vais au Québec pour des compétitions, je me sens toujours regardé de haut quand je ne parle pas un français parfait ». Sa copine en rajoute : « Je crois seulement qu’ils sont fiers de montrer qui ils sont, mais parfois ça peut être un peu envahissant, surtout avec la langue ».
La langue est souvent revenue lorsque je mentionnais le sujet de notre peuple. Le consensus général semble bien être celui que les Canadiens n’ont pas à parler et à accommoder le français, puisque selon eux elle s’agit que d’une langue minoritaire nichée au Québec. « Écrivent-ils des panneaux en anglais ou offrent-ils des services en anglais au Québec? C’est le même principe ici », rajoute Philip.
« Tout comme en Ontario, les régions rurales du Québec ont tendance à être plutôt fermées d’esprit et conservatrices dans leurs idées », nous dit Mary. « Mais il s’agit là plutôt d’une dynamique urbain versus rural que l’on trouve partout au pays », ajoute-t-elle. Philip continue en disant : « Les Québécois veulent montrer qu’ils sont différents, c’est un peuple fier, mais là où je mets une limite c’est quand leurs revendications commencent à avoir un impact négatif sur nous. Ils oublient parfois que nous sommes un pays uni et non une province versus la confédération ».
Une place à l’unité dans une fédération divisée?
Vous ne serez pas surpris lorsque je dis qu’il y a et aura toujours certaines tensions, plus ou moins graves, entre les québécois et les anglophones des autres provinces. Avec des partis au parlement fédéral comme le Bloc Québécois, on ne peut pas dire d’emblée qu’il s’agit là d’un pays entièrement uni, malgré cela, certaines personnes ont une vision plutôt positive des choses.
« Tu sais quoi? Je ne pense pas vraiment qu’il y a des tensions» dit Mary. « Dans ma ville d’Hamilton nous avons une grande communauté francophone, et je n’ai jamais vu les anglos s’engueuler avec les francos de la même manière que les gauchistes s’engueulent avec les droitistes, alors je ne crois pas que le conflit soit culturel ». Son mari enchéri : « Oui c’est plutôt des tensions politiques et idéologiques, de toute façon je crois bien que le Québec a tout intérêt à rester au sein du Canada vu les sommes extraordinaires qu’ils reçoivent d’Ottawa. Sans ça, comment feront-ils pour survivre? »
Le jeune sportif nous répond ensuite « Le Québec fait déjà partie du Canada. Pourquoi détruire ce qui fonctionne? Je veux dire, pourquoi l’histoire est si importante pour ces gens-là? À mon avis ils devraient se concentrer sur l’avenir et travailler avec nous plutôt que de se concentrer sur des détails qui appartiennent aux générations passées ».
Certains sont plus cyniques, comme cet homme quarantenaire que j’ai abordé au pied de l’hôtel de ville torontois. « À partir du moment qu’il y a des différences culturelles, il y aura toujours des tensions », dit-il. « C’est naturel, c’est humain. Maintenant le défi c’est de savoir, le Canada est-il réellement capable de maintenir à long terme son unité multiethnique qui forme la base de toute sa réputation? Si les Québécois jugent qu’ils sont mieux par eux-mêmes, alors soit. Mais moi, je choisis de croire au rêve canadien et eux devraient aussi », conclue l’homme.
La jeunesse et l’indépendance : que veut dire le vote solidaire et péquiste?
Un vol et un paquet de peanuts plus tard, c’est en Alberta que se déroule la suite de cette grande entrevue canadienne. Comme mentionné plus haut, le Québec reçoit environ 12 millards de dollars annuellement en guise de paiement de péréquation de la part d’Ottawa pour aider au développement provincial, et c’est cette grande province des prairies qui en paie la facture la plus salée. C’est donc en toute connaissance de cause que je me suis rendu dans le village rural traditionnellement conservateur de Vegreville afin d’obtenir des réponses peut-être un peu plus positionnées sur la question.
Québec solidaire et le Parti québécois sont les deux partis indépendantistes de cette élection et l’on peut constater qu’en général, c’est que la jeunesse vote solidaire, et ainsi, pour le Québec souverain. J’ai donc abordé des passants sur la possibilité d’un troisième référendum.
« Honnêtement, je m’en fiche complètement si le Québec décide de se séparer », nous dit Bill, rencontré dans le Wal-Mart du village. « Bien sûr, les Québécois ont le droit de choisir, c’est un monde libre n’est-ce pas? À partir du moment où le référendum n’est pas falsifié, et je suis certain qu’il ne serait pas, alors on se doit de respecter le souhait démocratique de la province », dit-il.
« Je crois bien que c’est ce que veut la majorité des Québécois et puis, si c’est le cas, qu’ils le fassent leur pays. De toute façon, cet enjeu-là ne se lie pas à notre réalité », déclare une femme rencontrée sur le boulevard principal. Un autre homme, agriculteur de métier, partage un avis similaire: « S’ils veulent quitter, qu’ils le fassent. Par contre, ils doivent se rendre compte que si ce projet se réalise, tout l’argent que nous leur envoyons partira en l’air. Il faut qu’ils sachent comment combler ce déficit ». Lorsque je lui demande son avis sur les paiements de péréquation, il me répond « Je crois que c’est absolument injuste. Pourquoi le Québec aurait-il droit à notre argent, alors qu’eux ne veulent même pas nous soutenir dans nos projets pétroliers? C’est un accord qui n’a pas de sens et je crois bien qu’il faudrait s’en débarrasser ».
