Souffrir en silence, ou la crise du bassin du lac Tchad

L’Afrique, sujet considéré comme « non vendeur » par le marché de la presse, est particulièrement mal couverte par les médias occidentaux en général.

Le 8 janvier 2021, alors que la couverture médiatique se consacrait largement à la prise d’assaut du Capitole de Washington par des partisans d’extrême droite deux jours plus tôt, un attentat-suicide perpétré par le groupe djihadiste Boko Haram avait lieu au Nord du Cameroun. Une kamikaze enleva la vie d’au moins 15 civils, en majorité des enfants et des adolescents. Même si les grands médias ne s’attardent pas à dévoiler ces tragédies régulièrement, ces attaques représentent pourtant le quotidien des résidents et des réfugiés du bassin du lac Tchad. Il n’est alors pas surprenant de constater que l’association humanitaire Care considère cette région comme étant une des dix crises les moins médiatisées en 2019.  Le nord-est du Nigéria, la région du Diffa au Niger, le nord du Cameroun et l’est du Tchad forment cette zone où au cœur se trouve un lac qui se rétrécie de plus en plus.  Aujourd’hui, faisant uniquement le dixième de sa surface d’il y a 50 ans, le lac Tchad est une grande victime des changements climatiques. Cependant, le rétrécissement du lac n’est pas le seul facteur de la crise humanitaire qui sévit actuellement:  la famine, la présence sanglante du groupe terroriste Boko Haram et les immenses déplacements qu’engendrent leurs attaques alimentent d’autant plus cette situation qui toucherait environ 17 millions de personnes. 

Présence et massacres de Boko Haram

« L’éducation occidentale est un péché ». Voilà la traduction du nom Boko Haram, groupe salafiste djihadiste formé en 2002 au Nigéria. Étant à l’origine une secte, il s’agit d’un regroupement extrémiste composé majoritairement d’hommes souhaitant l’instauration d’un califat. En 2013, sa présence s’étend dans le bassin du lac Tchad: les massacres sont réguliers et l’ICSR [The International Centre for the Study of Radicalisation and Political Violence, NDLR] l’étiquette en 2014 comme étant « le groupe le plus féroce du monde. » Symbole de l’islam radical, Boko Haram possède plusieurs similarités avec le groupe terroriste Al-Qaïda (d’ailleurs, plusieurs tentatives d’association ont eu lieu). Vivement obscurantiste, le groupe armé exécute régulièrement des attaques dans des écoles, là où le savoir occidental qu’il rejette est diffusé. Bien qu’il fût estimé en 2014 à 30 000 hommes, Boko Haram ne cesse de recruter de force . Bien que le groupe utilise des méthodes comme les attentats-suicides, les prises d’otages et la torture, les médias occidentaux ont toutefois tendance à relever davantage leurs enlèvements massifs. L’un des plus médiatisés fut celui de 2014, lorsque 276 étudiantes furent enlevées à Chibok (or, le 29 janvier dernier, CNN annonça que plusieurs femmes parmi les 112 encore actuellement recherchées auraient réussi à s’enfuir).

Il faut noter que les femmes sont les cibles particulières du conflit. Kidnappées, forcées de se marier, violées, prises en otage, torturées, utilisées comme kamikazes, vendues comme esclaves, les familles du bassin du lac Tchad n’ont pas d’autres choix que de cacher leurs filles. L’éducation sexuelle est presque inexistante et l’accès aux contraceptifs est pratiquement nul: les grossesses précoces sont fréquentes et résultent en une stigmatisation dans la communauté. De plus, Boko Haram exécute régulièrement des rapts visant, encore une fois, les femmes : « Ils [membres du groupe terroriste, NDLR] passaient de porte en porte à la recherche de filles (…). Ils ont pris de force huit filles âgées de 12 à 15 ans. » 

Le recrutement n’est cependant pas toujours forcé: plusieurs personnes s’engagent volontairement à suivre l’idéologie du groupe terroriste, parfois dû au désespoir que la crise engendre, donnant l’impression qu’il s’agit de la dernière ressource pour jouir de sécurité. Qu’importe, ce mouvement insurrectionnel enchaîne les attentats meurtriers de façon presque hebdomadaire, n’épargnant aucunement les civils et les infrastructures essentielles (hôpitaux, écoles, marchés, etc). La menace étant persistante, des millions de personnes se voient ainsi forcées de fuir.

