Par Édouard Bernier-Thibault

Portrait de la mobilisation et des évènements de la semaine de grève du 22 au 25 mars.
Que reste-t-il de la mobilisation et de l’esprit de 2012 dans le monde étudiant du Québec?
Aujourd’hui, certaines personnes jugent que l’implication politique n’est plus ce qu’elle était. Elles considèrent la communauté étudiante plutôt désordonnée et démobilisée dans son état présent.
Toutefois, des enjeux pressants comme la justice climatique pousse plusieurs personnes aux études à s’engager, comme le montre les nombres impressionnants de jeunes qui vont manifester à ce sujet.
Dix ans après 2012, la collectivité étudiante est-elle capable de retisser et de renforcer ses liens de solidarité pour demander une éducation accessible, libre et émancipatrice? La gratuité scolaire est-elle encore un projet pour lequel elle est prête à se battre? La communauté étudiante peut-elle être, encore une fois, un agent de changement dans la société?
C’est pour répondre à ces questions que j’ai documenté mon expérience et celle de mes camarades de l’AGECVM pendant les journées de grève du 22 au 25 mars. En essayant de m’impliquer comme je le pouvais, j’ai observé certains phénomènes, j’ai échangé avec plusieurs personnes, j’ai eu certaines réflexions et j’ai cru apercevoir certains enjeux. Le présent article a pour but de contribuer autant que possible à la construction (ou reconstruction) d’une communauté étudiante plus informée et plus solidaire.
Mise en contexte
Après un long et ardu processus d’adoption des mandats de grève pour le 22 au 25 mars, je me demande à quel point la préoccupation des étudiant-e-s pour des enjeux sociaux est importante. Est-ce que les étudiant-e-s sont prêt-e-s à faire des sacrifices pour améliorer leurs conditions de vie, pour changer la société? Je suis sorti de l’Assemblée générale du 11 mars avec une grande motivation pour les évènements à venir, mais une certaine préoccupation par rapport au réel désir d’engagement de la communauté étudiante…
Durant la semaine de relâche, j’ai essayé de m’impliquer comme je le pouvais dans le comité de mobilisation, qui a comme mandat principal de sensibiliser, mobiliser et coordonner les collégien-ne-s à propos de leurs intérêts et droits. J’y ai rencontré des personnes exceptionnelles qui se dédient et s’épuisent à essayer de faire bouger notre grande collectivité étudiante. Tout ce qui s’est déroulé durant la semaine de grève est en grande partie le fruit de leur travail.
Lundi 21 mars
Le lundi n’est pas une journée de grève, mais la mobilisation est déjà en marche. Après avoir terminé la bannière pour la grève le dimanche soir, le comité de mobilisation travaillent toute la journée pour informer les étudiant-e-s de ce qu’il allait se passer cette semaine.
Un membre du comité Envieuxronnement et moi-même sommes aller visiter les associations étudiantes de l’Université de Montréal pour coordonner des actions communes. À notre déception, plusieurs ne sont pas en mesure de nous suivre cette semaine. Celles qui ont voté des grèves ont déjà planifiés des évènements au même moment que les nôtres. Je ne peux m’empêcher d’être légèrement frustré par cette situation. Nous sommes toutes des personnes en grève, qui sont mobilisées et à peu près en accord sur les mêmes idées, mais nous n’arrivons pas à nous coordonner pour agir ensemble.
Peu importe, la mobilisation au CVM s’est bien déroulée. Tout le monde se prépare pour les quatre jours de piquetage qui vont suivre.
Mardi 22 mars
5h du matin, réveil difficile. Je me dirige péniblement vers le Cégep. Plusieurs personnes sont déjà présentes à mon arrivée. Le contact avec les autres collégien-ne-s et l’ambiance du piquetage me remontent tout de suite le moral. Je me rends compte rapidement que je l’ai bien facile avec mon réveil à 5h. D’autres ont dû se lever beaucoup plus tôt pour être au piquetage. « Après la défaite de l’AG du 10 mars, c’est beau de voir que plusieurs personnes sont présentes ici ce matin pour soutenir la grève », dit une amie et étudiante en Sciences humaines. Effectivement, je me suis dit que le nombre impressionnant de personnes au piquetage remettait peut-être en question au moins en partie le discours de certains sur la dépolitisation des jeunes.
Après la déclaration officielle de grève, plusieurs personnes sont venues en aide aux associations de l’UQAM, afin de les assister pour leur piquetage. L’expérience est intéressante, mais tumultueuse : nous faisons face à deux personnes violentes qui tentent de briser notre piquetage de force. Une d’elles frappe un étudiant du CVM. Malgré cela, le piquetage tient bon et ces évènements nous ont remplis d’énergie pour la suite.
