Depuis l’an 2000, Marc Cassivi et Marc-André Lussier couvrent tous les deux le festival de Cannes. Pendant douze jours à chaque année, ils visionnent plusieurs films qui vont sortir en salle quelques mois plus tard et regardent une compétition qui, à la fin, va attribuer une récompense convoitée : la Palme d’or. Les deux journalistes publient un livre pour raconter leur festival, pour raconter « Cannes au XXIe ».
Dans ce livre dont le nom est doré s’inscrit sur la page couverture (un bel objet), les deux journalistes se remémorent les éditions des vingt dernières années. Ils n’ont sauté que celles de 2003 et 2020 (la COVID-19 a eu raison de cette dernière). Une sélection officielle a tout de même été faite. Ils ont couvert ensemble pendant plusieurs années, mais dorénavant, le festival est couvert en alternance. Cassivi une année, Lussier l’année d’après et ainsi de suite. Cette année, cela sera au tour de ce dernier d’effectuer le voyage, dans un contexte (pour le moins) différent et incertain. Pourquoi Cannes en particulier ? Parce qu’une sélection à Cannes est beaucoup plus prestigieuse comparativement à celles des autres événements du même type comme à Venise ou Toronto.
En entrevue avec L’Exilé, les deux journalistes expliquent que l’idée derrière ce livre est de souligner le fait que depuis 20 ans, ils couvrent tous les deux le festival. Cela fait partie d’une « obsession des chiffres ronds », explique Marc Cassivi qui ajoute que c’est une « boucle intéressante à boucler ».
L’idée de raconter ce qu’ils ont vu depuis leurs débuts là-bas. Comme le décrit Marc-André Lussier, « bien des choses ont changé en vingt ans ».
Vingt ans, c’est l’occasion de faire une rétrospection et de se demander ce qui a changé depuis deux décennies. Lussier affirme sans hésitation que les réseaux sociaux ont eu un effet déterminant sur la critique. Côté cinéma, l’arrivée de plateformes comme Netflix a fait changer les choses dans le milieu du cinéma. Un débat a par ailleurs déjà eu lieu il y a quelques temps à Cannes. Selon les règles de l’événement, un film faisant partie de la fameuse sélection officielle doit être obligatoirement être présenté en salle. Voir un film sur un grand écran, est une expérience qui est fortement différente comparativement au visionnement d’un film sur un ordinateur ou un écran de télévision. Rédigé par Marc Cassivi, le chapitre intitulé « La polémique Netflix », qui aborde l’édition de 2017, résume très bien toute l’histoire entourant ladite plateforme — histoire qui n’est pas encore terminée d’ailleurs. Cassivi croit que la pandémie marquera le milieu cinématographique, tant du côté du festival que dans l’industrie au sens large. Une question se pose même aujourd’hui : « Qu’est-ce qu’un film de cinéma maintenant? »
Lussier cite, à titre d’exemple, Roma d’Alfonso Cuarón (2018) : « Cela a beau avoir été produit par Netflix, ça reste un grand film de cinéma même si la plupart des personnes l’ont vu sur la plateforme que sur grand écran. »
« Il y a eu des années moins inspirantes que d’autres » affirme M. Cassivi. Les années où des films québécois — notamment ceux de Xavier Dolan — ont été sélectionnés l’ont beaucoup marqué. 2014, année où le film Mommy était présenté, s’est annoncé particulière : « Cela a été un film coup de cœur, c’est là qu’il s’est fait remarquer selon moi ». Présent lors de la projection, le journaliste a chronométré 12 minutes d’ovation. Il ajoute que la meilleure programmation qu’il a vue est celle de 2019, l’année du film Parasite de Bong Joon-ho notamment. Marc-André Lussier souligne que Dolan, encore jeune et peu connu de la scène internationale à l’époque, a fait fureur dès 2009. « Xavier sortait de nulle part et là il arrive avec son film. Il devient la coqueluche du festival ! C’est vraiment incroyable ! »
Une ambiance
Le livre permet également d’en savoir un peu plus sur ce festival prestigieux et sur l’ambiance qui y règne. « À Cannes, c’est particulier ! ». Côté journalistique, c’est un festival où « des journalistes peuvent donner leur avis vocalement ». Cela peut être un énorme silence à la fin d’une projection comme cela peut être une énorme ovation. Les deux journalistes ont un accès aux projections de presse et également aux projections officielles. Ils fréquentent principalement celles réservées à la presse, mais ils assistent également aux projections officielles dans des cas précis. Lorsque c’est un film québécois par exemple. Leur accréditation les aide beaucoup à accéder à ces dernières. Un passage du livre est consacré à la hiérarchie des « badges » qui existe au festival. Pour La Presse, le plus haut niveau de badge qui existe (le blanc) a été accordé à ses journalistes il y a quelques années maintenant puisque le média fréquente le festival depuis de nombreuses années. Bien avant le début des années 2000.
