Par Arsenii Pivtorak et Édouard Bernier-Thibault

Lespouère
Oh Demain, Pays lointain
Tu t’imposes pourtant sur ma journée
Pourquoi me fais-tu pleurer?
Je crains et je dois avouer
Je ne vaincs point mes peurs cachées
Ukraine! Que va-t-il t’arriver ?!
Pourquoi m’as-tu aussi fort attaché?
Baignée dans l’amour et la liberté
Je sors dans ce monde étranger
Je respire cet air de confort
Qui ne m’est point familier
J’ai grandi dans l’instabilité
J’ai dû m’habituer à l’idée
Que tu te fasses déchirer
Par qui? Par un « ami »
Pourquoi? Pour avoir osé?
Pour avoir osé prendre ta liberté
Pour avoir osé être toi-même
Pour avoir osé vivre même!
Malgré tous ces calculs inhumains
Tu restes là.
Tremblante, mais vivante
Malgré toutes ces blessures sur le corps,
Tu souris encore.

Introduction
Il est parfois difficile de suivre l’actualité des conflits ayant lieu en ce moment, et depuis beaucoup plus longtemps, entre la Russie et l’Ukraine. En reconnaissant l’indépendance autoproclamée des provinces pro-russes dans la région du Donbass le 21 février, et en brandissant ouvertement la menace de guerre le 22 février, la Russie de Poutine a franchi une nouvelle étape dans son annexion et sa volonté de contrôle de l’Ukraine. Plusieurs pays occidentaux comme les États-Unis et le Canada ont protesté de manière formelle contre ces actions, déclarant entre autres des sanctions économiques. Tout cela n’a pas empêché la Russie d’entrer en guerre ouverte contre l’Ukraine le 24 février, en lançant une opération militaire et procédant à des bombardements sur plusieurs villes ukrainiennes. En date du 27 février, le gouvernement ukrainien a affirmé un bilan de 352 civils depuis les débuts de l’offensive militaire de Moscou. La situation évolue constamment, mais il semble bel et bien que la Russie ait décidé de faire un autre pas vers le contrôle total de l’Ukraine et plusieurs ont bien peur que rien ni personne ne puisse l’arrêter pacifiquement.
C’est parce que cette courte présentation ne fait qu’effleurer la surface de cet enjeu et parce que je suis loin d’être un expert sur le sujet que j’ai demandé à Arsenii Pivtorak de m’accorder une entrevue pour en discuter. Vous pourrez lire son poème en introduction à cet article, mais je souhaitais l’interviewer pour savoir quelles étaient ses pensées par rapport à cette situation, considérant son intérêt et son lien intime avec le pays. Arsenii est née et a vécu en Ukraine jusqu’à ses 11 ans. Toute sa famille vit là-bas et iel a plusieurs amis habitant encore ce pays. Iel étudie en sciences humaines, dans le profil Questions internationales.
Échange avec Arsenii
Arsenii m’a parlé très tôt dans l’entrevue de comment l’Ukraine a été fréquemment divisé et déchiré par différentes puissances et différentes guerres. Tout particulièrement, Arsenii a souligné ce qu’iel appelle, pour résumer, le « mariage forcé » imposé entre l’Ukraine et l’URSS durant le 20e siècle. Ce qu’iel voit dans les évènements récents est une tentative forcée de retour à cet ordre passé:
« Pour l’Ukraine, l’existence commune dans un empire ensemble ou dans une union, sous un même État ou un même contrôle avec la Russie est un chapitre terminé. La Russie veut réviser l’histoire, retourner les choses comme elles étaient, mais les Ukrainiens n’en veulent pas. »
Malgré tous les troubles politiques qu’a vécus et que vit l’Ukraine, ce pays a toujours maintenu une culture, une identité et un esprit bien à soi, accompagné d’un nationalisme particulier.
« En fait, la particularité du nationalisme ukrainien c’est qu’il s’est développé sans État. […] Le nationalisme ukrainien se concentre beaucoup sur les gens, la société et la nature en fait. La raison principale de l’émergence du nationalisme en Ukraine qui a contribué à la chute de l’URSS était le désastre écologique de Tchernobyl. »
Sur la situation présente, Arsenii utilise des termes forts pour décrire les actions de la Russie envers l’Ukraine.
