Ce texte a été écrit par une journaliste du webmagazine La Cerise du Cégep de Jonquière. Cette collaboration entre les Cégeps de Jonquière et du Vieux Montréal, a pour but de faire rayonner et de rallier la jeunesse québécoise qui s’intéresse au domaine des médias et de l’information.
Invitée : Audrey Pigeon, La Cerise
Le classement mondial de la liberté de presse 2020 réalisé par Reporters sans frontières (RSF) indique que le Canada a grimpé de deux positions face aux résultats de 2019. Ce qui est synonyme d’une meilleure liberté de presse au pays.
Les efforts du Canada pour soutenir la liberté se font ressentir depuis son engagement en 2019 dans la protection de la liberté de la presse. En collaboration avec le Royaume-Uni, le Canada a mis en place la Coalition pour la liberté de la presse en juillet 2019. Cette coalition est une alliance internationale entre tous les pays voulant soutenir la liberté de la presse et voulant lutter en sa faveur.
« Des médias qui pensent librement et qui sont indépendants et respectés sont au cœur de toute démocratie. L’un ne peut exister sans l’autre. C’est pourquoi le Canada continue de défendre la liberté de la presse et de condamner toute tentative de l’étouffer. C’est également pourquoi, en collaboration avec les autres membres de la Coalition pour la liberté des médias, le Canada demande à tous les États de protéger l’accès à des médias libres et d’appuyer la libre circulation de l’information durant cette pandémie. »
Le premier ministre Justin Trudeau lors de sa déclaration à la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Le Canada, en tant que pays démocratique, se fait le devoir d’assurer ce droit à ses citoyens. En fait, la Charte canadienne des droits et libertés protège les citoyens. Sommairement, un citoyen canadien qui s’exprime sans contrevenir aux limites ne peut pas se faire persécuter ou punir pour son geste. Qu’elles soient jugées comme abusives ou logiques, les limites qu’imposent les lois peuvent être contestées. Au Canada les limites sont, entre autres, imposées par les articles 318 à 320 du Code criminel. En vertu de ceux-ci il est donc illégal, même au nom de la liberté d’expression, pour une personne de conseiller le suicide à quelqu’un, de remettre en question des vérités ou des faits, d’inciter à la violence ou à la haine, de vandaliser des lieux religieux ou communautaires ou de produire du matériel pornographique avec des jeunes de moins de 18 ans.
« La liberté d’expression au Canada n’est pas absolue. Elle connaît des limites, et c’est normal. On ne peut pas faire de la propagande haineuse, nier l’Holocauste, proférer des insultes et dire que c’est au nom de la liberté d’expression. Absolument pas. »
Karim Benyekhlef, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.
Pourtant, chaque jour, des journalistes, des défenseurs des droits de la personne et des citoyens sont menacés, voire même battus. La liberté d’expression est pourtant un droit auquel chaque humain devrait avoir accès.
En tant qu’étudiante en journalisme, la liberté d’expression dans les médias, soit la liberté de la presse, m’inquiète. Un récent bilan de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a sonné une cloche à mes oreilles. Comment se fait-il que le bilan de l’observatoire de l’UNESCO rapporte 894 assassinats de journalistes lors de la décennie 2010-2019 ? La majorité des morts ont eu lieu dans des zones qui n’étaient pas en conflit militaire. Ce même bilan confirme que 90% des journalistes étaient locaux. Donc, des journalistes assassinés dans leur propre pays. Un autre rapport publié par l’UNESCO, « Intensification des attaques, nouvelles défenses : derniers développements dans le combat pour protéger les journalistes et mettre un terme à l’impunité », expose que les journalistes sont de plus en plus victimes de violences, d’agressions et d’emprisonnements en lien avec leur travail. Plus de 90% des agresseurs de toutes sortes restent impunis. Selon Reporters sans frontières (RSF), à ce jour, il y a 267 journalistes et 120 journalistes citoyens emprisonnés. Des chiffres qui donnent des frissons. Des chiffres qui ME font peur. Femme, étudiante en journalisme qui rêve de travailler à l’étranger, comment dois-je interpréter ces données ? Doivent-elles m’inciter à changer de carrière ? Ce serait donner raison à tous ceux luttant contre la liberté d’expression. Doivent-elles me convaincre d’essayer de faire une différence dans le monde ? Ce serait mettre ma vie en danger. J’ai souvent entendu dire que les mots étaient plus puissants que n’importe quelle arme sur terre. Pourtant, à l’instant même, lorsque j’apprends que 90% des crimes commis sur des gens ayant écrit des opinions ou des faits n’ont pas été punis, ce sont les armes qui me semblent beaucoup plus puissantes.
« En ces temps sans précédent, nous devons redoubler d’efforts et faire front commun pour protéger la liberté des professionnels des médias, chez nous, comme à l’étranger. »
François-Phillippe Champagne, ministre des Affaires étrangères.
Les mots sont puissants, c’est vrai. La preuve : longtemps des livres ont été placés à l’index, et ce, pas plus loin que dans notre province. Des livres, rien de plus que des pages noircies de mots, ont été inaccessibles à la population pendant longtemps. C’est ici un bel exemple de censure, de limite à la liberté d’expression, dans un pays démocratique. Bien que l’index n’ait plus sa place en 2021, la censure, elle, a toujours lieu dans le domaine artistique. Peintres, écrivains, chanteurs, humoristes et plusieurs autres jouent chaque jour avec les limites de la liberté d’expression. D’autres préfèrent se censurer afin de ne pas s’approcher de la limite de l’acceptable. Je ne jugerai pas leur choix, je vais simplement juger le fait qu’ils doivent faire un choix. Dans un pays où la liberté d’expression est si favorisée, comment se fait-il qu’un artiste doive imposer des limites à son art ? Un roman, une pure fiction, ne devrait-elle pas laisser la place à toute l’ampleur de l’imagination de son auteur ? Ici même, dans la province, des arrestations pour pornographie juvénile ont eu lieu en 2018, à la suite de la publication d’un roman. Yvan Godbout, auteur du livre Hansel et Gretel et Nycolas Doucet, le directeur général des éditions AdA, ont été arrêtés peu après la publication de ce roman contenant une scène d’agression sexuelle sur une jeune fille de 9 ans. C’est une femme qui a porté plainte en début 2018, pour un passage trop explicite à son goût. Ce dit passage, d’une page, sur plus de 250, a fait l’objet d’une enquête et d’un procès devant la Couronne pour production et distribution de pornographie juvénile. Ce genre d’arrestation n’avait pas vu le jour au Québec depuis les années 1960. À la suite de l’analyse de ce cas, la tolérance de la population semble être une limite à la liberté d’expression. Si la tolérance personnelle est réellement une limite, comment savoir quels paroles, gestes ou écrits imposeront des conséquences ? C’est dans l’optique de ne pas recevoir de réprimandes que certains citoyens s’autocensurent et font preuve de prudence extrême.
« La liberté artistique est la liberté d’imaginer, de créer et de distribuer des expressions culturelles diverses sans censure gouvernementale, interférence politique ou pressions exercées par des acteurs non étatiques. »
UNESCO
Des faits, c’est ce qu’un journaliste rapporte.
Une fiction, c’est ce qu’un roman représente.
Des émotions fortes, c’est ce que l’art peut provoquer.
Des opinions, c’est ce que nous pouvons partager avec les autres.
La liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté artistique sont des droits que nous avons.
Protégeons-les.