S’appeler Québécois

Photo: Adrien Olichon / Unsplash

À l’occasion des 50 ans de la Crise d’octobre, je me suis posé la question suivante : que reste-t-il chez les jeunes Québécois d’aujourd’hui des combats pour l’indépendance du Québec qu’ont menés les générations qui nous précèdent? Cet enjeu a-t-il sombré dans l’oubli? Je me suis entretenue avec plusieurs cégépiens, voici leurs réponses.

« Je ne me considère juste pas Canadienne, parce que je pense qu’au-delà de la langue, la langue ça vient avec des mœurs, pis une façon de voir la vie », dit Laura Gauthier.

« On est beaucoup plus que des Français en Amérique », affirme quant à lui Marc Alexandre Guénette.

Tous ceux à qui j’ai parlé reconnaissent le Québec comme ayant une culture différente de celle du reste du Canada, et ont un certain attachement envers celle-ci. Certains se voient comme des Québécois, mais Canadiens avant tout, d’autres s’identifient naturellement comme étant Québécois tout court, habitude qu’ils ont hérité de leur famille, ou choisie. Cependant, se sentir et s’appeler Québécois ne mène pas naturellement à la conclusion que le Québec doit devenir indépendant.

« On a une culture différente, on est des Canadiens français, là-dessus, je suis d’accord. Mais je trouve qu’en 2020, on trouve plus de force dans la diversité qu’à essayer de s’exclure parce qu’on est différents » soutient Jeremy Pinard, qui ne croit pas que notre culture soit en danger. Selon lui, l’indépendance serait seulement un « titre honorifique »; la langue est déjà protégée, le monde sait que nous sommes différents, il n’y a plus rien à revendiquer. « Toute ma vie, je me suis toujours senti comme un Canadien. Je trouve aussi que le Québec est spécial dans sa diversité, mais je suis Canadien avant tout. Je trouve que c’est vraiment des idées du passé qui auraient pu fonctionner, mais qu’aujourd’hui ça ne fonctionnerait juste pas. »

Laura Gauthier et Maia Day croient quant à elles que le mouvement indépendantiste a encore aujourd’hui sa raison d’être. Cependant, Laura affirme qu’elle peut se contenter d’être « fièrement Québécoise à l’intérieur du Canada pour l’instant », parce que l’urgence d’accomplir une séparation est moins présente aujourd’hui qu’elle ne l’était dans le Québec du premier référendum. Premièrement, parce que le contexte n’est pas le même, c’est-à-dire que Laura ne sent pas d’oppression majeure ou de danger imminent d’extinction envers notre peuple et notre culture. Deuxièmement, parce que cette situation de confort relatif nous permet de mettre de l’avant des questions plus urgentes. « Pour moi, la question des Premières Nations, ça passe avant mon peuple parce qu’il y a plus d’oppression envers eux qu’envers les Québécois, donc je mettrais leurs combats avant les miens », affirme Laura. Pour elle, ce n’est pas une question de diminuer l’importance de ses combats, c’est faire passer d’abord ceux qui le méritent. « Je trouve que c’est un peu une utopie de penser que le Québec pourrait devenir un pays et en même temps respecter les droits des Autochtones. C’est ça qui vient me dire que je ne sais pas si je suis à 100 % pour l’indépendance du Québec parce que recréer un pays par-dessus leurs terres, c’est comme leur réimposer un pays qui n’est pas le leur. » Maia Day insiste elle aussi sur le fait qu’elle est fièrement Québécoise et Canadienne parce que c’est ici que se trouvent sa maison et sa famille, mais qu’elle n’est vraiment pas fière de l’histoire de son pays. « Il faut reconnaître le fait qu’on a tellement de privilèges d’être entendus », et laisser la place à ceux qui ne l’ont pas encore eu, par notre faute.

« Si on avait été dans un contexte qui n’est pas d’urgence climatique, j’aurais peut-être dit oui, mais en ce moment j’ai l’impression que de se borner aux luttes nationalistes et à encore plus morceler la Terre et encore plus diviser l’unité dont on a besoin pour faire face à un enjeu qui est global, ce n’est pas une priorité. »

– Léo Dumaresq Bouchard

Un peu comme Laura et Maia, Léo Dumaresq Bouchard est très attaché à la culture québécoise, mais croit que sa survie passe après celle de notre planète. Selon lui, le combat pour la culture québécoise a son importance, mais se concentrer sur celui-ci, c’est détourner notre attention de l’enjeu le plus grave de notre époque. « Y’a aucun peuple qui est éternel, les langues naissent, les langues meurent, les cultures naissent, les cultures meurent, tandis que si on scrappe notre planète, ben y’a plus rien. »

