Lancement d’un projet d’énergie éolienne innu

Invité : Mathieu Bernard Tardif

Le 4 février dernier, le premier ministre du Québec François Legault a annoncé en conférence de presse le lancement officiel du projet éolien Apuiat en collaboration avec la nation innue et la compagnie Boralex. L’ensemble de sa réalisation, qui comprend une cinquantaine d’éoliennes, offrira 200 mégawatts d’électricité distribuée en partie aux Innus et prendra place sur le Nitassinan de Uashat mak Mani-utenam. L’initiative représente un investissement de 600 millions de dollars sur un contrat de 30 ans. « Il s’agit du plus long contrat d’achat d’électricité de l’histoire de la province du Québec », nous explique le président de la compagnie Boralex Patrick Decostre.

Effectivement, le projet s’annonce historique pour le Québec puisqu’il découle d’une initiative innue. Apuiat a vu le jour en février 2015, au Sommet de la Nation Innue, où ses neuf communautés ont conçu le projet à des fins économiques. Par ailleurs, il faut mentionner que les Innus sont actionnaires de 50% du projet. Ils sont donc détenteurs d’un pouvoir décisionnel égal à celui de Boralex sur l’ensemble de sa réalisation. « Pour la première fois de l’histoire, nous sommes les promoteurs d’un grand projet de développement économique national », a mentionné Martin Dufour, le chef de la Première nation des Innus Essipit, fier de cette avancée autochtone sans précédent pour la province.

Apuiat a toutefois attendu longtemps avant d’avoir reçu le feu vert du gouvernement québécois. Malgré son approbation par les Libéraux sous Couillard à ses débuts, le projet s’est retrouvé gelé par François Legault sous prétexte que le Québec n’avait aucun besoin immédiat en matière énergétique. Ce n’est qu’à la suite de fortes pressions tant autochtones qu’allochtones que le gouvernement caquiste a signé l’entente.

Monsieur Legault dit avoir récemment signé un contrat avec l’État du Massachusetts pour exporter l’électricité que produira Apuiat. Il a aussi stipulé que le gouverneur Andrew Cuomo serait prêt à négocier un contrat pour desservir l’État de New York, donnant ainsi au projet un potentiel économique considérable autant pour le Québec que pour la nation innue et justifiant la signature de l’entente.

Le départ tardif du projet pourrait toutefois susciter un questionnement sur l’état des relations entre la nation innue et les autres partis impliqués. Le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Julien, a fait l’éloge du travail commun accompli avec les chefs innus Mike Mckenzie et Martin Dufour, soutenant l’idée que tous ont entretenu un dialogue ouvert et constructif. Cependant, il y a encore anguille sous roche.

En effet, le projet dans son ensemble créera 300 emplois pour la construction et le maintien des éoliennes. Mckenzie dit espérer que ces derniers échoient aux membres des communautés innues. Le président de Boralex ne souhaite toutefois pas divulguer le nombre d’emplois qui seront offerts aux Innus, et ce, malgré les pressions de Québec Solidaire et des Premières Nations.

Conséquemment, la décision ne relève pas des Innus, mais bien de son partenaire, Boralex. La compagnie prétend souhaiter offrir un maximum d’emplois aux membres des communautés locales, sans pourtant vouloir révéler ses réelles intentions. Bien entendu, lesdits postes requièrent des certifications et des formations préalables pour assurer le bon fonctionnement des éoliennes, ce qui rend difficile la recherche d’employés innus qualifiés. Il suffira d’attendre le dévoilement des objectifs d’embauche avant de pouvoir revisiter la question.

Il reste qu’en soi, le projet marque un remarquable pas vers l’avant pour l’autonomie de la nation innue. L’entente signée en février dernier offrira des redevances de 500 000$ par année à la communauté de Uashat mak Mani-utenam pour l’utilisation de son territoire. Les Innus jouiront aussi de la moitié de toutes les retombées économiques que produira le projet, et la somme sera répartie entre les neuf communautés. « C’est un projet synonyme d’autonomie et de possibilités pour nous », a dit, optimiste, le chef Mike Mckenzie en point de presse. Ces montants pourront être réinjectés dans les infrastructures locales par les conseils de bande innus et permettront à ceux-ci de profiter d’une autodétermination plus prononcée au sein de leur territoire, comme l’ont fait les Cris après la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ).

Effectivement, un projet énergétique de cette envergure nous rappelle celui qui s’est négocié en 1975. Les Cris de la Baie-James avaient revendiqué leurs droits ancestraux devant le gouvernement de Robert Bourassa et son projet hydro-électrique. Les négociations s’étaient étendues sur plusieurs années, résultant en une somme de plusieurs millions de dollars offerte aux Cris, un monopole sur la faune et la flore d’une partie du territoire touché par le projet hydro-électrique de même qu’une reconnaissance des activités de subsistance traditionnelles. Ces derniers ont également pu profiter d’une autonomie sur les décisions politiques au sein de leurs communautés — une première à l’époque.

D’ailleurs, depuis la CBJNQ, les Cris ont vu leur espérance de vie et leur revenu annuel augmenter. Ils ont aussi vu leur nombre de logements surpeuplés et leur taux de chômage diminuer. Ce sont des avancées sociales qui découlent en grande partie des négociations entretenues lors de la convention. Maintenant, est-ce que ces mêmes avancées se réaliseront pour autant chez les Innus avec le projet Apuiat? Difficile à dire, mais on peut à tout le moins espérer que les Innus verront leurs conditions de vie s’améliorer de façon similaire.

À noter aussi que le premier ministre Legault souhaite négocier l’enjeu des droits ancestraux comme l’ont fait les gouvernements précédents avec les Cris. Ces derniers ont dû renoncer à leurs droits ancestraux sur la terre compromise par les sites de construction des barrages en échange de redevances du gouvernement. Il est donc possible de supposer que le gouvernement actuel mobilisera ses ressources pour exiger des Innus qu’ils renoncent, eux aussi, aux droits que leur confère le statut de Premier Peuple sur le territoire qu’occupera Apuiat. Cependant, cet enjeu relève aussi d’une compétence fédérale. La nation innue devra donc aussi négocier la question avec Ottawa, un processus pouvant prendre quelques mois, voire quelques années. Toutefois, ces négociations ne retarderont pas pour autant le développement du projet. 

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