Les études comme travail

Note: Les opinions exprimées n’engagent que l’auteur-e du texte et ne réflètent pas la vision du journal étudiant « L’Exilé ».

Il me semble évident que la scolarité est une forme de travail et j’aimerais qu’on la considère comme telle. Dans nos sociétés capitalistes modernes, le travail est en grande partie une condition d’accès aux moyens de vivre. On affirme que, pour mériter les bienfaits résultant de la vie en société, l’individu doit lui-même donner à la collectivité en contribuant à l’ouvrage. Peut-être existe-t-il un flou concernant ce qui est considéré ou non comme du travail, mais en général, on admet qu’il s’agit d’une activité productive impliquant un certain effort.

L’effort peut être défini comme la dimension « désagréable » du travail, en ce sens qu’il peut impliquer des formes momentanées de privations et d’inconforts physiques et mentaux. C’est donc l’aspect « souffrance » de la notion de travail. Qui a déjà étudié sait que l’éducation, malgré tout ce qu’elle apporte, implique ce genre de légers désagréments. Elle détient donc cette composante du travail.

Pour ce qui est de la première composante, l’étude est une activité productive puisqu’elle a pour caractéristique de développer chez l’individu des capacités et des connaissances qui lui permettent d’améliorer la productivité de son travail et l’organisation de la société. L’éducation, en plus de contribuer à l’épanouissement personnel, permet de faire évoluer les connaissances. Par le fait même, plus nous aurons d’individus à même de développer une pensée originale fondée sur la raison et les connaissances déjà acquises par la science, plus vite nous irons dans notre découverte du réel fonctionnement des choses et plus près sera l’humanité d’arriver à sa fin ultime, soit le bonheur de tous.

Je considère donc l’étude comme une forme de travail à part entière et m’indigne qu’elle ne soit pas considérée, alors qu’elle est pratiquée à temps plein, comme suffisante à légitimer l’accès aux moyens de vivre. J’œuvrerai maintenant à montrer quelles conséquences cette non-reconnaissance a dans nos sociétés capitalistes actuelles.

Cette situation a pour effet pervers de désavantager les étudiants ne disposant pas d’un capital familial par rapport à ceux qui ont cette chance. En effet, les malchanceux auront, en plus de leurs études, à assurer, par d’autres moyens que celui-ci, leur accès aux moyens de subsistance et à l’éducation, alors que les étudiants pouvant compter sur un bon héritage (j’entends par héritage, l’accès à des ressources monétaires d’origine familiale) auront moins à s’en soucier. Dans une telle situation, l’apprenant désavantagé est moins à même de se consacrer pleinement à ses études. Cela a un coût pour la société, puisque ces individus seront moins en mesure de développer les savoirs et compétences qui doivent leur permettre de contribuer plus efficacement au bien commun.

Nous sommes confrontés à un double problème, celui de la rétribution des études et la question de l’héritage. J’affirme que dans une société idéale, l’héritage serait en grande partie aboli, ou du moins égalisé, le bien-être serait assuré à chaque individu par la collectivité, en échange d’une contribution de l’individu au bien commun, sans qu’il y ait l’intervention d’une accumulation individuelle des richesses et de la transmission héréditaire de celles-ci. Il pourrait rester une forme d’héritage, cependant celle-ci ne prendrait pas la forme d’un capital financier, mais plutôt de quelques objets chargés d’une valeur sentimentale ou de manière plus immatérielle, d’une mémoire ou d’une sagesse.

Une de mes principales affirmations est que nous ne considérons pas aujourd’hui les études comme un travail. Je pense que dans les faits, il n’en est pas tout à fait ainsi : on prétend par moment qu’il ne s’agit pas d’une forme de travail, alors qu’à d’autres moments on l’admet comme telle, dans les deux cas quand cela arrange les élites économiques. Je ne crie pas au complot, mais propose qu’il s’agît d’une dynamique œuvrant dans notre système sans que les membres y prenant part en aient pleinement conscience.

On affirme un premier temps que les études ne sont pas un travail puisqu’elles ne concernent que l’individu (ce qui est faux, comme je l’ai démontré plus tôt) et que celui-ci ne les fait que dans le but d’améliorer sa condition future, qu’elles ne doivent donc pas être rémunérées. On affirme en même temps, dans le discours dominant, que les professions ayant nécessité plus d’études doivent être rémunérées en conséquence et donc que les études sont un travail. Finalement, on considère les études comme un travail méritant d’être payé a posteriori. Cette reconnaissance en différé des études comme une forme de travail a pour conséquence, comme mentionné plus tôt, d’avantager les étudiants disposant d’un capital hérité. Cette reconnaissance différée agit donc comme un filet socio-économique permettant la reproduction sociale des élites et des inégalités.

Comment ce système avantage-t-il les élites économiques? La reconnaissance a posteriori du travail qu’impliquent les études leur permet de légitimer en partie leurs hauts salaires. De plus, ce filtre a pour conséquence de leur favoriser l’accès à des emplois payants. Finalement réduire l’accès aux études et au savoir peut avoir un certain avantage pour les élites en place. En effet, une population moins éduquée est par conséquent plus facile à manipuler. De plus, plus un savoir est rare, plus ceux qui en disposent ont du pouvoir et sont en mesure d’imposer leur volonté.

Pour conclure, je pense qu’une rétribution monétaire aux étudiants postsecondaires serait un bon moyen de réduire les inégalités socio-économiques dans notre société, mais que ce moyen devrait être couplé à d’autres tels que des réformes de l’hérédité, des salaires et du droit de propriété.

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