On change de disque?

L’impact de la pandémie sur la musique est maintenant indéniable. Entre l’annulation de concerts et le report des tournées, les nombreux déboires auxquels font face les artistes musicaux viennent changer considérablement la manière dont ceux-ci partagent leur art. Mais si on sort des labels phares, des festivals de grande envergure et des radios populaires, comment est ressenti cet impact à l’échelle des indépendants? Portraits des bouleversements ressentis (ou pas) par les musiciens de la relève québécoise.  

« C’est une évidence de dire que les shows me manquent », nous explique Charles de Villiers, membre de Thick Glasses, un groupe de punk rock émergent. Mais de là à dire que ce manque gâche ses plans, le rockeur éprouve un certain désaccord. Ce dernier nous indique que l’interaction avec des personnes qui partagent sa passion et avec qui il peut ultimement collaborer est l’aspect qui, pour lui, est le plus difficile à retrouver depuis la levée des mesures sanitaires. Mais pour des musiciens habitués à se produire dans des bars, la fermeture de grandes salles comme le MTELUS n’influe que rarement l’évolution des choses.  

En évoquant les représentations en direct sur le web, le musicien me renvoie à l’image d’un pansement qu’on mettrait sur une blessure; « Le plaster finit par s’enlever », dit-il pour exprimer le fait qu’à son avis, l’engouement suscité en début de confinement pour les concerts virtuels s’essouffle peu à peu. On comprend que lorsque certains recherchent, en particulier, la présence physique lors des concerts pour danser ou se lancer dans des mosh pitsl’envie d’assister à un concert en restant chez soi peut sembler plus ou moins alléchante. Étant aussi affilié à la gérance de musiciens avec le label Slam Disques qui se concentre sur la scène du rock québécois, le dénommé Maître de Slam Disques dit faire preuve de compréhension envers les différentes personnes qui dépendaient de cette industrie du spectacle, mais enchaine que la plupart du temps, les musiciens indépendants ne sont pas les premiers à remplir les salles récemment fermées. 

D’un autre côté, on peut se demander si le confinement est synonyme de vide artistique. Bien que cette conclusion puisse sembler évidente, ce n’est pas le cas pour le musicien.  « Ça dépend du mindset […] mais moi je suis plus créatif quand je suis déprimé ou mélancolique ». Pour un artiste habitué à une certaine tristesse créatrice, Charles nous raconte que le début du confinement est l’une de ses périodes les plus productives du point de vue musical. N’ayant pas à respecter d’horaire et se sentant moins stressé, l’investissement de son temps dans l’écriture de chansons aurait été une de ses premières réalisations durant la pandémie. 

Bien qu’il explique que la bonne musique continue de survivre malgré les circonstances, il nous indique que cette ambiance ne convient cependant pas à tous pour l’écriture, surtout lorsqu’il s’agit de demeurer créatif.  Certains sont, par exemple, plus inspirés par les évènements heureux ou les voyages, ce qui peut être handicapant en cette période.  

La place de l’écoute en continue (streaming) dans cette industrie émergente est aussi à mentionner. Pour le musicien qui ne voyait pas de problème avec les services comme Spotify ou Bandcamp, il explique la raison de savoir se réinventer. Les nouveaux artistes veulent d’abord rejoindre un auditoire et comme ces moyens sont les plus démocratisés, il est impératif de les utiliser. Pour des artistes qui ne faisaient déjà que très peu de retombées de la vente de disques physiques c’est même plus avantageux, suite à la réduction de l’impression des copies. Et comme les gens n’ont pas arrêté d’écouter de la musique sur leur téléphone ces derniers temps, l’auditoire est toujours au rendez-vous.  

À la suite de ces constatations, on peut se demander si les nouveaux musiciens voient un point négatif à cette période de privation. La réponse est évidemment oui. En tant que musicien, Charles nous explique qu’il aurait aimé profiter de la sortie de son nouvel EP « courir après sa queue » pour rencontrer des gens susceptibles de lui apporter des opportunités.  

Pour l’employé dans une maison de disques, les circonstances actuelles sensibilisent surtout sur les mouvances sociales. On peut par exemple citer la maison de disques Dare to Care, dont plusieurs membres affiliés ont été visés par des allégations d’inconduite sexuelle.  

Mais la notion de santé mentale est aussi un facteur qui peut résonner sur la carrière de plusieurs artistes. « On a cherché, le plus possible, à parler souvent à nos artistes. […] Des fois je leur parlais plus souvent qu’à des membres de ma famille », affirme Charles pour qui la santé mentale des membres de sa « deuxième famille » est des plus préoccupantes. Mais même si la production musicale régulière peut être un facteur de stress, ce problème peut se traduire à plusieurs milieux autres que la musique. 

Ainsi, la musique indépendante perdra-t-elle de l’aile pendant cet incertain vol plané? La réponse semble être non. Le choix des gouvernements de subventionner l’industrie musicale semble apporter une certaine complaisance au milieu, sans vouloir dire qu’il est sans danger.  Mais pour des artistes qui ne considèrent pas encore la musique comme leur source de revenu quotidien, tout ce qu’il faut continuer à faire c’est d’écrire de bons morceaux. Bien que petites, les communautés des musiciens de la relève sont souvent assez fidèles envers les personnes qu’ils découvrent.  Charles nous explique aussi qu’il est important pour les artistes de diversifier leur pratique s’ils souhaitent continuer à conserver pertinence ces temps-ci. Que ce soit par une présence sur les réseaux sociaux ou en évaluant la possibilité du sociofinancement par des plateformes comme Patreon sans oublier une envisageable présence sur des médias comme Twitch, nombreuses sont les possibilités évoquées par l’artiste. 

Si on peut maintenant être rassuré que la musique québécoise ne constate pas de fin définitive, il ne faut pas oublier qu’il reste important de soutenir les artisans de notre culture. Que ce soit en achetant des produits dérivés de nos groupes préférés ou en les faisant connaitre à nos amis, tous les pas que nous prenons pour aider l’industrie culturelle aboutissent finalement à notre propre enrichissement. 

Auteur : Victor Sansot

Il/Lui Rédacteur et Trésorier pour le journal étudiant du Cégep du Vieux-Montréal; Utilisateur de Letterboxd (https://letterboxd.com/Boris_Smithee/);

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