
Ce matin, en prenant le métro, j’ai fait la rencontre d’un itinérant. Cette confrontation a réveillé en moi, au cours de ma journée, quelques réflexions d’inspiration marxiste, les voici réunies…
Dans une économie libérale, l’individu doit payer une somme précise déterminée par le vendeur pour avoir accès à un bien ou à un service. Cette somme est fixe : elle ne varie pas en fonction du pouvoir d’achat des personnes ou de la nécessité du produit. L’intérêt des vendeurs est donc priorisé au détriment du bien-être des gens.
Cette vision de l’échange se fonde sur la notion du don intéressé. Une personne accepte d’offrir un service à une autre si elle reçoit une rétribution dans l’immédiat. Cette conception de l’économie défendue par les libéraux aurait pour avantage de pousser les individus à poser, dans leur intérêt direct, des gestes qui contribuent à la société, l’égoïsme étant perçu par ces penseurs comme plus naturel et accessible à l’être humain que l’altruisme.
« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage. »
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Chapitre II
Cette perspective sur le monde semble, sur papier, tout à fait rationnelle et en mesure de permettre l’épanouissement collectif; elle pose cependant problème lorsqu’elle est appliquée. Faisant l’éloge d’un égoïsme réfléchi, l’idéologie libérale pousse les communautés à se désolidariser. Une fois bien implanté, le capitalisme rend l’entraide désintéressée impossible du fait de l’incapacité des travailleurs à se la figurer, trop obnubilés qu’ils sont par les conventions marchandes et trop occupés à lutter perpétuellement pour leur survie individuelle. Dans une telle société, l’entraide et la solidarité n’existent plus, la plupart du temps, que dans la sphère privée.
Un homme s’y sait seul, car nul ne lui viendra en aide s’il ne peut payer. Suis-je le seul à y voir une forme terrible de violence sociale?
À mes yeux, la société marchande n’est rien d’autre qu’un énorme camp de rééducation. Chaque prix est une injonction à la production doublée d’une menace de disette. Chaque comptoir me dit : «Je me fous de toi, de tes désirs et de tes besoins. Je n’aurais aucun mal à te laisser mourir, que ce soit de faim ou de chagrin.»
Il incombe pour moi de remettre en avant la question des besoins humains et d’en faire une question politique plutôt qu’uniquement personnelle. Tout besoin devrait être d’intérêt public. Il faut aussi rétablir la notion de don désintéressé et arrêter de la présenter comme une fantaisie irrationnelle. Je suis d’avis que l’altruisme est dans l’absolu une forme d’échange plus efficace que l’égoïsme rationnel. La notion de mutualité défendue par les libéraux s’effectue dans l’instantané alors que la mienne, plutôt collectiviste, s’étend dans le temps. Je pense qu’il est normal qu’une personne en état de besoin n’aie pas toujours, dans l’immédiat, les moyens de rendre l’équivalent de ce qu’on lui offre. Il est, cependant, de notre devoir de faire tout ce qui est en notre possible pour son bien-être tout de même, sans quoi une personne en état de détresse réelle ne recevrait jamais d’aide. Cette personne qui a besoin d’assistance, c’est chacun d’entre nous à un moment ou à un autre. Nous avons donc tous intérêt à ce que, collectivement, nous venions dans l’immédiat à la rescousse des êtres qui le demandent. Ça, les libéraux l’oublient trop souvent.