Par Milli Noël
Montréal l’hiver, l’amour perdu, les déneigeuses, une conversation intime, le parc Lafontaine, le deuil.

Prière pour une mitaine perdue suit quelques personnes qui cherchent à retrouver leurs objets perdus dans les transports en commun. Nous assistons, cachés derrière la vitre du comptoir à la station Berri-UQAM, à des airs concernés, nerveux, échauffés. Les personnages fouillent désespérément dans des tas de clefs rouillées et de tuques abandonnées. Bientôt, nous quittons le métro pour aller chez ces personnages et connaître leur vie. Pendant 79 minutes, en noir et blanc, une question leur est posée :
« Qu’est-ce que vous avez perdu que vous voudriez ravoir ? »
Le documentaire a fait une deuxième sortie en salle l’hiver dernier, ayant été différé de sa programmation originale en 2020 en raison des mesures sanitaires. Prière pour une mitaine perdue est le sixième film du réalisateur Jean-François Lesage. Dans chacun de ses documentaires, il trouve ses personnages au moment du tournage, souvent dans des lieux publics. Après des études en droit et quelques années comme journaliste, il tombe en amour avec le cinéma chinois, déménage à Pékin et devient documentariste. Lesage fait preuve d’une curiosité allocentrée pour ses sujets et il croit à « l’idée que toute personne pourrait faire l’objet d’un documentaire ». « Je crois que la parole de chacun de nous peut être intéressante si on l’écoute : c’est une question de regard. »1 Le film gagne plusieurs prix dont celui du meilleur long métrage canadien au festival Hot Docs de Toronto, qui est reconnu comme le plus grand festival de documentaires en Amérique du Nord.
Rapidement, le film laisse tomber sa mitaine perdue et entre dans un univers psychologique: le deuil de ceux qu’on ne connait pas. Bien que le documentaire peint un portrait sociologique, voire philosophique, des peines et des amours de Montréalais.e.s, il est porté d’une incontestable poésie. L’objet perdu n’est donc pas le thème central du film, à la déception de certain.e.s, mais au réjouissement d’autres, puisque la suite en vaut la peine. Le sentiment de perte nous prend et on espère avec ces êtres qui nous sont devenu.e.s familier.ère.s un printemps plus doux. Doucement, les sujets ne se livrent plus à la caméra, mais entre eux; nous devenons observateur.trice.s de leurs conversations.
Marianne Polska excelle à la direction photo, le contrôle de la lumière est impeccable et aucun cadrage ne distrait des sujets. Grâce aux mouvements de la caméra et aux différents effets de mise au point, il nous est possible de voir celles et ceux qui ne parlent pas, mais qui écoutent, qui attendent de parler. Ces effets ne sont pas parfaits, certes, mais ils ajoutent à cette sensation de vraisemblance que le film apporte. Les séquences sont toutes assez longues pour nous donner le temps d’absorber toutes les subtilités de leurs conversations. Nous vivons leurs malaises, leurs amours, leur tristesse, leur solitude et leur empathie.
Des plans plus calmes s’emmêlent entre ces témoignages forts en émotions. Accompagnée d’une douce musique jazz, sous nos yeux se dévoile une nuit d’hiver montréalaise. Un rythme mélancolique est créé, le montage nous permet de faire introspection, à se demander si nous aussi nous avons perdu quelque chose qu’on aimerait retrouver. Durant une de ces scènes sans paroles, L’écharpe interprétée par Félix Leclerc joue. La neige et les patineurs du Parc Lafontaine valsent et on pleure un peu. C’est ici que Jean-François Lesage montre sa grande humanité, il nous laisse le temps de tomber en amour avec la parole d’un.e étranger.ère. Ces séquences sont très touchantes, voire thérapeutiques.
Note : ★★★★½
Le film n’est plus en salle mais il est possible de le regarder en ligne sur plusieurs plateformes de visionnement telles que celle des Cinémas Beaubien, du Par et du Musée ainsi que celle du Cinéma Moderne.
Cliquez ici pour visionner la bande annonce du film.