Ce sentiment d’égoïsme à revendiquer quelque chose qu’on a déjà, à crier alors qu’on ne souffre pas, à demander trop d’attention pour une cause qui est moins importante que beaucoup d’autres, je l’ai retrouvé chez presque tous ceux à qui j’ai parlé. Cela montre que ceux-ci sont conscientisés et se préoccupent d’enjeux immenses – mais peut-être sans se rendre compte que l’enjeu de leur identité a lui aussi une plus grande importance qu’ils ne le pensent?

« Quand tu considères que t’es un peuple distinct, faut que t’ailles au bout de ta pensée, pis que tu te dises « je suis tanné de recevoir juste des pinottes, il faut que je sois émancipé à 100 % », pis cette question-là elle est valable aussi pour les 11 nations qui habitent le territoire qu’on nomme Québec aujourd’hui. »

– Léo Leclerc

Pour Marc Alexandre Guénette et Léo Leclerc, fondateurs du mouvement indépendantiste Oui-CVM, la séparation du Québec est une question urgente, mais il n’est pas question de faire passer le peuple québécois avant les nations autochtones et les Premières nations. « On peut les aider eux aussi à protéger leurs cultures pis leurs langues, c’est tellement des cultures qui sont riches, tellement importantes historiquement, qu’on peut pas les laisser à part et ne pas les prendre en compte dans notre indépendance, ce serait vraiment être hypocrite. Ils font partie de cette province qu’on appelle Québec, il faut les inclure », soutient Marc Alexandre. Évidemment, il ne s’agit pas pour lui de mettre notre combat et les leurs sur le même pied : le Québec et le Canada ont commis beaucoup de violences envers eux et le racisme systémique est encore très présent aujourd’hui. Il pense plutôt à travailler avec eux, travailler d’une façon que notre statut dans la fédération canadienne ne nous permet pas de faire, à cause de l’Indian Act, notamment, et parce qu’on a seulement 20 % des votes, comme le souligne Léo. « L’accès à l’eau potable, tu changes pas ça en donnant des pinottes de la part du gouvernement fédéral, un moment donné ça te prend un changement qui est systémique, donc une nouvelle approche, un nouveau départ, notamment avec une nouvelle constitution qui les met d’égal à égal avec les Québécois », explique-t-il.

Cette idée que l’indépendance du Québec permettrait une libération du Québec, non seulement sur le plan culturel, mais aussi les plans socio-économique et environnemental, tient à cœur à Léo Leclerc. Un Québec indépendant ne serait pas une perte de temps et d’énergie pour les autres grands enjeux de notre époque, mais plutôt un moyen de pagayer vers des solutions qui ne sont pas envisageables dans la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant. Cela s’applique pour le reste du Canada aussi, et même pour le reste du monde. « Militer pour l’indépendance du Québec, c’est aussi militer pour l’indépendance de l’Écosse, de la Catalogne, du Tibet, de la Palestine; c’est vraiment dépolariser le monde et faire du pouvoir populaire, c’est-à-dire localiser le pouvoir, comme ça on réagit mieux aux enjeux. »

« Quand on pense qu’on est juste nés pour un petit pain, on ne s’offre pas la possibilité de concevoir un pays ou de devenir quelque chose qui nous permettrait de s’auto-déterminer en tant que peuple » souligne Marc Alexandre, qui trouve dommage que beaucoup pensent que ce combat identitaire soit dépassé.

« C’est vraiment pas un truc auquel je pense à chaque soir »

– Maia Day

En conclusion, le débat pour l’indépendance n’est pas réglé, et peut-être ne le sera-t-il jamais : ce qui est sûr, c’est qu’il est primordial d’en parler, car au-delà de constituer un pan important de notre histoire, il met en question notre identité entière. Ces quelques entrevues ne me permettent certainement pas de dresser le portrait de notre génération, mais je ne crois pas me tromper en disant que plusieurs Québécois ne renient pas leur culture, mais choisissent de la faire passer en deuxième, au moins pour l’instant. Est-ce le signe qu’on est colonisés, ou juste empathiques et conscientisés par le monde en entier? En tous cas, c’est certainement signe qu’on veut agir maintenant et qu’on cherche de tous bords tous côtés ce qu’on peut faire pour que tout aille mieux.

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