« Moi je vois ce qui se passe avec l’Ukraine en ce moment comme du néocolonialisme et du néo impérialisme. La guerre n’était pas inévitable. La guerre a été manufacturée par la Russie. Elle a été préparée soigneusement, autant par la propagande que par l’aspect militaire. »
Iel décrit ainsi la logique qui anime les actions de la Russie:
« La logique de la Russie est vraiment que si l’Ukraine ne nous appartient pas, alors elle n’appartiendra à personne, même pas aux Ukrainiens. Soit qu’elle existe en tant que petite minorité dans notre nouvel empire russe et que les Ukrainiens vont finir par se faire assimiler (…) ou que si l’Ukraine ne veut pas être avec la Russie, alors on va tout faire pour miner le pays dans les fondements. »
Arsenii m’a décrit les actions terroristes effectuées par la Russie, comme des attentats dans des villes causant la mort de plusieurs personnes, notamment pendant la crise de 2014 autour de l’annexion de la Crimée. Selon lui, le but de ces actions est de propager la peur et de créer de l’instabilité au sein de la société.
Iel m’a aussi parlé du rôle crucial que jouait la propagande russe, à la fois pour légitimer ses actions et pour se défendre de toutes critiques.
J’ai voulu questionner Arsenii au sujet de l’effet de la guerre sur le peuple et la société ukrainienne. Selon son expérience personnelle, il y a deux effets principaux sur la population. D’un côté, iel a remarqué que certains ont été mobilisés par la guerre, s’activant à renforcer la solidarité, la résistance et à propager l’intérêt ainsi que la fierté pour la culture ukrainienne. Par contre, la guerre eut aussi, voire surtout des effets plus négatifs.
« Je pense surtout aux jeunes, à mes amis, aux gens que j’ai connus; ça épuise. La guerre, ça épuise. La montée des problèmes de santé mentale, c’est criant. […] Les addictions aussi et les comportements dangereux, si on veut. Bref, la guerre ne passe pas sans effet. Il y a des choses positives que ça a peut-être apporté […] mais en même temps, il y a un grand prix à payer pour ça. »
Pour finir, j’ai demandé à Arsenii ce qu’iel pensait des réactions de la part des États ainsi que des organisations internationales face à l’invasion russe. Iel a commencé par me dire que la reconnaissance du problème par des instances internationales et de grands gouvernements est quand même une bonne chose. Le fait que ceux-ci critiquent la Russie et qu’ils préparent des sanctions économiques contre elle est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il est clair pour Arsenii que cela est gravement insuffisant.
« Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Ukraine ne pourra pas faire face à la Russie seule. […] Pourquoi est-ce que l’OTAN ou l’ONU ne pourraient pas mettre des troupes pour la protection des civils? […] Pourquoi est-ce qu’on attend qu’il y ait des vies perdues comme dans le génocide en Yougoslavie pour ensuite essayer d’agir? Ça va être trop tard, il va déjà y avoir des vies perdues. »
« Les sanctions économiques sont bonnes, mais sur le long terme. La guerre c’est ici et maintenant, pas dans 10 ans. Ce n’est pas suffisant pour sauver autant de vies, il faut un support militaire clair. »
Arsenii s’attriste du fait qu’on en soit rendus à ce point où la discussion et la diplomatie ne semblent plus possibles. Toutefois, considérant l’état des choses, l’Occident doit offrir le soutien nécessaire à l’Ukraine pour l’aider à résister et à combattre les armées russes. Pour iel, il s’agit d’un conflit non seulement autour de territoires, mais de projets ainsi que de principes politiques. Si l’Occident se considère défenseur des droits humains ainsi que de la démocratie, elle doit absolument le montrer en apportant une aide concrète au peuple ukrainien.
Les conflits entre la Russie et l’Ukraine ne risquent pas de finir de si tôt. En fait, cela va surtout dépendre des choix ainsi que des actions de chacune des parties, ainsi que de l’implication (ou non) des gouvernements comme celui du Canada et de la communauté internationale en général. Au niveau de la société civile, mon interlocuteur a mentionné l’importance de se montrer solidaire à la cause ukrainienne, en s’informant et en informant les autres sur la situation. De plus, il est possible de participer à des évènements ou des manifestations en appui à la cause ukrainienne à Montréal, en restant à l’affût sur les réseaux sociaux notamment. L’implication citoyenne est certainement limitée pour ce qu’elle peut sur ce genre d’enjeux internationaux, mais elle est tout de même importante. C’est un acte fort de s’opposer et de dénonçer les injustices, peu importe où elles se font et qui elles frappent. « Injustice anywhere is a threat to justice everywhere », a dit Martin Luther King, montrant l’importance de la dénonciation et de la lutte constante pour la justice, sur tous les fronts, pour tous les peuples et dans tous les lieux.