Danser ne suffit-il pas?

Le masculin est utilisé pour alléger le texte

L’étudiant au DEC en danse contemporaine ou en danse classique du Cégep du Vieux Montréal (CVM) doit faire ses trois cours obligatoires d’éducation physique, bien que son entrainement dépasse les 25 heures par semaine. Les étudiants ne comprennent pas pourquoi on leur en demande autant et la complexité du dossier rend le sujet délicat pour les institutions scolaires.

Un refus du ministère

En janvier 2011, le département d’éducation physique du CVM demande au Cégep de créer un comité d’étude pour évaluer l’importance des cours d’éducation physique dans les programmes de danse. Dans le procès-verbal de la réunion du 7 avril 2011 de la Commission des études, qui est l’instance du collège qui donne avis au conseil d’administration concernant les programmes d’études et l’évaluation des apprentissages, on rend le verdict de l’analyse des programmes. Selon le comité de travail déployé à cet effet et le MELS (l’ancien ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport), « l’analyse de contenu des programmes a révélé que les éléments d’activité physique déjà inclus dans les grilles actuelles ne permettent pas d’atteindre les objectifs de la formation générale ».

La direction des études du CVM a donc intégré dans les deux programmes de danse les cours d’éducation physique dès l’automne 2012. Jusqu’à ce jour, les étudiants en danse étaient exemptés de ces trois cours, et ce, depuis le début de l’affiliation avec l’École de danse contemporaine de Montréal (EDCM) et l’École Supérieure de Ballet du Québec (ESBQ) dans les années 1990. La directrice artistique et des études de l’EDCM, Lucie Boissinot, dit que « lorsque le programme a été mis en marche en 1999 avec le Cégep du Vieux Montréal, il avait été convenu qu’étant donné le très grand déploiement d’énergie et l’activité physique inhérente à la pratique de la danse, les étudiants fréquentant l’École de danse contemporaine n’auraient pas besoin de suivre les cours d’éducation physique ».

Un dossier fort complexe

« Le dossier d’éducation physique à l’École de danse contemporaine de Montréal est un dossier fort complexe pour lequel j’ai déployé une énergie considérable », dit Lucie Boissinot. Lors de la commission d’études de 2011, elle a travaillé à démontrer les compétences acquises par les étudiants au sein de son école. Ceux-ci suivent, bien entendu, des cours de technique en danse contemporaine, mais aussi d’entrainement connexe et des cours d’anatomie. Elle a également voulu démontrer que les étudiants s’exercent en plus de leurs 2400 heures de formation.

En effet, quand on regarde les compétences ministérielles du programme de l’EDCM, on distingue des ressemblances avec celles des cours d’éducation physique au niveau collégial. Les critères de l’école de danse parlent de « maintenir une condition physique conforme aux exigences de la profession » et de « maintenir une hygiène de vie adaptée aux exigences de la profession ». L’analyse de la danse, la maîtrise d’exercices, la coopération de groupe et la gestion des blessures sont aussi dans les compétences ministérielles du programme en danse contemporaine. Les critères du ministère de l’Enseignement Supérieur, quant à eux, parlent d’« analyser sa pratique de l’activité physique au regard des habitudes de vie favorisant la santé, d’améliorer son efficacité dans la pratique de l’activité physique et de démontrer sa capacité à se charger de sa pratique de l’activité physique dans une perspective de santé ».

Lucie Boissinot considère que ses étudiants touchent à toutes les compétences des cours d’éducation physique. Elle trouve frustrant que ses élèves doivent ajouter cette charge de travail qu’elle considère déjà couverte par le programme.

Des conflits d’horaire

Pour compléter leur DEC, la plupart des étudiants en danse doivent faire leurs cours obligatoires au CVM. Certains en sont dispensés, car ils les ont déjà faits lorsqu’ils étudiaient dans un autre programme d’étude. Pour ceux qui les complètent, ces cours n’entrent pas toujours à leur horaire. Ils doivent donc être repris avec la formation continue en soirée ou en formule à distance durant l’été. Quatre cours obligatoires n’entrent pas dans la grille de cours, dont les trois d’éducation physique.

Par exemple, à la session d’automne passée, des étudiants de deuxième année en danse contemporaine devaient se déplacer chaque jeudi soir au Cégep pour assister à leur cours de yoga, alors qu’ils venaient de danser un bon nombre d’heures. Alec Charbonneau faisait partie de ce groupe d’étudiants : « On arrive chez nous et il faut directement aller se coucher pour se réveiller le lendemain à six heures pour être à l’école de danse à huit heures ». Il croit que le premier ensemble d’éducation physique, celui dédié au volet plus théorique des saines habitudes de vie, aurait suffi. Il assure que c’est le seul des trois qui l’a aidé à enrichir son programme. Alec pense qu’il faut revérifier les compétences que l’école de danse lui permet d’acquérir.