Bien que cet avis sur les paiements de péréquation semble partagé unanimement au sein de la populace locale, Bill, interrogé plus haut, nous avoue que lui, s’en fiche de cette question: « Tu sais, moi je ne m’intéresse pas à la politique. Je trouve que je mène une vie bonne, je ne manque de rien, alors ce que le fédéral décide de faire avec notre argent ne m’importe pas. Si certains trouve cela injuste, et bien c’est leur problème. Moi, ça me convient ».
Indifférence politique ou libertarianisme de fond? Ces avis sont certes intéressants à écouter, or il est important de souligner que les Albertains ont généralement un consensus différent sur la question Québécoise: on coûte trop cher, et on devrait quitter si on le souhaite.
Un appel à la solidarité canadienne pour la jeunesse souverainiste
En guise de dernière question conclusive de ces entrevues, j’ai offert la possibilité aux personnes interrogées de passer un message aux jeunes Québécois qui souhaitent avoir un pays.
« Oh come on! » s’exclame une passante d’origine salvadorienne. « Je suis venue dans ce pays pour son unité et sa grande diversité culturelle, pourquoi voulez-vous détruire ça? Le monde vous envie et vous devriez en être fier ».
« Je crois bien que c’est un projet stupide à la Brexit, mais si c’est réellement le souhait des Québécois, alors il en est du devoir démocratique de leur donner ce qu’ils réclament », déclare Philip. Sa femme ajoute : «Avec le Brexit, c’était la population âgée qui a voté pour. Dans ce cas-ci, il semble bien que c’est la jeunesse qui souhaite se séparer, je trouve ça déjà plus juste. Après tout, ce sont eux qui vont subir les conséquences de leurs choix, non? Qu’ils soient positifs ou négatifs, c’est à la jeunesse de façonner son propre avenir. Si c’est réellement ce que vous croyez et désirez, alors faites-le ».
« Au fond, le choix revient uniquement aux Québécois », nous dit un passant. « Mais la réalité c’est que vous avez toujours fait partie du Canada, nous avons fait de grands efforts pour vous accommoder du mieux qu’on pouvait, et personnellement je trouve que le Québec est une très belle province, alors si vous décidez de rester uni et de coopérer avec nous, les choses iraient bien mieux pour les deux côtés », continue ce dernier.
En Alberta, les gens partagent sans surprise un avis qui touche plus à l’indifférence.
« S’ils prennent bien en compte leurs affaires économiques et qu’ils sont certains de leur projet, qu’ils le fassent. Comme je l’ai dit, je crois que l’argent que nous envoyons est injuste, et si cela veut dire moins de taxes pour nous, alors je suis toujours partant» répond l’agriculteur. Sa conjointe ajoute : « S’ils veulent quitter, qu’ils le fassent. Ça ne nous regarde pas ».
Un petit mot personnel pour la fin
Dans un océan d’informations mixtes et contradictoires, il est si vite facile d’en perdre la tête et ne plus savoir où regarder, surtout quand ça touche la politique. Vous savez, la question du Québec au sein du Canada est un grand débat qui ne trouvera jamais de consensus pleinement majoritaire. C’est donc important que tous se forment une opinion individuelle sur le sujet afin d’en arriver à un résultat démocratique des plus représentatifs possible.
Les avis entendus ne sont donc pas seulement mixtes mais dépendent aussi de la région interrogée. L’Ontario, grand voisin du Québec et foyer historiquement libéral du Canada, a bien plus tendance à vouloir garder la belle province au sein de son pays, tandis que chez les cow-boys conservateurs du far-west, le Québec leur semble être une province tellement lointaine autant sur le point culturel que géographique, qu’il n’en relève pas de leur intérêt de mettre des efforts à nous garder.
Et lorsqu’on regarde l’enjeu d’un point de vue fondamental, notre séparation éventuelle relève uniquement du choix démocratique des Québécois. Le choix que vous, citoyens, allez faire quand on vous présentera ce nouveau bulletin décoré d’un simple oui et d’un non, mettra fin temporairement à ce débat intergénérationnel de la grande question québécoise. Allez donc voter armés de vos meilleures connaissances et convictions.
Mais en attendant ce prochain jour J, nous pouvons garder en tête les réponses que vous avez lues aujourd’hui. Je vous invite donc à porter réflexion sur ce que nos compatriotes Canadiens d’en haut ont à nous dire. Formez-vous ou renforcez votre opinion sur notre place dans la fédération, je ne pourrais jamais souligner assez l’importance de chercher de l’information et je vous invite aussi à participer aux débats politique qui marquera notre avenir à jamais. Après tout, peu importe votre orientation politique, la démocratie n’existe que lorsque tous les citoyens votent en connaissance de cause.
Dans les mots de Ségolène Royal; “La démocratie, c’est comme l’amour. Plus il y en a, plus elle grandit.”