Note : Les opinions exprimées n’engagent que l’auteur-e du texte et ne reflètent pas la vision du journal étudiant « L’Exilé ».

Lors de son discours d’ouverture de la nouvelle session parlementaire le 19 octobre dernier, le premier ministre François Legault annonça son intention ferme de mettre un frein à tout projet d’exploration pétrolière au Québec étant donné l’impératif que représente la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Bien que cette décision semble plaire à la plupart des députés de l’Assemblée, une nouvelle question demeure débattue : faut-il dédommager les détenteurs des permis d’exploration pétrolière que Québec leur vendit autrefois?
Déjà plusieurs compagnies commencent à réclamer auprès du gouvernement un remboursement de leur permis représentant une superficie totale d’environ 32 000 km2 au Québec.
Ce genre de procédures furent observées bien avant que le gouvernement du Québec annonce la fermeture générale de tous les projets d’exploration. Par exemple, dans le cadre du projet Hydrocarbures Anticosti (5), 62 millions de dollars furent réclamés par les entreprises concernées lorsque Québec fit volte-face fin 2016. La province avait finalement renoncé à ce plan visant à développer l’exploitation d’hydrocarbures sur cette grande île située dans le golfe du Saint-Laurent. De plus, ironiquement, Québec avait lui-même investi plus de 30 millions de dollars à partir de 2014 dans Hydrocarbure Anticosti, ce qui fit indirectement grimper la facture pour les contribuables de l’époque. Ainsi, cette marque indélébile du passé est à présent brandie par les compagnies pétrolières comme un argument supplémentaire leur permettant d’intenter en toute légitimité un procès contre la province.
En conséquence, en décidant de ne pas rembourser ces compagnies afin de sauver l’argent des contribuables, tel que le préconisent le Parti Québécois (PQ) et Québec Solidaire (QS), le gouvernement risque de faire l’objet de nombreuses poursuites judiciaires potentiellement plus couteuses que le dédommagement initialement demandé.
Cependant, tenir tête aux grandes pétrolières n’aurait pas non plus que des inconvénients. Tout d’abord, il y a une certaine probabilité que les entreprises en question ne gagnent pas leur cause dans le cas d’une poursuite judiciaire contre Québec. Le pouvoir d’instaurer de nouvelles normes environnementales dont dispose la province permettrait à cette dernière de rendre les projets d’exploration ou d’exploitation contraire à la loi. Ensuite, en refusant de rembourser les pétrolières, quitte à débourser davantage dans un procès, l’État affirmerait d’un point de vue symbolique la prééminence du contrat qui le lie au peuple sur celui passé avec des instances privées. D’ailleurs, témoignant de l’opinion dudit peuple, selon un dernier sondage mené pour l’initiative écologiste le Pacte, 85% des Québécois de la province sont d’avis que la crise climatique est un enjeu de plus en plus prioritaire (2). Le gouvernement a pour vocation de représenter la population et, dans une certaine mesure, pour devoir de combler les besoins essentiels des citoyens. Or, en cautionnant l’industrie pétrolière par son remboursement, Québec contribue indirectement à l’aggravation de la crise climatique qui privera éventuellement les jeunes Québécois et Québécoises de conditions de vie supportables. Enfin, en agissant ainsi, le gouvernement participe activement à la concentration des richesses dans les mains de quelques particuliers. De plus, les employés ayant pu potentiellement travailler sur ces chantiers d’exploration et éventuellement d’exploitation pétrolière perdent une opportunité de travail qu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, substituer.
En somme, bien qu’il comporte son lot de désagréments, le choix du remboursement des 180 permis d’exploration pétrolière à leurs détenteurs semble le plus avisé si l’on tient compte du prix exorbitant que représenterait un éventuel procès.
Cependant, ce scénario n’est envisageable que si, et seulement si, les entreprises pouvant être dédommagées s’en tenaient à réclamer une somme équivalente au prix du permis qu’elles détiennent. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Effectivement, en plus du permis, quelques compagnies souhaitent ajouter à la facture de Québec une valeur approximative du profit éventuel qu’aurait dégagé l’exploitation des hydrocarbures dans leur zone d’exploration. Une telle demande ferait grimper la somme due par l’État qui ne se compterait donc plus en millions, mais bien en milliards de dollars (4).
