La marginalisation des personnes en situation d’itinérance
Des hommes. Des femmes. Des ados. Des personnes trans et non-binaires. Sans domicile fixe, ils paient leurs factures avec leur dignité. Marginalisés et trop souvent échappés par le système, ces citoyens s’entassent dans des refuges et des haltes-chaleurs aux prix par l’anxiété du prochain repas, chassant un bref moment d’humanité. Pour les milliers de personnes en situation d’itinérance sur l’Île de Montréal, l’année s’annonce longue…
« Trop souvent on parle d’eux et on parle de nous comme s’ils étaient une entité à part, non, c’est un nous l’itinérance. », lance Mishel Kekourge (nom fictif) responsable de la page Facebook d’humour activiste Organisation structurelle coconstruite de lo praticienxe réflexixe dont l’anonymat sera conservé. C’est en effet par ces mots qu’iel désire exprimer la manière dont personne n’est réellement à l’abri de l’itinérance. « J’ai travaillé autant avec des gens qui ont eu un début de vie très, très difficile avec de la violence et des traumatismes, que des gens qui étaient professeurs d’université, qui ont vécu une rupture amoureuse difficile. […] Il y a des gens dont la trajectoire de vie allait bien qui se sont ramassés dans l’itinérance. »
« Quand tu es une personne trans, tu vas avoir beaucoup de difficulté à trouver des services en itinérance qui sont adaptés pour ta réalité »
Mishel Kekourge
Personnes trans
Déjà victime de discrimination systémique quant à l’accès au logement, au marché du travail, à des soins de santé et à des services sociaux, la sphère de l’itinérance ne faillit pas à la tendance. En d’autres mots, « quand tu es une personne trans, tu vas avoir beaucoup de difficulté à trouver des services en itinérance qui sont adaptés pour ta réalité ce qui fait que tu vas rester dans la rue plus longtemps, quand tu restes dans la rue, il faut que tu trouves des mécanismes d’adaptation pour survivre dans la rue », précise Mishel. Certains refuges, comme les Auberges du cœur abordent dorénavant leurs résidents selon leur identité de genre et non leur apparence. La différence est importante lorsqu’il est question de répartir les personnes itinérantes dans les dortoirs des refuges; « la personne est acceptée pour son identité et non pas pour sa conformité à l’image physique que les construits sociaux conformistes exigent d’elle », ajoute Mishel. Les mentalités sont dures à changer lorsque des discours erronés qui contribuent à la discrimination constante des personnes trans – nous rappelle l’invité – sont encore populaires dans l’espace public, ou lorsque l’entrée d’une femme trans dans un refuge est approuvée selon sa féminité. Simplement, « il faudrait avoir des services qui acceptent les personnes dans leur situation, selon leur identité de genre en offrant des services adaptés, sécuritaires et inclusifs, ce qui est loin d’être encore le cas partout sur le terrain », plaide Mishel.
Jeunes
Non, on ne se retrouve pas à la rue comme on s’assoit dans un bar: l’itinérance n’a pas le souci de la majorité. « Ça peut aller aussi bas que 12 ans », précise Mishel. Et pour les jeunes qui sortent des centres jeunesse, l’absence de soutien orienté vers les besoins de l’adolescent concerné trace le chemin vers la rue. « Le support est très faible, donc il y a des jeunes qui se ramassent sans support social, parfois, ils n’avaient pas nécessairement terminé leur secondaire, là ils sont confrontés à la vie », précise Mishel. C’est le bombardement de responsabilités qui vient avec la majorité qui peut faire paniquer ces jeunes adultes. Ce serait d’ailleurs un jeune sur cinq ayant gradué d’une institution de placement qui goûterait à l’itinérance. [La Direction de la protection de la jeunesse ou un Centre jeunesse par exemple, NDLR]
Femmes
Pour les femmes en situation d’itinérance, c’est une tout autre game. Davantage sujettes aux abus et aux agressions, les femmes qui paient leurs dépenses essentielles à l’aide de services sexuels s’inscrivent rarement dans le dénombrement annuel de personnes en situation d’itinérance. Il existe d’ailleurs des services pour les femmes soucieuses de ne pas reproduire les oppressions systémiques qu’elles subissent en société. Mishel évoque les refuges qui n’imposent pas la gestion de budget aux femmes, étant donné que certaines d’entre elles ont vécu des relations abusives dans lesquelles leur partenaire contrôlait leur revenu.
« On devrait s’indigner à l’année longue! »
Mishel Kekourge
Être plus qu’en vie
L’Hôtel Dupuis, le halte-répit hivernal du Grand quai du Port de Montréal et le halte-chaleur de l’organisme Open Door sont quelques exemples des « situations de patchage de dernière minute » — pour reprendre les mots de Mishel — mises en place dès que la température tombe en dessous de zéro, plus par réaction à la nécessité urgente que par prévention. « On devrait s’indigner à l’année longue! », lance l’activiste. Ces méthodes comblent certes des besoins de base à court terme, mais glissent en dessous du tapis les failles du système. Selon Mishel, il faudrait des « logements abordables, des logements supervisés, des ressources à long terme, mais des ressources qui sont aussi orientées vers les buts individuels de chacun. » L’objectif, c’est d’éradiquer les fausses solutions, celles qui se rangent dans des boîtes dès que la neige fond. C’est aussi de « réhumaniser les personnes en situation d’itinérance », stipule Mishel, et ce, au-delà de leurs besoins essentiels. La dignité se nourrit de plus qu’un repas chaud.
Petit guide d’aide aux personnes en situation d’itinérance
- Lorsqu’on croise une personne en situation d’itinérance, un simple « allo, comment ça va? » accompagné d’un sourire peut faire toute la différence, et ce, même si on n’a pas de monnaie sur nous. « On s’entend que c’est pas ça qui va changer le monde, mais imagine seulement te faire ignorer 500 fois par jour… des fois, t’es content.e d’avoir une personne qui te traite comme un humain qui existe » souligne Mishel.
- C’est sûr que tout le monde n’a pas le budget de donner de l’argent dans la rue. Si c’est possible, un peu de monnaie, c’est toujours pratique surtout lorsque la personne en situation d’itinérance a des habitudes de consommation à maintenir. Mishel évoque qu’iel « aime beaucoup mieux donner des sous à une personne itinérante pour qu’elle s’achète ce dont elle a besoin que l’imaginer en souffrance et en craving toute la journée. Ça sonne tabou en société, mais je pense que ça vaut la peine de l’adresser. »
- Selon Mishel, distribuer de « belles salades » dans la rue afin de s’assurer que les personnes dans la rue mangent santé s’avère infantilisant et paternaliste. Étant donné que les personnes en situation d’itinérance n’ont pas beaucoup d’argent, mieux vaut leur laisser le luxe de choisir leur propre repas, ou même se proposer pour leur payer un repas de leur choix.
- S’il est possible pour nous de faire un don à un organisme, Mishel suggère de cibler des organismes de quartier n’ayant pas la même visibilité que les gros refuges en itinérance qui ont l’argent pour se payer des campagnes publicitaires. Ainsi, favoriser les plus petits organismes peut encourager les initiatives locales qui sont essentielles et directes.