Imaginez si le Cégep du Vieux Montréal annonçait des défis financiers extrêmes et que votre session était peut-être compromise. C’est un peu le cas des étudiants de l’Université Laurentienne de Sudbury. La finalisation de leur semestre d’hiver est assurée, mais l’avenir est incertain. L’un de ses étudiants, Maxime A. Cayouette, nous dit que les admissions pour la spécialisation en théâtre ont été brièvement fermées, ce qui l’inquiète aujourd’hui quant à la survie du programme. Le tout n’impressionne pas les étudiants qui placent en l’Université Laurentienne leur confiance et leur argent. Ce n’est pas que l’avenir des programmes francophones qui est mis en jeu, c’est aussi l’avenir de leurs étudiants et de leurs professeurs. Étant donné l’image d’instabilité que projette l’institution depuis quelques semaines, on peut s’attendre à une baisse drastique du nombre d’inscriptions aux semestres à venir, ce qui n’aidera certainement pas les finances de l’institution.
« […] toute cette histoire en plus de leurs (l’administration) décisions par rapport à l’Université de l’Ontario français ne me donne pas une jolie impression. »
Maxime A. Cayouette, 1e année de spécialisation en théâtre / mineure en mathématiques
Le 1er février dernier, l’Université Laurentienne de Sudbury s’est placée sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et s’est lancée dans une procédure de restructuration sous supervision judiciaire, restructuration qui risque d’être sanglante pour plusieurs employés. L’institution a rapporté un déficit d’environ 15 millions de dollars. Ce dernier a été causé en partie par la COVID-19, mais la pandémie est loin d’être la seule explication de l’ampleur des déboires financiers de cette université bilingue. Beaucoup de voix s’élèvent dans la communauté, et le rapporteur spécial nommé par la province y a fait mention, pour critiquer la mauvaise gestion de plusieurs années des financiers de l’université. Plusieurs pointent le doigt vers Dominic Giroux, qui de 2009 à juin 2017, occupait le poste de recteur et de vice-chancelier de l’université. Ce dernier avait lancé un plan ambitieux de modernisation du campus en construisant notamment de nombreux bâtiments. En effet, un rapport intérimaire obtenu par la Presse Canadienne montre que les déficits remontent jusqu’à 2014. D’un autre côté, nombreux sont ceux qui affirment n’avoir vu aucune amélioration après le départ de l’actuel président-directeur général de l’hôpital Horizon Santé-Nord et de l’Institut de recherche d’Horizon Santé-Nord (IRHSN), et ils pensent plutôt que l’administration de l’Université Laurentienne, tout comme le Conseil des gouverneurs, sont coupables depuis le début d’une mauvaise gestion des deniers de l’université.
Les professeurs continuent de travailler et leurs salaires sont garantis jusqu’au 30 avril 2021 grâce à un prêt DIP à 8% d’intérêt qu’a reçu l’administration. Toutefois, une insatisfaction des membres de la faculté se fait ressentir par rapport au traitement qu’ils subissent depuis février. Certains de ces membres dénoncent un manque de transparence de l’institution, surtout après la suspension de la Loi sur l’accès à l’information, suspension demandée par l’avocate de l’université et approuvée par le juge en charge de l’affaire. D’ailleurs, cet aspect de l’histoire semble aussi s’appliquer aux étudiants; Dominic Andre, un étudiant de l’Université Laurentienne en science politique, nous partage que « Nous les étudiants on paie des milliers de dollars à cette institution et on ne savait même pas ce qui se passait… il n’y a pas de transparence. »
Le plus inquiétant pour plusieurs demeure ce processus de restructuration qui semble viser en premier lieu l’identification des programmes avec les nombres d’inscriptions plus bas comme premières cibles de coupures. Les programmes offerts en français font partie de ces cibles, mettant à risque la possibilité d’étudier en français pour beaucoup d’étudiants francophones de la région. Les deux parties seraient perdantes si des programmes francophones fermaient, puisque l’Université Laurentienne bénéficie d’une subvention annuelle de 12 millions de dollars du Programme des langues officielles en enseignement du ministère du Patrimoine canadien. Le Regroupement des professeur.e.s francophones (RPF) demande dans un communiqué de presse adressé au recteur de l’université de profiter de cette subvention pour renforcer les programmes en français, et ajoute que « … les programmes universitaires de langue française à Sudbury devront bénéficier d’une autonomie décisionnelle et financière afin qu’ils soient gérés par et pour la communauté francophone du Moyen-Nord. »
Ce n’est pas la première fois que la fragilité des institutions qui nourissent la francophonie ontarienne se manifeste, et ce, encore moins au sein de l’Université Laurentienne. Il y a deux ans, Dominic Andre a vu les admissions à son programme (science politique en français) être suspendues par l’administration. Heureusement, certains professeurs ont eu la bonté de l’accueillir dans leurs cours, mais l’étudiant a quand même dû, malgré son choix de programme en français, suivre quelques cours en anglais.
Le plan de restructuration, le recours à la LACC (qui suspend de facto la convention collective des professeurs), va mener à la perte d’emploi de professeurs, et donc les conséquences se feront ressentir au-delà des portes de l’université. Ces personnes possèdent un pouvoir d’achat d’une certaine importance, ont des familles, et en perdant leur poste, l’économie de la ville de Sudbury risque d’en souffrir, sans compter la contribution économique des étudiants canadiens et étrangers. C’est pour cela, pour l’avenir des professeurs et des étudiants, ainsi que pour la communauté franco-ontarienne que cette situation est à suivre de près. Elle nous rappelle qu’au Canada, une université peut faire faillite, et qu’elle peut éventuellement fermer ses portes, à la grande surprise de plusieurs autres pays occidentaux dont les pays européens où les universités sont entièrement publiques.