Appel à la réflexion

Note: Les opinions exprimées n’engagent que l’auteur-e du texte et ne réflètent pas la vision du journal étudiant « L’Exilé ».

Édouard Bernier-Thibault

Réfléchir, c’est affirmer soi-même consciemment son besoin de recherche; recherche du bonheur, recherche de compréhension du monde, recherche de justice, etc., et d’essayer de le mener le plus librement possible. C’est de ne pas nier, ni d’essayer d’enlever le plus vite possible le poids qui est posé sur nos épaules, celui qu’on pose sur nos propres épaules en tant qu’humain. C’est d’accepter cette nécessité que nous nous posons de recherche de sens dans l’existence, sous tous ses aspects, et en l’acceptant, d’essayer de trouver son bonheur dans la réflexion consciente, dans la recherche pour soi et pour l’humanité en entier de réponse ainsi que de solution. Cette recherche, il faut la mener autant pour soi, pour vivre une vie dans la lumière, mais aussi et autant pour tous les autres, tous les enjeux, tous les tracas que nous avons autant pour nous que pour toute l’humanité. “Que dois-je faire? et “Que devons-nous faire?” (“nous” en tant qu’humanité) sont les questions ultimes et inséparables auxquelles toutes les autres se rapportent.

C’est aussi d’accepter la part absurde de cette condition qui est la nôtre. Nous nous posons un poids énorme sur les épaules, pourquoi se compliquer la vie avec ses questions, pourquoi s’imposer cette angoisse, pourquoi cherche-t-on désespérément comment être, comment agir? Si on va vraiment au fond de notre recherche de compréhension on ne trouve aucun vrai sens final. L’étymologie du mot «Philosophie» le dit assez bien; “Philos” (aimer ou avoir de l’affection) “Sophia” (sagesse), ceux qui mènent la recherche ultime de compréhension n’ont comme sens final… que l’amour de la connaissance, comprendre pour le bonheur de comprendre! Loin d’être les rigoristes et les ascétiques qu’on les présume parfois, les philosophes sont des êtres qui sont profondément animés par la passion, le « désir épistémique », qui est assumé et qui est pris le plus au sérieux que possible. Poussée à sa logique extrême, la recherche de compréhension n’a pas de sens, elle est tout simplement la tentative de satisfaction d’un désir, d’une passion.

C’est la passion la plus noble, la plus belle et la plus profonde de l’existence et même si on ignore trop souvent son appel ou qu’on laisse d’autres y répondre à notre place, elle est toujours là, toujours là pour nous rappeler que nous sommes faits avec cette pulsion magnifique de volonté, du désir insatiable et inépuisable de la connaissance ainsi que de la compréhension. Tant qu’on ne lui fait pas face, on ne pourra jamais être pleinement satisfait, pleinement heureux. En effet, nous sommes des experts pour éviter de faire face à nos questions importantes.

C’est parce qu’on a accepté ou inventé toutes sortes de réponses, toutes sortes d’excuses pour taire notre voix intérieure qui crie à l’incompréhension que nous ne ressentons plus se tourment, cette nécessité de questionner parfois épeurante, voir angoissante quand on ne sait comment procéder dans celle-ci. Rechercher la compréhension et de ne pas l’obtenir tout de suite est profondément souffrant, on accepte bien vite de mettre fin à cette souffrance pour « comprendre » sans réfléchir soi-même. Ainsi, on est prêt à accepter les réponses simplistes, les idéologies, les dogmes, les normes, les codes, les lois qu’on nous véhicule ou qu’on nous impose.

La réflexion rationnelle et rigoureuse s’apprend, et malheureusement, trop peu l’apprennent ou l’appliquent. Cette absence de réflexion rigoureuse, combinée avec notre recherche de compréhension et d’explication innée est la racine de beaucoup des maux de l’humanité; la création de superstition, de dogme, de mysticisme n’est rien d’autre que la meilleure manière que les humains ont trouvé pour cesser leurs angoisses de compréhension et\ou de chercher à manipuler les autres en reconnaissant et utilisant ce trait humain pour justifier des actions, du pouvoir, de la domination, etc. La première étape de la recherche de compréhension est de se réapproprier ce processus, de le mener soi-même par notre propre capacité universelle à la rationalité avec le moins d’influence, d’intérêt ou de volonté autre que celle de soi ainsi que de l’objectivité. Ainsi l’angoisse d’autrefois face à la quasi-infinité de questions non répondues devient un optimisme et un sentiment de puissance infinie, puisqu’on se dote des outils pour percer les mystères de l’univers, du monde, de la société, de nos relations et de nous-mêmes. Se défendre intellectuellement, c’est d’affirmer un plein contrôle sur ses propres actions et positions, ne reléguant à rien ni personne la tâche de réfléchir ainsi que de connaître. 

L’enfant possède le germe de toute philosophie, il est rempli de questions et sa curiosité n’a pas de borne, mais il est incapable d’arriver à ses propres conclusions, ou du moins à réfléchir rigoureusement. Le philosophe n’est rien d’autre que celui qui ravive la merveilleuse curiosité qui nous animait tous naturellement quand nous sommes venus au monde, en lui apportant les outils et les méthodes de la pensée rationnelle.

Bref, c’est dans le fait de réfléchir que nous affirmons véritablement notre humanité, notre recherche de compréhension, à la fois dans sa dimension concrète et appliquée, pour le bien, pour le juste, pour le mieux, que dans sa dimension absurde, que nous devons accepter, de laquelle nous devons être capable de rire, et que nous devons vivre pleinement; pleinement dans l’amour de la sagesse, de la compréhension et du fait même, de la réflexion. Celle-ci n’est pas facile, elle demande de la rigueur, de la méthode, du temps, de l’humilité face à ses présupposés et ses croyances infondées, mais elle est ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, elle est le bonheur le plus pur en action, elle est la satisfaction de notre plus grand désir, de notre plus grande passion; comprendre pour savoir et pouvoir agir ainsi que comprendre pour le bonheur, l’amour de comprendre en soi. 

Vie donc dans cette passion, dans ce désir! Goinfre toi de philosophie, de littérature, de nourriture pour l’esprit, puisque ce n’est pas une tâche de réfléchir, c’est une délivrance de toute incompréhension, de toute angoisse, de toute idéologie et tout dogme extérieur. C’est une affirmation de soi comme être pensant, comme être humain …

Que demander de plus, ou exiger de moins pour le bonheur?

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