En français, guys!

On entend beaucoup parler de l’anglicisation de Montréal et, par conséquent, du déclin de la langue française. Le gouvernement provincial de la CAQ veut modifier la loi 101 pour renforcer la présence et l’utilisation du français au Québec, notamment auprès des immigrants et des étudiants, qu’on accuse souvent, à tort ou à raison, d’être les principaux responsables de cette situation. Voici ce qu’en pensent cinq étudiants du niveau collégial.

À la question « Tenez-vous à la langue française? », j’ai obtenu une réponse unanime : oui. Ces francophones sont attachés à leur langue maternelle non seulement parce qu’ils lui trouvent une beauté unique, mais aussi parce qu’elle fait partie de leur identité individuelle et commune. Lorsqu’on parle de notre langue, on parle de notre culture, de notre histoire et de qui on est. Le point commun le plus évident des Québécois, c’est certainement la langue, et c’est probablement aussi ce qui nous tient ensemble. Bien que la situation géographique du Québec, c’est-à-dire au cœur d’un océan d’anglophones — ainsi qu’une minorité de francophones hors-Québec, qu’il ne faut pas oublier — et sa présence au sein d’un pays qui a longtemps souhaité assimiler les Canadiens français, le français au Québec a, contre toute attente, réussi à survivre jusqu’à maintenant. Les jeunes que j’ai interviewés s’entendent pour dire qu’il serait fâcheux et insensé qu’on le perde maintenant. « La vraie question, c’est qu’est-ce qu’on fait avec notre culture? Cet héritage-là, il va où? » demande Catherine Brassard.

C’est pourquoi quatre des cinq jeunes à qui j’ai parlé sont inquiets de la situation du français à Montréal. Le rapport Léger sur l’état du français au Québec, publié en septembre dernier, a révélé que 63% des Québécois ont cette même inquiétude. Alexis Kelly, diplômé 2020 du CVM, souligne l’omniprésence de l’anglais dans les milieux intellectuels et l’économie. « On dirait qu’avec les années, il s’est redéveloppé un peu le même problème qu’on avait au début du [20ième] siècle, c’est-à-dire le secteur économique qui était contrôlé par l’élite anglophone. » La cause de tout cela : la « zone grise » de la loi 101 quant à la réglementation sur l’utilisation du français. « Je pense que c’est ça, le réel problème à Montréal et de fait, si l’économie s’anglicise, la population aussi », soutient-il. Yohan Charette, étudiant du CVM en Histoire et civilisation, souligne aussi la place importante de l’anglais dans le secteur du travail et l’incohérence que cela peut représenter pour les personnes immigrantes. « Ils [les immigrants] arrivent et on les énerve pour qu’ils apprennent le français; ils se tournent pour se trouver une job et on leur dit qu’il faut apprendre l’anglais. Y’a comme un sentiment d’inutilité à apprendre le français. »

Catherine Brassard est étudiante au Cégep de Bois-de-Boulogne et cocréatrice de la pétition « Accent Montréal », qui demande à la métropole d’entreprendre des actions concrètes, comme la création d’un Conseil montréalais de la langue française, afin que Montréal redevienne une vraie ville francophone. Ce qui la dérange, c’est lorsqu’elle est incapable de se faire servir en français dans les commerces ou que ceux-ci ne respectent pas les règlements concernant l’affichage en français, par exemple. Marie-Odile Lachance, qui a emménagé à Montréal en août dernier, est d’accord. Elle qui vient de Terrebonne a vécu un petit choc en emménageant à Côte-des-Neiges et en constatant à quel point il est fréquent d’entendre parler anglais dans la rue ou dans les commerces. « Je comprends l’anglais, mais je trouve ça un peu dommage que les gens ne prennent plus la peine d’apprendre le français », confie-t-elle.