L’éducation physique est pour tous

Luc Phan, coordonnateur du département d’éducation physique du CVM depuis août dernier, ne connaît pas le cursus des programmes de danse, mais il considère que les cours d’éducation physique peuvent être un atout aux danseurs pour bonifier leurs apprentissages. « Le citoyen moyen, peu importe qu’il soit danseur, qu’il soit athlète professionnel, qu’il soit, je ne sais trop quoi, doit quand même avoir des notions de santé et de prise en charge, puis c’est ça qu’on essaie d’aller allumer ».

En tant que professeur, M. Phan est ouvert à la communication avec les étudiants en danse pour les aider à développer d’autres habiletés. Il ajoute que ceux-ci sont souvent appréciés par les professeurs d’éducation physique, parce qu’ils ont en commun un intérêt pour l’activité physique.

Solutions

Chantale Fortin, directrice adjointe aux études au CVM, était déjà à son poste lors de la gestion du dossier en 2011. Elle mentionne qu’en introduisant les cours d’éducation physique dans les programmes de danse, le cégep a essayé de trouver des pistes de solutions. Cependant, il a été difficile de trouver des accommodements entre les écoles de danse et le cégep. L’horaire des danseurs contemporains et danseurs classiques est souvent différent et le nombre d’étudiants dans ces programmes varie d’année en année. Il est donc plus ardu pour le cégep d’offrir des cours qui seraient dédiés aux étudiants en danse.

Un cours intensif d’éducation physique avait toutefois été mis en place par le CVM à la demande des programmes de danse. Les classes se penchaient sur l’entretien physique, l’activité aquatique et la gestion du stress, des sujets pertinents pour les danseurs. Les étudiants pouvaient donc compléter l’un des trois cours pendant trois semaines avant le retour de la session d’hiver. La priorité des inscriptions était donnée aux danseurs, puis aux autres élèves si le cours ne comptait pas assez d’étudiants. Cette formation intensive a toutefois été mise en arrêt en raison de l’absence de candidatures de professeurs pour donner le cours ainsi que la situation pandémique. Luc Phan ne refuse cependant pas la possibilité de réinstaurer l’intensif si la situation le permet.

Malgré tout, en apprenant l’existence de cet ancien cours intensif, l’étudiant Alec Charbonneau ne se verrait pas quitter ses vacances qu’il juge nécessaires pour sa santé physique, pour compléter intensivement un cours d’éducation physique.

Le dilemme entre l’art et le sport

Lucie Boissinot mentionne que le grand public ne sait pas nécessairement ce qui se passe derrière les quatre murs de son école. « Le danseur est comme un sportif d’élite, mais qui travaille aussi d’autres dimensions de son être », dit-elle.

Les programmes de danse contemporaine et de danse classique du CVM ne forment pas des danseurs compétitifs, mais bien des danseurs de prestations scéniques. Par conséquent, les interprètes en danse qui ne font pas de compétitions ne sont pas catégorisés comme des sportifs d’un point de vue sociétal. Les danseurs compétitifs ont, quant à eux, une récente fédération qui cherche à les promouvoir en tant qu’athlètes.

Même si l’équivalence des cours d’éducation physique est une question de comparaison entre les compétences ministérielles des écoles de danse et celles de ces cours, la vision populaire du monde de la danse reste un biais que peuvent avoir les instances gouvernementales envers les programmes de formation de cette discipline.

Rouvrir le dossier ?

Lucie Boissinot reste toujours intéressée par le dossier concernant les cours d’éducation physique, une bataille qu’elle a laissé tomber par « fin de non-retour ». La reconnaissance de l’entrainement physique de ses élèves est un aspect auquel elle accorde une grande importance.

Luc Phan, quant à lui, est ouvert à une reconsidération du dossier d’éducation physique chez les danseurs. La demande est au-delà de ses fonctions et lui seul ne peut garantir l’opinion de ses collègues à ce sujet.

Il faudrait donc que des représentants de l’École de danse contemporaine de Montréal et de l’École Supérieure de Ballet du Québec redemandent une évaluation de leur programme par le ministère de l’Enseignement Supérieur et que le Cégep du Vieux Montréal soutienne la cause dans la mesure du possible.

%d blogueurs aiment cette page :