L’évènement principal de la journée est la manifestation pour la gratuité scolaire, qui commence à 13h à la Place du Canada et termine au parc Émilie-Gamelin. Avant la manifestation, plusieurs organisations militantes sont présentes pour distribuer leurs pamphlets, vendre leurs livres et revues ou même pour recruter de nouveaux membres. À un moment, je me suis dit qu’il est un peu absurde d’avoir toutes ces organisations progressistes et anticapitalistes, mais divisées et même parfois presque hostiles les unes aux autres pour ce qui apparaît à mes yeux comme des détails. Est-ce vraiment pertinent de se morceler autant quand il faut mener des combats ensemble pour avoir une chance de gagner nos luttes?
La manifestation est superbe. Même si le nombre de personnes n’est pas aussi élevé qu’à celle d’il y a dix ans, le niveau d’énergie est fort. On donne tout pour crier les phrases et les chants qui nous tiennent à cœur. Nous avons scandé ceux-ci toute la semaine. Même si on est fatigués, on sent le début de quelque chose de beau et on est prêt pour la suite.

Mercredi 23 mars
Le mercredi est moins chargé en événements. Après un piquetage moins populaire au Cégep et moins agité à l’UQAM, plusieurs d’entre nous se dirigent à un rassemblement pour la rémunération des stages devant le Consulat général d’Italie. L’évènement a lieu à cet endroit pour protester contre la condition particulièrement précaire des stagiaires dans ce pays, où deux d’entre eux sont morts récemment. Le collectif Un Salaire pour toustes les stagiaires milite actuellement partout au Québec, principalement pour la rémunération de tous les stages.
Jeudi 24 mars
À la suite du piquetage habituel, c’est au Cégep de Saint-Laurent (CSL) que plusieurs d’entre nous se dirigent pour les aider avec leur piquetage. Une fois sur place, le piquetage est terminé, mais cela m’a donné l’occasion de poser des questions à des étudiant-e-s du CSL pour voir quel est l’état de la mobilisation chez eux. J’ai eu la chance de discuter avec une étudiante en musique du collège qui m’a parlé des difficultés de l’organisation de toutes les personnes étudiantes. Cela était-il différent en 2012? Qu’est-ce qui a fait que plus de personnes se sont impliquées dans le mouvement étudiant?
À 11h30, un groupe composé majoritairement de cégepien-ne-s s’est réuni devant les bureaux de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) afin de protester contre ses tentatives d’affaiblissement des assurances collectives des associations étudiantes du Québec. L’occupation fut courte en raison de la pluie, et celle-ci s’est déroulé sans conflit avec la police ou la sécurité.
La journée s’est terminée en force, avec une manifestation de soir pour la rémunération des stages et la gratuité scolaire. La colère générale est palpable, les slogans sont plus vifs, mais il y règne quand même une ambiance positive. Ce qui en ressort avant tout est une frustration réelle, mais légitime, ainsi qu’un refus clair d’accepter la précarité étudiante.
Vendredi 25 mars
Cette quatrième et dernière journée de grève est à la fois triste et soulageante. D’un côté, l’élan de contestation que nous avons aidé à bâtir allait inévitablement perdre de la force après la fin de la grève. Cependant, la fatigue de tous est évidente; il est clair que nous avons besoin d’un répit.
Malgré tout, c’est dans une ambiance de fête que commence la manifestation pour la justice climatique, organisé par le comité du CVM Envieuxronnement. Musique, danse et chant sont au rendez-vous en attendant de se mettre en marche vers le monument George-Étienne Cartier, où va se donner un « teach-in » en début d’après-midi pour la solidarité avec les premiers peuples et la justice climatique.
Fin ou début?
Les évènements du 21 au 25 mars sont-ils des phénomènes isolés ou le début d’un mouvement? Difficile à dire pour l’instant, mais je souhaite sincèrement qu’ils soient le début de quelque chose de plus grand. Le monde ne manque pas de problèmes face auxquels il faut s’indigner. Il ne manque que des solutions, ou plutôt des gouvernements qui écoutent et appliquent les bonnes solutions.
Aujourd’hui, particulièrement, il me semble qu’il est plus que légitime de prendre une pause, de se questionner, de se rassembler et de perturber ne serait-ce qu’un peu le cours des choses pour éviter de perdre tout ce qui nous est cher. On dit parfois que si on ne s’occupe pas de la politique, elle s’occupera de nous. Détournons-nous donc un peu de nos devoirs, de nos bureaux, de nos maisons et de nos bébelles pour nous retrouver ensemble, pour nous rassembler et décider de ce que nous voulons et de ce que nous ne voulons pas!