Le sondage précédemment mentionné nous indique que 67% des Québécois veulent un renforcement des lois pour améliorer la situation du français au Québec. Celles et ceux à qui j’ai parlé sont d’accord: quatre des cinq interviewés affirment être en faveur d’une réforme de la loi 101 et de l’exigence d’avoir une base de français pour obtenir la citoyenneté canadienne lorsqu’on est installé au Québec (présentement, dans tout le Canada, il faut maîtriser l’anglais ou le français pour avoir la citoyenneté). Victor Sansot, étudiant du CVM, se positionne différemment. La langue française lui tient à cœur, bien sûr, mais il n’a pas l’impression que le français est en danger, car il a vécu toute sa vie à Montréal. « Je ne peux pas moins parler français qu’avant. » Selon lui, il faudrait faire preuve de plus d’indulgence envers les gens qui apprennent le français pour leur donner envie de le parler et qu’ils ne le fassent pas seulement par obligation. Il mentionne qu’il est normal que l’anglais occupe une certaine place à Montréal, comme dans la majorité des métropoles du monde. Il croit que ce qu’il faudrait, c’est que les nouveaux arrivants voient l’apprentissage du français comme une façon de s’intégrer à leur nouveau milieu de vie, d’être une partie prenante de la société québécoise, car autrement, ceux-ci vont simplement choisir l’anglais, puisqu’il est tout à fait possible de vivre en anglais à Montréal. « Demander que le français soit automatiquement maîtrisé [par les] personnes immigrantes jette le blâme sur eux. » Victor mentionne que la volonté d’apprendre le français est souvent présente chez les nouveaux arrivants et que c’est à nous de ne pas les décourager en leur imposant des standards difficiles à atteindre trop rapidement. Il soutient que faire poser le poids du déclin du français sur les nouveaux arrivants — et sur les jeunes, bien souvent — c’est nier que nous avons tous une responsabilité dans la survie de notre langue.

Introspection

On peut bien parler des anglophones et des allophones, mais en tant que francophones, faisons-nous assez attention à notre langue?

Notre utilisation d’anglicismes est inquiétante selon Alexis, surtout lorsque des francophones en emploient sans même s’en rendre compte. « Derrière la langue, il y a une réflexion; lorsqu’on emploie des anglicismes, on parle et on réfléchit à l’américaine. » Cela témoigne bien de l’importance de l’américanisation partout dans le monde.

Parfois, on croise des jeunes francophones qui choisissent de parler en anglais dans leur quotidien. Alexis Kelly y voit une « méconnaissance du fait français et de son importance » : répéter aux jeunes « parlez français » dans les corridors d’école peut leur sembler superficiel s’ils ne connaissent pas l’histoire de cette langue en Amérique du Nord. Catherine Brassard suggère aux gens qui ne se sentent pas liés au français de s’intéresser à la culture francophone et québécoise par la littérature, la musique, le cinéma, etc. Victor Sansot croit que comme pour les nouveaux arrivants, on devrait se montrer plus compréhensifs, dans les écoles, notamment, avec tous ceux qui ont de la difficulté à parler français. Se faire corriger systématiquement dès qu’on commet une petite erreur, ça contribue à perpétuer cette image du français très fermé et exigeant et ça ne donne pas envie de parler français, souligne-t-il. À l’opposé, l’omniprésence de l’anglais fait en sorte que cette langue est très accessible et facile à utiliser.

Cela dit, aucun des cinq jeunes qui m’ont parlé n’est contre le bilinguisme; ceux-ci sont même très conscients que c’est important pour l’économie et l’ouverture sur le monde. Simplement, « il y a un endroit et un moment pour parler français et un endroit et un moment pour parler anglais », soutient Catherine. On ne veut pas non plus essayer de se travestir et de parler comme en France. Notre joual, il est garni d’expressions bien à nous, d’anglicismes qu’on s’est appropriés et qui témoignent de notre histoire, et c’est ça qu’on veut protéger. Ce qui est beau, c’est que le français continue à évoluer. Un métissage de la langue s’opère au fil du temps, notre façon de parler en ville inclut des mots de diverses langues et s’enrichit de multiples cultures, bien à l’image de notre Montréal multiculturel.

En somme, les chiffres montrent que la situation du français, surtout à Montréal, est inquiétante, mais les jeunes que j’ai interviewés prouvent bien qu’elle n’est pas désespérée. Aimer notre langue ainsi que valoriser et diffuser notre culture sont les meilleurs moyens de s’assurer que le français continuera à exister encore longtemps.

La pétition d’Accent Montréal

S’appeler Québécois

Photo: Adrien Olichon / Unsplash

À l’occasion des 50 ans de la Crise d’octobre, je me suis posé la question suivante : que reste-t-il chez les jeunes Québécois d’aujourd’hui des combats pour l’indépendance du Québec qu’ont menés les générations qui nous précèdent? Cet enjeu a-t-il sombré dans l’oubli? Je me suis entretenue avec plusieurs cégépiens, voici leurs réponses.