Problème de déplacements

Selon les statistiques du 31 juillet 2020 de l’HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés), on recenserait environ 2 millions de déplacés internes au Nigéria et plus de 684 000 au Cameroun, au Tchad et au Niger. Même si l’extrême violence de Boko Haram est la cause de 92,8% des déplacements, elle n’est pas le seul facteur de ces mouvements massifs: les catastrophes naturelles sont à prendre en compte. Inondant des villages entiers et ruinant les récoltes, les pluies diluviennes sont récurrentes. D’ailleurs, celles de l’année 2020 auraient été considérées comme les plus abondantes depuis des décennies.

Faisons ainsi une parenthèse sur la famine. En 2017, 1,7 millions de personnes peinaient à obtenir un seul repas par jour. Dans la région du lac Tchad, la moitié de la population vit de l’agriculture, de la pêche du lac et/ou de l’élevage. Plusieurs font ensuite le commerce de leurs récoltes dans les marchés des villages. Or, avec l’éclosion de la COVID-19, ces lieux de transactions permettant la survie des familles doivent fermer pour empêcher la propagation. Les inondations et les sécheresses rendent impossibles les récoltes des terres cultivables sans mentionner que Boko Haram incendie les zones agricoles lors de leurs passages sanglants. Avec la pandémie actuelle, la crise humanitaire se détériore et l’insécurité alimentaire persiste: le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) estime à 400 000 le nombre d’enfants qui sont près de la malnutrition aigüe. Enfin, l’accès à l’eau potable est restreint et lorsque les civils ingèrent de l’eau n’étant pas destinée à la consommation, on assiste entre autres à l’apparition d’épidémies (choléra, thyphoïde, etc). Ainsi, le mince financement que le secteur reçoit des pays occidentaux tardera à subvenir aux besoins des 3,6 millions de Camerounais, de Nigériens, de Nigérians et de Tchadiens vivant une insécurité alimentaire sévère.

Face à ces difficultés, les communautés doivent se réfugier dans les villages voisins, franchir les frontières des pays de la région ou encore occuper un camp de réfugiés. Selon un dossier d’Oxfam sur la crise du bassin du lac Tchad, « plus de 80 % des personnes déplacées cherchent refuge dans les communautés hôtes qui luttent elles-mêmes pour leur survie; ces communautés englobent les proches, les amis et même des inconnus ». C’est donc sans grande surprise que parmi les 9,2 millions de personnes de la région qui nécessitent de l’assistance humanitaire d’urgence, 240 000 d’entre elles sont des réfugiés provenant de communautés précaires. Tristement, les ressources s’épuisent même dans les camps de réfugiés: manque d’eau, de nourriture, d’abris. Les sites sont surpeuplés et donc la maladie se propage très rapidement. La population vit constamment dans une pauvreté extrême et tente de survivre indépendamment de son nouvel emplacement.

Souffrir en silence

Cette région vit actuellement une crise humanitaire, une crise écologique, mais surtout une crise de protection. Boko Haram tue des milliers de civils dans ses tentatives d’insurrections régulières. Peu est fait pour la sécurité civile, et encore moins pour la protection du bassin: en 2008, le Programme d’Action Stratégique pour le Bassin du lac Tchad est signé par les pays de la CBLT, soit le Cameroun, le Centrafrique, le Tchad, le Niger et le Nigéria. Ce rapport relate les tragédies qui se produisent à cet endroit, mais établit surtout les moyens à mettre en place pour obtenir du changement rapidement et tenter de sauver la région. En 2014, on note grâce à ce plan d’action une mince amélioration de la gestion et un rendement à certains égards. Toutefois, en 2021, le bassin du lac Tchad est encore très vulnérable. Les Camerounais, les Nigériens, les Nigérians et les Tchadiens sont à des millénaires de sentir le confort et de profiter de la sécurité de l’Occident: des millions sont plongés dans la peur quotidiennement. Ils souffrent, en silence. En silence, notamment parce que c’est une crise qui date déjà de plusieurs années: l’intérêt des grands médias actuels (bien que très faible au départ) s’est dirigé ailleurs au fil du temps. Une crise de protection, car  malgré les efforts de nombreux organismes humanitaires et les contributions monétaires à travers le monde, cette région demeure extrêmement dangereuse. Seulement en 2018, six travailleurs en aide humanitaire au Nigéria furent assassinés et de diverses bases militaires ont été attaquées: l’aide à approvisionner au bassin reste difficile à offrir.

Même si j’ai pu exposer dans cet article des éléments d’une misère déchirante, je souhaite surtout que cette lecture suscite le désir d’en apprendre davantage sur les crises humanitaires que les journaux majoritairement occidocentriques semblent fréquemment oublier. Je vous invite également à faire un don pour aider la situation au lac Tchad. Même si l’argent ne résoudra pas l’entièreté de la crise, il peut certainement contribuer à l’affaiblir!

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