Loin des yeux, loin du cœur

Un des facteurs clés du maintien de la violence sociale me semble être la tendance des groupes dominants à tout faire pour ne pas voir le mal qu’ils font. Que ce soit par la mauvaise foi ou en s’éloignant physiquement de leurs victimes, les bourreaux trouvent toujours le moyen de se pardonner les uns et les autres. Pour ce faire, on fuit la misère des quartiers tristes, on dénigre celui qu’on martyrise, on met la faute sur celui qui souffre et on se cache les yeux devant l’évident, le complexifiant jusqu’à en arriver à un flou rassurant.

Aussi, on délègue et on hiérarchise, de manière à ce que d’en haut on ait la joie de ne pas voir jusqu’en bas. On ordonne de licencier, d’exploiter, de voler, de négliger des inconnus. Ne sous-estimez pas l’ignorance de ceux qui font le mal: plus on est haut, plus on peine à voir. Peut-être parce que plus on l’est, plus on se sait coupable et que la plupart des hommes et des femmes, étant lâches, ne sont pas prêts à l’accepter. Peut-être qu’ils ne sont pas lâches, peut-être qu’ils sont seulement faibles. Cela prend beaucoup de force, en effet, que d’accepter ses propres torts. Cela prend aussi beaucoup de courage pour confronter le mal qui est en nous.

L’être humain est par nature social, il est donc moral. En effet, considérant que nous dépendons tous les uns des autres pour notre survie, nous n’avons pas d’autres choix que chercher à bien se traiter mutuellement. Pour cela, il nous est nécessaire de déterminer collectivement ce qui est bien et ce qui est mal d’où la morale. La perception qu’un homme se fait de lui-même dépend donc étroitement de celle que les autres se font de lui et donc de sa manière de les traiter. Il n’y a rien de pire pour quelqu’un que de prendre conscience du fait que, par ses actions, il maltraite une autre personne directement ou indirectement parce que de cette situation peut résulter le rejet de la part de ses pairs… La honte et la culpabilité sont des sentiments douloureux, ce qui explique les différents stratagèmes que certains utilisent pour les éviter. Peut-on blâmer des gens de vouloir éviter la souffrance? On ne le peut pas vraiment. Cependant, comme on l’a vu plus tôt, l’évitement est à la base de la reproduction de la violence sociale. On doit donc lutter contre celui-ci et encourager les individus à accepter l’existence du mal qu’ils font, de manière à ce qu’ils puissent tranquillement changer leurs comportements et les structures qu’ils perpétuent.

Mais comment encourager quelqu’un à accepter ses torts? Premièrement, il faut reconnaître que le mal est une partie intégrante de l’humain sans pourtant être une fatalité. Le mal est donc quelque chose qui fera toujours partie de nous, mais que nous pouvons collectivement apprendre à contrôler et dont nous pouvons éviter la manifestation. Le mal est donc en nous tous sous une forme ou une autre : il n’y a alors pas de honte à en déceler une part en soi à l’occasion. Trouver le mal en soi ou se découvrir coupable doit être vu comme un bien parce que le fait qu’on prenne conscience de cela nous permet d’éviter qu’il n’empoisonne la réalité, ou autrement dit, qu’il fasse souffrir les êtres qui nous entourent à l’avenir.

C’est notre devoir de faire ce travail d’introspection si nous voulons vivre dans un monde meilleur. Cependant, ça ne suffira pas, nous devons donc continuer à militer pour conscientiser nos pairs aux inégalités et aux injustices qui nous indignent. Heureusement pour nous, la lutte est une joie quand elle se fait au nom d’un idéal de justice. Nous, passionnés, ne devons pas, au nom de la lutte, abandonner nos principes de bonté quand il est question de traiter avec nos ennemis. Notre rage a beau être légitime, nous ne devons pas céder aux tentations de la vengeance, quitte à détruire nous-même ce que nous cherchons à construire. Nous sommes enragés contre l’injustice, non pas contre des hommes. C’est en montrant que la solidarité et le pardon sont plus forts que la haine et la peur que nous vaincrons. Toujours, il faut lutter.

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