« Je ne me considère juste pas Canadienne, parce que je pense qu’au-delà de la langue, la langue ça vient avec des mœurs, pis une façon de voir la vie », dit Laura Gauthier.

« On est beaucoup plus que des Français en Amérique », affirme quant à lui Marc Alexandre Guénette.

Tous ceux à qui j’ai parlé reconnaissent le Québec comme ayant une culture différente de celle du reste du Canada, et ont un certain attachement envers celle-ci. Certains se voient comme des Québécois, mais Canadiens avant tout, d’autres s’identifient naturellement comme étant Québécois tout court, habitude qu’ils ont hérité de leur famille, ou choisie. Cependant, se sentir et s’appeler Québécois ne mène pas naturellement à la conclusion que le Québec doit devenir indépendant.

« On a une culture différente, on est des Canadiens français, là-dessus, je suis d’accord. Mais je trouve qu’en 2020, on trouve plus de force dans la diversité qu’à essayer de s’exclure parce qu’on est différents » soutient Jeremy Pinard, qui ne croit pas que notre culture soit en danger. Selon lui, l’indépendance serait seulement un « titre honorifique »; la langue est déjà protégée, le monde sait que nous sommes différents, il n’y a plus rien à revendiquer. « Toute ma vie, je me suis toujours senti comme un Canadien. Je trouve aussi que le Québec est spécial dans sa diversité, mais je suis Canadien avant tout. Je trouve que c’est vraiment des idées du passé qui auraient pu fonctionner, mais qu’aujourd’hui ça ne fonctionnerait juste pas. »

Laura Gauthier et Maia Day croient quant à elles que le mouvement indépendantiste a encore aujourd’hui sa raison d’être. Cependant, Laura affirme qu’elle peut se contenter d’être « fièrement Québécoise à l’intérieur du Canada pour l’instant », parce que l’urgence d’accomplir une séparation est moins présente aujourd’hui qu’elle ne l’était dans le Québec du premier référendum. Premièrement, parce que le contexte n’est pas le même, c’est-à-dire que Laura ne sent pas d’oppression majeure ou de danger imminent d’extinction envers notre peuple et notre culture. Deuxièmement, parce que cette situation de confort relatif nous permet de mettre de l’avant des questions plus urgentes. « Pour moi, la question des Premières Nations, ça passe avant mon peuple parce qu’il y a plus d’oppression envers eux qu’envers les Québécois, donc je mettrais leurs combats avant les miens », affirme Laura. Pour elle, ce n’est pas une question de diminuer l’importance de ses combats, c’est faire passer d’abord ceux qui le méritent. « Je trouve que c’est un peu une utopie de penser que le Québec pourrait devenir un pays et en même temps respecter les droits des Autochtones. C’est ça qui vient me dire que je ne sais pas si je suis à 100 % pour l’indépendance du Québec parce que recréer un pays par-dessus leurs terres, c’est comme leur réimposer un pays qui n’est pas le leur. » Maia Day insiste elle aussi sur le fait qu’elle est fièrement Québécoise et Canadienne parce que c’est ici que se trouvent sa maison et sa famille, mais qu’elle n’est vraiment pas fière de l’histoire de son pays. « Il faut reconnaître le fait qu’on a tellement de privilèges d’être entendus », et laisser la place à ceux qui ne l’ont pas encore eu, par notre faute.

« Si on avait été dans un contexte qui n’est pas d’urgence climatique, j’aurais peut-être dit oui, mais en ce moment j’ai l’impression que de se borner aux luttes nationalistes et à encore plus morceler la Terre et encore plus diviser l’unité dont on a besoin pour faire face à un enjeu qui est global, ce n’est pas une priorité. »

– Léo Dumaresq Bouchard

Un peu comme Laura et Maia, Léo Dumaresq Bouchard est très attaché à la culture québécoise, mais croit que sa survie passe après celle de notre planète. Selon lui, le combat pour la culture québécoise a son importance, mais se concentrer sur celui-ci, c’est détourner notre attention de l’enjeu le plus grave de notre époque. « Y’a aucun peuple qui est éternel, les langues naissent, les langues meurent, les cultures naissent, les cultures meurent, tandis que si on scrappe notre planète, ben y’a plus rien. »

Ce sentiment d’égoïsme à revendiquer quelque chose qu’on a déjà, à crier alors qu’on ne souffre pas, à demander trop d’attention pour une cause qui est moins importante que beaucoup d’autres, je l’ai retrouvé chez presque tous ceux à qui j’ai parlé. Cela montre que ceux-ci sont conscientisés et se préoccupent d’enjeux immenses – mais peut-être sans se rendre compte que l’enjeu de leur identité a lui aussi une plus grande importance qu’ils ne le pensent?

