Note : Les opinions exprimées n’engagent que l’auteur-e du texte et ne reflètent pas la vision du journal étudiant « L’Exilé ».

Facebook a récemment changé de nom pour « Meta ». L’entreprise a en même temps dévoilé son projet « Metaverse », qui consiste en une interface de réalité virtuelle. Metaverse serait un monde simulé dans lequel les usagés pourraient interagir entre eux et utiliser Internet de nouvelles manières. Cette simulation s’additionnerait au réel au moyen de la réalité augmentée. D’autres entreprises ont aussi pour objectif de créer de telles interfaces.
Mes inquiétudes face à cette annonce viennent entre autres des effets délétères des nouvelles technologies de l’information qu’on observe déjà aujourd’hui. Des études suggèrent notamment des liens entre les réseaux sociaux et les problèmes de santé mentale chez les adolescents. (1) On suspecte aussi les nouvelles technologies de l’information d’accentuer la polarisation politique et la prolifération des fausses nouvelles qui sèment la confusion et la discorde.
Je suspecte que la mise en place de métavers, dans lequels les usagés seraient encore plus immergés qu’ils le sont actuellement dans Internet, risquerait d’accentuer ces problèmes. Les réseaux sociaux et l’Internet jouent déjà un rôle important dans la conception que nous avons de la réalité, et les métavers pourraient donner aux entreprises et aux groupes qui les contrôleront (notamment les GAFAM*, qui disposent déjà d’un pouvoir politique considérable et qui échappent en grande partie à la tutelle des États (2)) encore plus d’emprise sur nos consciences en leur donnant le contrôle absolu sur le monde virtuel dans lequel nous vivrons. À mes yeux, les métavers et l’influence qu’ils octroient aux géants des technologies ne présagent rien de bon concernant nos libertés.
On sait que les grandes entreprises du numérique se servent de leurs produits et de leurs interfaces comme un moyen de recueillir les données personnelles des utilisateurs dans le but de les revendre à d’autres agents commerciaux. Ceux-ci s’en servent pour influer sur nos vies par l’entremise de publicités et de contenu ciblé sans même que nous en ayons conscience sur le moment. Ce système, basé entre autres sur les découvertes des sciences cognitives, est justement fait pour agir au-delà de nos capacités de perception. Nos libertés sont déjà menacées aux profits d’intérêts privés qui sévissent dans l’impunité, faute de l’impuissance actuelle des États. Dans ces conditions, pouvons-nous permettre à ces entreprises d’accaparer une part encore plus importante de nos existences ?
J’appréhende aussi le potentiel addictif de ces dispositifs, car le métavers de Facebook est vendu comme un endroit qui échappera aux contraintes matérielles et qui permettra aux êtres humains de s’épanouir en existant dans une forme d’utopie où ils pourront s’affranchir même des lois de la physique. On nous promet que cette technologie donnera aux humains les moyens de se construire un monde virtuel qui assouvira tous leurs désirs.
N’est-ce pas, en quelque sorte, la promesse d’un paradis artificiel, du moyen ultime d’échapper à la réalité ? N’y a-t-il pas une chance que certains d’entre nous se perdent dans ce monde chimérique en apparence si merveilleux, y trouvent un moyen de fuir leurs problèmes, s’y abreuvent d’illusions pour noyer leur malheur, s’y empiffrent sans jamais trouver réponse à leurs véritables besoins ? On connaît les mécanismes utilisés par l’industrie du jeu vidéo et les réseaux sociaux pour capter l’attention des utilisateurs, la maintenir et la prolonger : peut-être devrions-nous nous soucier que ceux-ci soient aussi employés au sein des métavers.
Ces technologies, présentées comme des moyens de rendre l’Internet plus humain, m’inquiètent. Je pense que ce nouveau système risque de nous détacher les uns des autres et de rendre nos vies moins humaines, plutôt que de nous rapprocher les uns des autres comme ses créateurs le prétendent.
Il me semble évident que de telles technologies ne seraient pas en mesure de répondre aux besoins psychologiques et physiologiques des êtres humains (pensez par exemple à l’enjeu de la sédentarité). Nous sommes des êtres de chair, des animaux sensibles. Rien ne pourra remplacer la chaleur humaine, la richesse des rapports interpersonnels en personne et les bonheurs provenant du monde réel. Rien ne me fait plus peur que la perspective de l’humanité qui perd la conscience du monde réel, de l’expérience charnelle et de la nature dont cette dernière est issue.
Quant au rêve d’un monde sans limite, purgé de toute souffrance et où tous les désirs pourraient être comblés, j’y préfère mille fois la réalité. Que reste-t-il du désir et du rêve s’ils sont toujours comblés? À vrai dire, ce serait à mes yeux un véritable enfer, tant cette existence serait absurde. N’y serions-nous pas perpétuellement confrontés à l’infini et à la solitude?
Un autre aspect choquant de Metaverse est qu’il est présenté comme une solution potentielle à la crise environnementale actuelle. C’est complètement grotesque, sachant qu’on ne connaît pas l’impact environnemental qu’aurait la mise en place de Metavers, ni l’empreinte écologique des systèmes qui seraient nécessaires à son fonctionnement, notamment sur le plan énergétique. Il est pertinent de souligner que Facebook (maintenant Meta) et ses partenaires ont pour but de faire des profits à partir de la vente des équipements et des infrastructures qui permettront d’utiliser leur métavers. Alors qu’on nous parle de dématérialisation et qu’on nous vend ces technologies comme écologiques, elles sont en fait fondamentalement matérielles. Elles reposent en effet sur l’extractivisme et contribuent directement aux cataclysmes écologiques en cours.
*Acronyme pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft
Sources
RSPH : Royal Society for Public Health, Young Health Movement (2017). #StatusOfMind : Social media and young people’s mental health and wellbeing Repéré le 1 décembre 2021 à https://www.rsph.org.uk/static/uploaded/d125b27c-0b62-41c5-a2c0155a8887cd01.pdf
Caouette, Dominique. Conférence d’Alain Deneault, 7 avril 2017, 56:01min, dans Youtube à https://youtu.be/Ci11k9omIdY
Meta. The Metaverse and How We’ll Build It Together — Connect 2021, 28 octobre 2021, 1:17:26min, dans Youtube à https://youtu.be/Uvufun6xer8
Fourneret, Eric. « Existe-il une structure de servitude volontaire dans les technologies de l’information et de la communication? », Sens Public, (2016), dans Érudit à https://www.erudit.org/fr/revues/sp/2016-sp063/1044382ar/
Alexander von Humboldt Institut für Internet und Gesellschaft. In a nutshell : Shoshana Zuboff : Surveillance Capitalism and Democracy, 8 septembre 2021, 17:54min, dans Youtube à https://youtu.be/5AvtUrHxg8A