Il y a également les soirées auxquelles Marc Cassivi a surtout assisté. Ces soirées sont plus sélectes et le badge n’est pas du tout utile puisqu’une invitation y est obligatoire. Pour y assister, il faut développer des contacts. M. Cassivi dit qu’il ne s’est pas trop censuré dans le récit de ses soirées, certaines choses s’étant produites dans quelques de celles-ci ne se racontent pas trop dans un livre.
La population de Cannes est composée précisément de 73 965 personnes d’après les derniers chiffres sortis en 2018. C’est une petite ville tranquille au bord de l’eau et tout d’un coup, les limousines arrivent, les journalistes également. Selon les organisateurs du festival, ce sont plus de 4000 journalistes et de nombreux professionnels du cinéma qui sont présents à l’événement chaque année. Lorsque toutes ces personnes arrivent, c’est signe que le festival de Cannes est commencé. Dans le cas des deux journalistes qui nous intéressent, ils arrivent 48 heures à l’avance. Pourquoi ? En 2006, Marc-André Lussier est arrivé le jour même de l’ouverture et une annonce de dernière minute est arrivée : un visionnement de presse du très attendu film Da Vinci code est organisé. À la dernière minute. Depuis, les deux Marc arrivent à l’avance pour éviter ces mauvaises surprises. À leur arrivée, ils voient une ville tranquille. Ils ont déjà vu l’installation du fameux tapis rouge. Le jour du palmarès, il y a beaucoup moins de monde. Après le palmarès, c’est le calme après la tempête : le tapis rouge se fait retirer, des personnes partent et Cannes retrouve son statut de ville tranquille… Pour 365 jours.
Un festival prestigieux
Créé en 1946, Cannes est aujourd’hui l’un des festivals de films les plus prestigieux au monde voire le plus prestigieux. « Je pense que ce qui fait sa particularité, c’est son caractère exclusif. Il y a à peine une cinquantaine de longs-métrages qui sont sélectionnés contrairement à Berlin ou à Toronto qui en sélectionnent 350. À Cannes, une sélection c’est très prestigieux par rapport aux autres festivals. Et ça l’est encore. » affirme Marc-André Lussier. Marc Cassivi, quant à lui, se questionne sur l’effet qu’aura la pandémie sur le circuit des festivals: « Je me demande dans quelle mesure les habitudes des gens auront changé. On a vu aux États-Unis cette semaine que le box-office va mieux. Dans quelle mesure, les plateformes auront pris encore plus de place et est-ce que Cannes va s’adapter ou est-ce que Cannes va continuer à être le dernier bastillon qui résiste à l’envahisseur des plateformes ? Cela risque d’avoir un impact sur son avenir. »
Notre avis
Cannes au XXIe est un livre très intéressant, enrichi par le regard de deux journalistes d’expérience œuvrant dans la section culturelle de La Presse. Si vous êtes cinéphile, ce livre est assurément pour vous. Le livre énumère leur regard de vingt éditions. Comme écrit plus haut, en vingt ans, les temps ont énormément changé. La passion des auteurs — l’un d’entre eux utilise même le thème officiel du festival comme sonnerie de téléphone — transparaît dans chaque chapitre, à la fin desquels on retrouve d’ailleurs le palmarès des films de l’édition. Bref, il s’agit d’une excellente occasion d’en savoir un peu plus sur ce mythique événement.
Cannes au XXIe
Marc Cassivi et Marc-André Lussier
Publié aux éditions Somme toute
Disponible en librairie