« Quand tu considères que t’es un peuple distinct, faut que t’ailles au bout de ta pensée, pis que tu te dises « je suis tanné de recevoir juste des pinottes, il faut que je sois émancipé à 100 % », pis cette question-là elle est valable aussi pour les 11 nations qui habitent le territoire qu’on nomme Québec aujourd’hui. »

– Léo Leclerc

Pour Marc Alexandre Guénette et Léo Leclerc, fondateurs du mouvement indépendantiste Oui-CVM, la séparation du Québec est une question urgente, mais il n’est pas question de faire passer le peuple québécois avant les nations autochtones et les Premières nations. « On peut les aider eux aussi à protéger leurs cultures pis leurs langues, c’est tellement des cultures qui sont riches, tellement importantes historiquement, qu’on peut pas les laisser à part et ne pas les prendre en compte dans notre indépendance, ce serait vraiment être hypocrite. Ils font partie de cette province qu’on appelle Québec, il faut les inclure », soutient Marc Alexandre. Évidemment, il ne s’agit pas pour lui de mettre notre combat et les leurs sur le même pied : le Québec et le Canada ont commis beaucoup de violences envers eux et le racisme systémique est encore très présent aujourd’hui. Il pense plutôt à travailler avec eux, travailler d’une façon que notre statut dans la fédération canadienne ne nous permet pas de faire, à cause de l’Indian Act, notamment, et parce qu’on a seulement 20 % des votes, comme le souligne Léo. « L’accès à l’eau potable, tu changes pas ça en donnant des pinottes de la part du gouvernement fédéral, un moment donné ça te prend un changement qui est systémique, donc une nouvelle approche, un nouveau départ, notamment avec une nouvelle constitution qui les met d’égal à égal avec les Québécois », explique-t-il.

Cette idée que l’indépendance du Québec permettrait une libération du Québec, non seulement sur le plan culturel, mais aussi les plans socio-économique et environnemental, tient à cœur à Léo Leclerc. Un Québec indépendant ne serait pas une perte de temps et d’énergie pour les autres grands enjeux de notre époque, mais plutôt un moyen de pagayer vers des solutions qui ne sont pas envisageables dans la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Cela s’applique pour le reste du Canada aussi, et même pour le reste du monde. « Militer pour l’indépendance du Québec, c’est aussi militer pour l’indépendance de l’Écosse, de la Catalogne, du Tibet, de la Palestine; c’est vraiment dépolariser le monde et faire du pouvoir populaire, c’est-à-dire localiser le pouvoir, comme ça on réagit mieux aux enjeux. »

« Quand on pense qu’on est juste nés pour un petit pain, on ne s’offre pas la possibilité de concevoir un pays ou de devenir quelque chose qui nous permettrait de s’auto-déterminer en tant que peuple » souligne Marc Alexandre, qui trouve dommage que beaucoup pensent que ce combat identitaire soit dépassé.

« C’est vraiment pas un truc auquel je pense à chaque soir »

– Maia Day

En conclusion, le débat pour l’indépendance n’est pas réglé, et peut-être ne le sera-t-il jamais : ce qui est sûr, c’est qu’il est primordial d’en parler, car au-delà de constituer un pan important de notre histoire, il met en question notre identité entière. Ces quelques entrevues ne me permettent certainement pas de dresser le portrait de notre génération, mais je ne crois pas me tromper en disant que plusieurs Québécois ne renient pas leur culture, mais choisissent de la faire passer en deuxième, au moins pour l’instant. Est-ce le signe qu’on est colonisés, ou juste empathiques et conscientisés par le monde en entier? En tous cas, c’est certainement signe qu’on veut agir maintenant et qu’on cherche de tous bords tous côtés ce qu’on peut faire pour que tout aille mieux.

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