Par exemple, Ressource Utica (3), une compagnie possédant 29 permis d’exploration d’hydrocarbures pour une superficie de 4400 km2, initia récemment ce genre d’action en justice à l’endroit de Québec dans laquelle elle a gain de cause pour l’instant. Son président évoque justement une valeur de plusieurs milliards de dollars afin de décrire les actifs qu’il détient.
Cette dernière réclamation faramineuse de la part de certaines pétrolières n’est en aucun cas légitime étant donné que le permis qu’elles détiennent actuellement ne leur permet que d’explorer les ressources disponibles et non pas de les exploiter. En d’autres mots, d’aucune façon le feu vert ne fut donné à l’exploitation. Certes, une entreprise n’achèterait jamais un permis lui permettant d’explorer un terrain contenant potentiellement des hydrocarbures sans envisager d’exploiter ceux-ci à l’avenir. Or, d’un point de vue purement formel, les compagnies souhaitant exploiter les ressources n’en ont pas reçu la permission et ne pouvaient donc pas encore compter sur celles-ci comme une source de revenu anticipée et assurée. Cela se résume à de la spéculation détournée et malhonnête.
D’ailleurs, cette nuance entre exploration et exploitation fut aussi employée comme argument contre le remboursement des permis d’exploration des hydrocarbures. En effet, dans un article du Devoir de 2011 (1), l’avocat et président de Nature Québec à l’époque, Michel Bélanger, démontrait qu’il n’était point nécessaire de dédommager ces permis. Cette opposition avait été exprimée dans la foulée de l’arrêt d’un projet d’exploration, cette fois-ci, dans l’estuaire du Saint-Laurent qui avait donc mené à la révocation de plusieurs permis la même année. Le plus étonnant dans cette affaire est non pas que le gouvernement ne remboursa aucun des permis annulés et encore moins de valeurs d’actifs, mais plutôt que les compagnies concernées se firent beaucoup plus timides qu’en ce moment concernant le recours à la justice contre la province.
Ainsi, le « versement d’une indemnité fixée d’après la valeur du bien exproprié et du préjudice causé » évoqué par l’avocat de Ressources Utica n’est que de la poudre jetée aux yeux du gouvernement et des citoyens.
De plus, comme si ce n’était pas suffisant, le Centre québécois du droit de l’environnement affirme actuellement que le gouvernement a tout le droit de refuser d’offrir une compensation en échange des permis révoqués du moment que la loi empêchant l’exploration des hydrocarbures sur son territoire soit claire.
Il faudra donc que la population redouble d’attention, quitte à faire preuve de méfiance, lors de la formalisation de ce règlement de compte. Aucun remboursement ne doit être toléré. Les Québécois et Québécoises ne doivent rien à une poignée d’hommes prêts à tout pour le profit, quitte à amputer la qualité de vie des générations futures.
Sources
(1) Bélanger, M. (22 juin 2011). Réponse à l’industrie gazière et pétrolière – Combien encore devons-nous payer? Le Devoir. Rerpéré le 30 novembre 2021 à https://eureka-vieuxmtl.proxy.collecto.ca/Search/ResultMobile/0.
(2) Léveillé, J-T. (5 novembre 2020) Le Pacte pour la transition boucle la boucle avec le sentiment d’avoir contribué à la prise de conscience du Québec face à l’urgence climatique. La Presse. Repéré le 30 novembre 2021 à https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2020-11-05/lutte-contre-les-changements-climatiques/le-pacte-est-mort-vive-le-pacte.php.
(3) Shields, A. (16 novembre 2021). Une pétrolière obtient gain de cause contre Québec. Le Devoir. Repéré lee 30 novembre 2021 à https://eureka-vieuxmtl.proxy.collecto.ca/Search/ResultMobile/4.
(4) Shields, A. (23 octobre 2021). Vers une sortie couteuse. Le Devoir. Repéré le 30 novembre 2021 à https://eureka-vieuxmtl.proxy.collecto.ca/Search/ResultMobile/0.
(5) Sioui, M-M. (29 juillet 2017). Anticosti : 115 millions déboursés, pas une goutte de pétrole. Le Devoir. Repéré le 30 novembre 2021 à https://eureka-vieuxmtl.proxy.collecto.ca/Search/ResultMobile/6.